Usages et limites du PIB : une mesure fiable mais limitée, un phénomène récent
Richesse produite par un pays : le PIB, c’est la somme des valeurs ajoutées des entreprises du pays pendant une période donnée (un trimestre ou un an).
PIB par habitant ou par tête : mesure le niveau de vie. La croissance économique permet donc une élévation du PIB/tête au cours du temps : mais ne répond pas à la question de la répartition de la valeur ajoutée.
Pour comparer les PIB/hab, des corrections techniques sont nécessaires.
Au cours du temps : PIB à prix constants corrigés de l’évolution des prix.
Entre pays : PIB corrigés des taux de change et en parité de pouvoir d’achat (Big Mac Index, cf. OCDE, 2002).
Les limites du PIB : externalités, bien-être (IDH), niveau de développement.
La croissance est l’accroissement sur une courte ou une longue période des quantités de biens et services produits dans un pays ou dans une zone économique.
Il s’agit d’un phénomène récent à l’échelle de l’humanité : décollage au XIXème siècle (A. Madison)
P. Rosenstein-Rodan (1943) : théorie du Big Push : c’est l’accumulation de capital qui permet de sortir de la trappe à pauvreté (notamment après les destructions de 1939-1945 : 20 % du capital immobilier détruit en France)
R. Gordon (2016) : théorie « de la stagnation séculaire » : la croissance est une parenthèse qui va se refermer car tirée par des phénomènes non reproductibles (conquête de nouveaux espaces, alphabétisation, exode rural, machinisation, etc.).
Le modèle de Solow : une approche des facteurs de croissance
Quels facteurs contribuent à la croissance ?
Y = C + I + G + X – M (où Y est la croissance, C la consommation, I l’investissement, G la dépense publique, X les exportations et M les importations)
Y* = L + K + PGF (où Y* est la croissance potentielle, L le facteur travail, K le facteur capital et PGF la productivité globale des facteurs)
Y (LT) = L + PGF (où Y(LT) est la croissance à long terme)
Hypothèse néo-classique : rendements décroissants du capital. Tiers facteur (progrès technique) explique qu’on ne converge pas vers un état stationnaire.
La PGF : elle est évaluée comme un « résidu » dans le modèle solowien.
C’est la fraction de la croissance qui n’est pas expliquée par l’augmentation quantitative des facteurs de production.
Elle permet d’apprécier les gains d’efficience d’une économie et dépend de la technologie, du fonctionnement des marchés et de l’organisation du travail.
Productivité horaire ou par tête : quantité produite / quantité de travail (heures ou nombre de travailleurs) => toujours veiller à comparer les mêmes grandeurs.
Ex. 1990-2000 : USA investissement et gains de productivité vs. UE croissance enrichie en emplois (2,3 % vs. 1,2 % aujd seuil de croissance à partir duquel le chômage se résorbe en France).
Un déclin tendanciel de la productivité du travail depuis la fin des 30G, d’où une croissance potentielle plus faible
La croissance potentielle : une notion macroéconomique
Le PIB potentiel n’est pas une valeur observable en finances publiques ou en comptabilité nationale mais une notion macroéconomique théorique.
Les politiques publiques sont susceptibles d’affecter la croissance potentielle en modifiant le taux de chômage structurel, la productivité ou l’investissement
Les crises aussi peuvent l’affecter : croissance potentielle française estimée à 2 % avant crise vs. 1,25% aujourd’hui (INSEE). Effets d’hystérèse (cf. infra)
On en déduit l’output gap : c’est l’écart de production, soit la différence entre le PIB effectif mesuré en comptabilité nationale et le PIB potentiel. Il permet de positionner une économie dans le cycle et de calculer le solde structurel
Cycle économique : alternance entre des phases de croissance rapide et des phases de ralentissement. Le cycle constitue une déviation ou une fluctuation du niveau d’activité par rapport à sa tendance de long terme. (articulation court terme / long terme majeure en macro-économie : ex. relancer la croissance vs. rehausser le sentier de croissance)
Les autres théories de la croissance : croissance endogène, convergence économique et courbe de Kuznets
La théorie de la croissance endogène [Pourquoi il peut être utile d’investir dans le capital pour stimuler la croissance de long-terme ?] : une croissance auto-entretenue par l’accumulation de capital aux rendements marginaux non décroissants. Paul Romer, “Increasing Returns and Long Run Growth” (1986). Idée que les gains de productivité se diffusent dans une économie (rendement privé => rendement social : externalités positives : actions d’un agent économique qui ont un impact positif sur le bien-être et le comportement d’autres agents).
Les rendements d’échelle (ex. regroupement activités = externalités positives)
L’innovation (organisation, procédés, produits) : externalité positive et prime pour le first mover (ou winner takes all)
Le capital humain (éducation, formation, bonne santé)
L’investissement public (R. Barro : circulation des biens, des personnes, de l’information et financement par l’impôt jusqu’à un certain seuil)
La théorie de la convergence économique [Pourquoi certains pays croissent plus vite que d’autres ?] : révèle un phénomène de rattrapage.
Convergence entre pays dissemblables : les pays pauvres croissent plus vite que les pays riches, autrement dit corrélation négative entre le niveau initial du PIB/tête et le taux de croissance [Barro et Sala-i-Martin, 1992].
Plus un pays est éloigné de la frontière technologique (ensemble des technologies existantes les plus efficaces), plus le progrès technique passe par l’imitation de l’économie la plus avancée. Gains de productivité expliquent pour 4 points/an croissance chinoise entre 1990 et 2000 (FMI).
Plus il se rapproche de la frontière, plus il est important d’y encourager l’innovation avec des institutions idoines [Acemoglu, 2006]. Ex. le revenu/hab du Cameroun passerait de 600 à 2 760 $ (*4,5) si la qualité de ses institutions rejoignait la moyenne mondiale (ex. protection du droit de propriété).
Clubs de convergenceentre pays comparables : modèle gravitationnel d’Andrew Rose (2000) ex. zone Euro
Convergence entre revenus : la dispersion des revenus se réduit, c’est-à-dire l’écart-type des PIB/tête diminue (indice de GINI).
Le lien entre croissance et inégalités : S. Kuznets (1955) : courbe en cloche.
Dans un premier temps, l’accumulation de capital infrastructurel et naturel conduit à une répartition des richesses déformée en faveur des détenteurs d’épargne. Puis, l’accumulation de capital humain réduit les inégalités.
Mais Piketty (2005) : réduction pas naturelle (impôts et événements inattendus affectant le capital : guerres, inflation). En France, les transferts fiscaux, sociaux et en nature réduisent le rapport interdécile (rapport entre le niveau de vie des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres) de 5 (revenus primaires) à 3,5 (revenus après redistribution).
J. Stiglitz (2012) : le Top 1 % détient 20 % des revenus primaires aux USA du fait de la déformation du partage de la valeur ajoute entre capital et travail depuis 1980s : en découlent instabilité financière et moindre mobilité sociale.
=> La croissance ne suffit pas à réduire les inégalités, cela dépend aussi des institutions et de la structure des marchés.
2. Les outils
La France : un modèle déséquilibré
Un modèle de croissance déséquilibré
Prépondérance de la consommation privée et publique (70 % du PIB) et moins de gains de PGF (divisés par 2 depuis 1980)
Une contribution négative du commerce extérieur à la croissance (-0,3 pt en 2016)
Des effets d’hystérèse depuis la crise : 1 600 usines fermées (Trendeo, 2015), hausse du taux de chômage (supérieur à 9 % de la population active depuis 2009).
Un modèle fiscal et social qui réduit la compétitivité des entreprises
Poids des prélèvements obligatoires pesant sur les facteurs de production (cotisations sociales + fiscalité sur les entreprises) : 34,7 % du PIB vs. 29,4 % en moyenne zone Euro.
Une évolution inversée des coûts salariaux unitaires en France et en Allemagne entre 2001 et 2008 : +2,2 % vs. -0,2 % (cf. Trésor Eco, 2014).
Coûts salariaux unitaires = coût horaire de la main-d’œuvre / productivité horaire du travail : on peut compenser des coûts salariaux élevés par une productivité du travail élevée. En revanche, si le salaire brut augmente plus vite que la productivité, la compétitivité-prix se dégrade.
L’Allemagne : un modèle concurrentiel
Un modèle de compétitivité…
Excédent structurel du commerce extérieur : +8,6 % du PIB en 2016 lié à une forte compétitivité hors prix (élasticité-prix de la demande des biens : 0,3 vs. 0,9 en France : on mesure ici comment la demande d’un bien réagit après une variation de son prix ; plus cette élasticité est faible, moins les biens sont substituables, càd qu’ils sont positionnés sur un segment de marché qui les différencie par la qualité) et économie très ouverte (taux d’ouverture commerciale de 43 % [X+M/2/PIB] vs. 31 % France ; Chine passée 1er partenaire commercial depuis 2015)
Tissu industriel de PME décentralisé (Mittelstand) : 97 % des entreprises, 45 % de l’emploi, fortement exportatrices (18 % des PME allemandes sont exportatrices vs. 10 % en France)
Une économie proche de la frontière technologique : 30,1 robots industriels par millier d’emplois vs. 12,7 en France et 17,6 aux USA (IFR, 2016) ; 46 Md€/an de dépenses de R&D dans l’industrie manufacturière vs. 16 Md€ en France
…fruit d’une préférence collective
Reflux du chômage (5,6 % en 2017) aussi lié à des facteurs démographiques : jusqu’en 2015, la population active a diminué (-3 % population en âge de travailler entre 1998 et 2009)
Désalignement entre croissance économique et progrès social : taux de pauvreté (% de pop dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian) à 16 % vs. 14 % France, notamment hausse pour les chômeurs depuis 2004 (loi Hartz IV a réduit la durée des allocations chômage à 1 an) et indice de Gini à 0,3 (mesure des inégalités).
Faible part de l’investissement public réduit les dépenses publiques à court-terme mais handicape la croissance à long-terme : déficit d’investissement de 3 % du PIB (cf. France Stratégie, 2014), notamment secteurs petite enfance, infrastructures, énergie. France Stratégie propose seuil minimal investissement en Allemagne sans remettre en cause la règle d’or (0,35 % déficit structurel).
La Chine : un modèle extraverti
Un modèle de croissance par imitation
« Economie sociale de marché » : PIB multiplié par 31 en 26 ans (!) : de 361 Md$ (1990) à 11 200 Md€ (2016)
Prépondérance de l’investissement (50 % PIB vs. 36 % pour la consommation)
Une croissance extravertie : passée de 2 % en 1981 à 10 % en 2011 des exportations mondiales, dont 40 % vers UE et USA (induit une désinflation importée, cf. chapitre politique monétaire).
Notamment 1er exportateur mondial produits de haute technologie depuis 2003 (devant USA). 65 Md€ d’IDE/an car excès d’épargne (pic à 30 % du revenu disponible brut des ménages en 2009, cf. Trésor Eco, 2015). Mais vulnérable à un retournement de la conjoncture mondiale (ex. en 2008).
La recherche d’un rééquilibrage
Au plan externe : diminution de l’excédent commercial après un pic à +9,2 % en 2007 (+2,2 % en 2016). Selon Krugman (2015), le taux de change du Yuan, longtemps inférieur à son niveau d’équilibre (-20 % en 2006), est aujourd’hui légèrement surévalué.
Au plan interne : développement d’une protection sociale (réduit le taux d’épargne des ménages après le pic à 30 % RDB), hausse des salaires : +20 %/an en moyenne depuis 2005. Entre 1998 et 2014, le ratio CHI/USA en coûts salariaux unitaires passé de 40 % à 70 %. Montée en gamme et début de délocalisations (ex. Foxconn au Vietnam, où les CSU sont 3x inférieurs).
Des défis sociaux et environnementaux à surmonter
Fortes inégalités (Gini à 0,5) et faible classe moyenne (130 millions d’individus sur une population de 1,5 milliard)
Vieillissement démographique : 40 % de retraités en 2040 (politique de l’enfant unique) et taux de dépendance de 30 % en 2040 (ratio nombre de personnes +65 ans / population en âge de travailler: renseigne sur le besoin de financement en protection sociale)
1er émetteur de GES, pollution 4è cause de mortalité. 1er investisseur dans les technologies vertes (50 Mds/an). Ex. leader sur la marché du photovoltaïque (60 % de l’offre mondiale).
Le rôle des institutions et de la gouvernance
Transition démocratique depuis 1992. 7 % de croissance/an en moyenne depuis 2010. Tertiarisation (services = 50 % PIB). Classe moyenne de 5 M d’habitants (20 % de la population, soit plus qu’en Chine < 10 %). Indice de Gini passé sous 0,4.
Acemoglu & Robinson (« Why Nations Fail? », 2012) : modèle inclusif (bonne gouvernance + protection sociale) vs. modèle extractif (une élite politique contrôle les rentes : ex. comparaison des deux Corée : même culture et géographie, mais niveaux de développement très hétérogènes). Pour le Ghana, environnement juridique/politique favorable aux IDE selon les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale.
Mais récemment : fort déficit public (9,6 % en 2014, réduit à 6 % en 2017), dépendance au cours des matières premières (or, pétrole, cacao) et programme d’assistance budgétaire du FMI (2014-2018).
Le rôle du commerce international vs. l’aide publique au développement
Frankel & Romer « Does Trade Cause Growth? » (1999) : l’ouverture au commerce est plus efficace que l’APD sous certaines conditions (accès à la mer et proximité géographique de pôles commerciaux).
NB : APD = 100 Md$/an (les dépenses d’APD représentent ~0,4 % du RNB en France).
Ex. Vietnam : politique du Doi Moi (rénovation) depuis 1986 : entrée dans l’ASEAN en 1995 et dans l’OMC en 2007. PIB multiplié par 5 entre 1985 et 2011. Industrie = 40% du PIB notamment textile (forts gains de PGF). L’un des tigres asiatiques : 6 % croissance/an en moyenne depuis 2010.
3. Les défis
Comment rehausser la croissance potentielle en France ?
Accroche : Note conjoncture INSEE octobre 2017 : France +1,8 % PIB en 2017 : plus un sujet ? Mais certainement lié dynamisme demande extérieure (+3,3 % exports car +5,4 % commerce mondial), effets conjoncturels (pétrole stabilisé entre 50 et 60 $ d’ici fin année), mais toujours inférieure à ses voisins (+2,2 % en Allemagne et en moyenne zone euro, ESP +3,1 % car en rattrapage crise). Regain conjoncturel n’épuise pas sujet structurel de la croissance potentielle FR.
– Rehausser la croissance potentielle : relever le sentier de croissance : différent de relancer la croissance pour atteindre son potentiel.
– Comment : question des leviers à activer, pas la question des finalités (autre sujet ou « faut-il rehausser ? »)
Problématisation : contexte budgétaire contraint (dette ~ 100 % PIB) et environnement concurrentiel (poids des émergents, mais aussi partenaires UE qui prennent des parts de marché), seules politiques conjoncturelles ou reprise extérieure ne suffiront pas à stimuler potentiel de croissance.
=> Quelles réformes structurelles pour stimuler les facteurs de croissance potentielle de la France ?
IA/ Faits stylisés :
–Déclin tendanciel de la croissance potentielle depuis la fin des 30G : +4,5 % Y* 60-80s, +2,5 % 80-00s, +2 % 2000-2010, +1,25 % depuis la crise selon Trésor. En-dessous autres pays développés du fait mauvais fonctionnement des marchés.
–Output gap négatif jusqu’en 2017 : écart de production demeure à 5 pts de base en 2016 (1,2 % vs. 1,25 %), mais se résorbe (35 pts de base en 2014 : 0,9 % de croissance cette année).
IB/ Théories :
– Modèle solowien de la croissance potentielle : K + L + PGF, dont L et PGF à long-terme. Apports du modèle de la croissance endogène : certaines formes de K peuvent aussi jouer.
– Avant la crise, ralentissement PGF commun à tous les pays développés : tertiarisation réduit les gains de PGF [Baumol, 1966] et faibles effets numérique (« techno-pessimistes » déjà Solow en 1987 : « on voit des ordinateurs partout, sauf dans les indicateurs de productivité », cf. Gordon, 2012 : vers « stagnation séculaire » et création emplois faible productivité).
Mais problème : Y* déjà en-dessous autres pays développés : mauvais fonctionnement des marchés (travail, accès au crédit, biens et services concurrence insuffisante not. énergie/transports, ce qui augmente le coût des intrants pour les entreprises), qualité insuffisante de la FBCF des entreprises (renouvellement vs. modernisation de l’appareil productif : ex. faible robotisation : plus de 2x moins de robots industriels/millier d’emplois que l’Allemagne), diffusion insuffisante de l’innovation (cf. chiffres R&D, brevets).
– Depuis la crise, effets d’hystérèse ont accru le chômage structurel (+ durée au chômage – chance retrouver emploi, cf. Blanchard & Summers, 1986) et destruction capital physique (-1 600 sites industriels entre 2008 et 2015) => réduit contributions facteurs L et K à Y*. Facteurs démographiques (dans le scénario dégradé de l’INSEE) : -1,5 M actifs d’ici 2060 = tendance pourrait se poursuivre.
IIA/ Bilan des politiques publiques :
–Avant 2012, accroissement du coin socio-fiscal pour réduire le déficit public (+18 Md€ de PO sur les entreprises en 2011-2012) et logique timide d’investissement dans la croissance potentielle : grand emprunt Juppé-Rocard 2010 => PIA de 56 Md€ sur 2010-2017 dont plus de la moitié sur ESR (Idex, ANR, BPI).
– Dans d’autres pays, logique de baisse de la fiscalité du capital (taux IS moyen 25 % en UE vs. 33,3 % en FR), activation des politiques de l’emploi pour réduire le chômage structurel (FR : indemnisation chômage longue et généreuse) et investissement dans le K humain (ex. 36 % des adultes 25-64 ans participent à une formation professionnelle chq année en FR vs. 50 % en moyenne OCDE et 65 % pays scandinaves).
–Depuis 2012, politique de l’offre pour relancer l’investissement : réduction PO entreprises pour stimuler la FBCF (-41 Md€ CICE/PRS => indice du prix du travail INSEE +2,3 % en 2012 vs. +1,1 % en 2015) : redressement du taux de marge des entreprises à 31,7 % en 2017 (vs. 29,5 % en 2014). Aujd, investissement des entreprises +3,4 % en 2016 et +3,9 % en 2017. Mais effets tardifs : financement CICE par hausse de TVA et économies budgétaires => la politique budgétaire continue de contribuer négativement à la croissance : -0,3 pt PIB en 2015 et jusqu’en 2019, cf. OFCE, 2017).
IIB/ Recommandations :
– Approfondir la politique de l’offre [jouer sur le facteur capital] :
–réduire fiscalité apparente sur le capital (PLF 2018 : bascule du CICE en allègements de cotisations employeurs pérennes : simplification et supprime l’effet retard du crédit d’impôt, flat-tax sur les revenus du capital à 30 %, suppression C3S)
–réorienter la dépense publique vers les investissements à rendement socio-économique élevé (logique du GPI : +57 Md€ en 5 ans sur numérique, transition énergétique, formation, transition énergétique ex. rénovation bâtiments, doit être financé par baisse dépenses moins productives ex. subventions au gazole, ferroviaire ou charges courantes des APU ex. selon audit 2017 Cour des comptes, moitié hausses dépenses de personnels APUL pas liée à décentralisation : économies de 1 à 2 Md€/an seulement en ramenant temps de travail effectif à durée légale 35H et taux d’absentéisme 2 à 3x plus élevé que dans privé).
– Réduire le chômage structurel [jouer sur le facteur travail]
–lever les freins à l’embauche (prévisibilité sur le coût des licenciements)
–renforcer les incitations monétaires à l’activité (ex. revalorisation de la prime d’activité)
–améliorer l’efficience du service public de l’emploi (appariement offre/demande de travail => ~100 K emplois vacants selon Pôle emploi). Cf. chapitre sur le marché du travail.
– Assurer une meilleure diffusion de l’innovation et améliorer performances éducatives [jouer sur la PGF] :
–bcp de dispositifs de soutien à l’innovation existent (CIR, BPI, PIA = effet +0,1 Y* sur 2010-2020 selon Rexecode) mais sous-investissement dans les TIC. Mieux cibler les aides à l’innovation (IGF, 2015) pour augmenter le niveau de qualité de l’investissement (France Stratégie, 2017). Le cas échéant aussi stratégie européenne d’investissements communs notamment si budget de la zone euro (cf. chapitre ad hoc).
–Combler retard sur l’éducation : décrochage 25 % dans le secondaire, faible attractivité du métier d’enseignant (salaires 33 K$/an vs. 38 K$ en moyenne OCDE), écart 1 à 3 avec US & UK dans classement Shanghai pour le supérieur => investir dans la formation = réduire la taille des classes (IPP, 2017), réinvestir sur le primaire, mobiliser financements privés dans le supérieur (18 % des ressources vs. 32 % en moyenne OCDE) et simplifier le fonctionnement de l’apprentissage (CAE, 2014).
Accroche : la récente transformation dans le budget 2018 de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière a réactivé le débat sur le lien entre croissance et inégalités. La sortie du patrimoine mobilier de l’assiette de l’IFI est en effet présentée, d’une part, comme une incitation à l’investissement productif via une réduction d’impôt d’environ 3 Md€ et, d’autre part, comme un accroissement des inégalités de patrimoine puisque le capital mobilier représente plus de 70 % du patrimoine des 1 % des ménages les plus aisés selon l’OFCE. Cet exemple semble illustrer la théorie d’Okun (1975) selon laquelle les politiques économiques seraient confrontées à un arbitrage entre efficacité et équité : pourtant, les inégalités peuvent également contribuer négativement à la croissance économique.
Définitions :
Prospérité: désigne un état d’abondance caractérisé par un accroissement de la production et du niveau de vie moyen
Prospérité partagée: désigne une répartition équitable de l’accroissement de la production et du niveau de vie moyen ; se mesure notamment à travers l’évolution des inégalités de revenus et de patrimoine. S’oppose à une « prospérité relative », qui désignerait la captation par les déciles de population les plus favorisés de l’accroissement du niveau de vie moyen.
Problématisation : la question « comment retrouver… ? » implique que la croissance économique serait devenue plus inégalitaire à la faveur d’évolutions structurelles et conjoncturelles (l’ouverture commerciale, le progrès technique, l’adoption d’une monnaie unique, les conséquences de la crise de 2008, l’évolution des relations entre employeurs et salariés, etc.) et qu’il conviendrait de la rendre inclusive pour des raisons à développer et pour des zones géographiques à définir (probablement au-delà des seuls pays avancés).
1.1. Faits stylisés
De manière générale, la politique de redistribution, qui est l’un des trois objectifs de la politique économique (Musgrave, 1959), vise à réduire les inégalités primaires de revenus.
En France, les politiques de redistribution divisent par trois les inégalités de (écart de 20 à 6 entre les 2 déciles extrêmes), pour 2/3 du fait des prestations sociales et pour 1/3 de la fiscalité.
Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, les inégalités de revenu disponible après redistribution, mesurées par le coefficient de Gini, ont progressé de +0,03 point en moyenne entre 1985 et 2013 (+0,06 point aux Etats-Unis, +0,04 en Allemagne et stable en France), malgré une croissance du PIB réel par tête de +65 % dans la même période.
Entre 2009 et 2012, 91 % de la hausse du PIB aux Etats-Unis a bénéficié à 1 % des Américains selon Stiglitz, tandis que les 80 % d’Américains les moins riches consommaient 110 % de leur revenu et devaient s’endetter pour maintenir leur niveau de vie, ce qui a contribué à la formation de la bulle du marché immobilier (Rajan, 2010).
Cette hausse des inégalités est liée à la déformation de la répartition de la valeur ajoutée en faveur du facteur capital (depuis 1980, la part dans le PIB des profits des entreprises après taxes, intérêts et dividendes a progressé de 5 points dans l’OCDE) et au progrès technique (Verdugo, 2017 : diminution de 8 % de la part des emplois intermédiaires en France depuis 1980).
Au sein de la zone euro, la reprise économique après la crise de 2008 a été lente et peu inclusive (« prospérité relative »).
Le PIB/tête réel n’a retrouvé qu’en 2015 son niveau de 2007 et le taux de chômage reste inégalitaire (17,9 % en moyenne pour les moins de 25 ans, avec des niveaux supérieurs à 40 % en Grèce et à 20 % en France, contre 6,6 % en Allemagne), ce qui induit une moindre mobilité sociale.
Au sein des pays en développement, l’ouverture au commerce international a contribué à réduire la part des individus vivant sous le seuil de pauvreté (de 50 % à 10 % depuis 1980 selon le FMI).
Ainsi, les inégalités globales ont décru dans la même période de 25 % selon le coefficient Theil, entamant une convergence entre pays développés et pays en développement (DG Trésor, 2017), mais les inégalités ont en revanche progressé au sein des pays développés (cf. « courbe en éléphant » de Milanovic, 2016).
1.2. Théories
La mesure du PIB est indifférente au niveau des inégalités de revenus ou de patrimoine
Un accroissement du PIB/habitant peut ainsi masquer une répartition inégalitaire des richesses, mais aussi aux externalités négatives que peut engendrer une hausse de la production.
Des indicateurs alternatifs au PIB existent tels que l’IDH pour mieux rendre compte des différences de niveaux de vie en agrégeant des indicateurs socio-économiques (taux de mortalité, taux d’alphabétisation, temps consacré aux loisirs, etc.).
S’il existe toutefois un lien entre croissance et inégalités, Kuznets (1955) a montré qu’il prend la forme d’une courbe en cloche
Dans un premier temps, l’accumulation de capital infrastructurel et naturel conduit à une répartition des richesses déformée en faveur des détenteurs d’épargne ; puis, dans un second temps, l’accumulation de capital humain réduit les inégalités.
Piketty (2005) a cependant montré que cette réduction des inégalités n’était pas spontanée mais due à institutions publiques (progressivité de l’impôt et protection sociale) et/ou à des phénomènes exogènes (guerre et inflation).
Inversement, l’accroissement des inégalités peut contribuer négativement à la croissance potentielle dans les pays développés : les inégalités y ont induit une moindre croissance cumulée de 4 % du PIB entre 1990 et 2010 (OCDE, 2014).
Depuis les années 1980, l’ouverture commerciale et le progrès technique contribuent également à la croissance des inégalités au sein des pays développés.
D’une part, le théorème de Stolper et Samuelson (1941) montre que l’intégration des chaines de valeur conduit à spécialiser les productions nationales sur l’exportation de biens relativement plus intensifs en facteur de production relativement plus abondants, soit le capital et le travail qualifié pour les pays développés ; la rémunération relative de ces secteurs est dès lors plus dynamique que celle des secteurs intensifs en travail peu ou non qualifié. Selon la DG Trésor (2017), environ 20 % des pertes d’emplois dans l’industrie française sont liées à l’ouverture commerciale.
D’autre part, la forme schumpétérienne du progrès technique induit une polarisation des emplois entre emplois qualifiés et emplois peu ou non qualifiés. Dans certains pays (ex. France), la réglementation accentue cette segmentation entre inclus et exclus du marché du travail en rallongeant la durée moyenne au chômage et en rehaussant le taux de chômage d’équilibre du fait des effets d’hystérèse (Lindbeck, Snower, 1988). Braconnier et Ruiz-Valenzuela (2014) montrent qu’une hausse de +1 % de la PGF induit un accroissement de +0,3 % du rapport interdécile.
Ces inégalités sont sociales mais aussi territoriales : selon Davezies (2012), 20 à 25 % de la population française vivrait dans des territoires en décrochage et cumulant un recul de l’appareil productif (imputable aux deux facteurs cités supra), une faible qualité résidentielle (imputable à la structure du marché du logement) et la diminution du soutien public aux services de proximité (imputable à l’orientation des politiques budgétaires).
Le rôle des institutions publiques est essentiel pour fonder un modèle de croissance inclusive, par opposition à un modèle extractif
Ainsi, les pays en transition démocratique ont connu une hausse de +5 points de leur PIB/tête dans les 10 ans après démocratisation et de +15 points à horizon 20 ans (Acemoglu, 2004).
Le développement d’une protection sociale soutient également le capital humain et contribue positivement à la croissance potentielle via les gains de productivité (Wheeler, 1980) : cf. éducation, santé ou formation professionnelle (Crépon, 2009 : un effort moyen de 11h de formation/an et par salarié génère un gain de productivité de +1 %, récupéré entre 30 % et 50 % par les travailleurs sous la forme de revalorisations salariales).
Enfin, le développement du pouvoir de négociation salariale et des organisations syndicales contribue à orienter la répartition de la valeur ajoutée en faveur du facteur travail (Nickell et Andrews, 1983) ; a contrario, leur affaiblissement et le renforcement relatif du pouvoir de négociation des actionnaires sous l’effet de la libéralisation financière oriente la répartition de la valeur ajoutée vers le facteur capital (Ebenstein, 2015).
2.1. Bilan des politiques
Depuis les années 1980, les politiques de compétition fiscale et de développement de la flexibilité du marché de l’emploi ne se sont pas accompagnées d’un renforcement suffisant des politiques de redistribution et d’investissement social.
En économie ouverte (modèle IS-LM-BP), l’imposition des facteurs de production mobiles (capital et travail qualifié) induit des effets d’éviction (au-delà de 80 % de taux d’imposition marginale pour Gruber et Saez, 2012), d’où s’instaure une compétition fiscale entre pays développés.
Aux Etats-Unis, le taux d’imposition effective des bénéfices des sociétés a diminué de 12 points depuis 1980 tandis que la valeur réelle du salaire minimum fédéral a régressé de 10 points dans la même période.
En Allemagne, l’indice de GINI a crû de 0,29 en 2000 à 0,33 en 2006 du fait de la réduction à un an de la durée d’indemnisation du chômage (loi Hartz IV) et du développement du chômage partiel (28 % de l’emploi total, occupé à 83 % par des femmes).
Depuis la crise économique, les politiques de consolidation budgétaire et de déflation interne ont accentué le caractère inégalitaire de la reprise économique dans l’UE.
Au Royaume-Uni, les dépenses publiques ont été réduites de 2,4 % entre 2009 et 2012 notamment sur la masse salariale du secteur public et les politiques sociales.
En Espagne, la balance commerciale est devenue excédentaire et la profitabilité des entreprises a crû de 3 points au prix d’une baisse de 6 % des salaires réels entre 2009 et 2014.
En France, toutefois, les inégalités sont restées stables durant la crise du fait des stabilisateurs automatiques et d’une consolidation fondée à 85 % sur l’augmentation des prélèvements obligatoires entre 2009 et 2015 (création d’une nouvelle tranche marginale de l’IR à 45 %, plafonnement des dépenses fiscales, barémisation de la fiscalité des revenus du capital, surtaxe sur les grandes entreprises, etc.) : dans un contexte de compétition fiscale, ces hausses ont toutefois pu avoir des effets d’éviction sur l’assiette taxable (exécution des recettes de l’Etat inférieure aux prévisions en 2013 et 2014).
Les politiques d’investissement dans le capital humain demeurent également hétérogènes et parfois inefficaces au sein des pays développés
Peu de pays combinent performances scolaires et équité sociale (ex. : Canada, Corée du Sud, Estonie, Finlande et Japon selon l’OCDE, 2016 ; en France, un élève défavorisé a 4x plus de chances d’être en difficulté)
L’investissement dans la formation continue en France ne bénéficie que pour 10 % aux demandeurs d’emplois malgré un niveau élevé de dépenses (1,5 % du PIB)
L’Allemagne présente un déficit d’investissement de 3 % de PIB dans la petite enfance et les infrastructures (France Stratégie, 2014)
Le salaire minimum reste inférieur au salaire de réserve dans plusieurs pays, ce qui réduit l’offre de travail (Card, Krueger, 1995) malgré les revalorisations récentes en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis
Les réformes visant à réduire le dualisme du marché du travail restent à évaluer (ex. réduction des indemnités de licenciement pour les nouveaux CDI en Italie avec le Jobs Act en 2015).
Au sein des pays émergents, la résorption des excédents extérieurs et le développement d’une protection sociale amorcent un partage croissant de la prospérité
En Chine, la transition d’un modèle de croissance par imitation tiré par les exportations et l’investissement (plus de 50 % du PIB) vers un modèle de croissance tiré par la consommation intérieure (depuis 2005, le salaire ouvrier moyen a crû de +300 %, rattrapant la moitié du retard avec les Etats-Unis) devrait contribuer à réduire les inégalités encore élevées (Gini à 0,5) et à développer une classe moyenne encore peu nombreuse (130 millions d’individus sur une population de 1,5 milliard). Par ailleurs, le développement d’une protection sociale devrait réduire le taux d’épargne des ménages chinoise formé par précaution et proche de 30 % du revenu disponible brut.
Dans d’autres pays émergents, cette évolution reste inachevée comme en Inde où les dépenses publiques de santé représentent seulement 1,4 % du PIB par exemple.
2.2. Recommandations
Au niveau international
Renforcer la conditionnalité de l’APD selon des critères objectifs et recourir plus systématiquement à d’indicateurs alternatifs au PIB tels que l’IDH pour promouvoir un modèle de croissance inclusive
Inciter à l’augmentation du salaire minimum dans les pays développés où il est inférieur au salaire de réserve (ex. Etats-Unis, Royaume-Uni) et à l’augmentation des dépenses de protection sociale dans les pays émergents qui disposent d’une marge de manœuvre budgétaire
Promouvoir l’introduction de normes environnementales et sociales dans la conclusion des accords commerciaux régionaux (barrières tarifaires et non tarifaires) pour atténuer le biais inégalitaire de l’ouverture commerciale
Au niveau de l’UEM
Introduire un salaire minimum à 50 % des revenus médians nationaux et une assiette commune consolidée d’impôt sur les bénéfices des sociétés pour désinciter à la compétition socio-fiscale
Abonder une capacité budgétaire de la zone euro par des ressources propres (taxe GAFAM, taxe carbone, contribution IS) afin de financer des programmes d’investissement dans les compétences en faveur des zones en difficulté ou rattrapage économique
Achever l’union bancaire avec une garantie universelle des dépôts afin d’assurer une meilleure allocation du crédit en faveur des pays de la périphérie
Au niveau français
Cibler le plan d’investissement dans les compétences sur les demandeurs d’emplois de longue durée et les jeunes décrocheurs en fonction d’une analyse territorialisée des besoins en qualifications et majorer le financement public soutenant l’accès aux modes de garde dans les zones prioritaires pour investir dans le capital humain
Supprimer les droits de mutation à titre onéreux pour 80 % des transactions et expérimenter une dotation initiale en capital pour les jeunes atteignant la majorité afin de stimuler la mobilité sociale et résidentielle
Supprimer le forfait social pour développer l’intéressement dans les PME pour mieux synchroniser les cycles de rentabilité et des salaires et introduire le « chèque syndical » pour inciter au développement d’un syndicalisme de services