Industrie et compétitivité

1. Les notions

Industrie et désindustrialisation

  • Selon l’INSEE, relèvent de l’industrie les activités économiques qui combinent des facteurs de production (installations, approvisionnements, travail, savoir) pour produire des biens matériels destinés au marché.
    • L’évolution comparée des trois secteurs des économies avancées (agriculture, industrie, services) met en évidence plusieurs étapes du développement : phase d’expansion du secteur secondaire (production de biens par la transformation de matières premières), puis du secteur tertiaire (Rostow, 1960)
    • en France : la VA industrielle a progressé de +6 %/an entre 1950 et 1974 vs. seulement +1,4 %/an entre 1974 et 2014 (+2,4 %/an pour les services marchands dans la même période)

 

  • La désindustrialisation consiste en la diminution de la part de l’industrie dans le PIB et dans l’emploi total.
    • La désindustrialisation est un phénomène commun à l’ensemble des économies avancées (diminution de 19,5 % à 16,5 % de la part de l’industrie dans le PIB mondial entre 1998 et 2008), à l’exception notable de l’Allemagne (24 % du PIB) ;
    • Elle concerne plus particulièrement la France, où la valeur ajoutée de l’industrie est passée de 23 % à 11 % du PIB entre 1970 et 2014 et où l’industrie employait 26 % des actifs en 1980 contre 12 % aujourd’hui (-2,5 M d’emplois). Les parts de marché de la France ont reculé notamment depuis les années 2000, passant de 13 % à 9 % dans l’UE et le solde du commerce extérieur est déficitaire de plus de 3 points de PIB
    • Ce recul de l’industrie en France s’illustre également par une compétitivité dégradée liée au prix des produits (coûts salariaux unitaires supérieurs de 15 % à la moyenne de la zone euro en 2017), mais aussi à leur qualité (élasticité-prix de la demande de biens d’exportation français 3x supérieure à celle des biens allemands)
    • Enfin, l’effort d’innovation en France apparaît insuffisant du fait des capacités d’autofinancement dégradées des entreprises françaises (1,22 robots pour 100 emplois industriels en France contre 2,5 en Allemagne), ce qui accroît l’écart de compétitivité hors prix avec les concurrents de la France et rend ses exportations vulnérables à une appréciation de l’euro (effet multiplicateur de -0,6 entre le cours de l’euro et le volume d’exportations selon le CEPII, 2012)

 

  • Les causes de la désindustrialisation sont liées à des évolutions structurelles et leurs conséquences sont négatives au plan macro-économique :
    • Selon la Banque de France (2017), cette désindustrialisation est d’abord liée au progrès technique, aux évolutions de la structure de la demande globale (loi d’Engel, 1857 : élasticité-revenu de la demande de services) supérieure à 1 et, marginalement, à l’ouverture commerciale (mentionner également l’incidence comptable de l’externalisation des services auparavant assurées par les entreprises industrielles) ;
    • Il peut également être avancé que le recul industriel est lié à une spécialisation géographique et sectorielle sous-optimale des exportations françaises, concentrées vers les pays de l’UE (66 %) et peu tournées vers les économies émergentes en Asie (12,5 %) ;
    • Cette désindustrialisation induit des conséquences sur la croissance potentielle selon le modèle de Solow (1956) : les gains de productivité étant plus élevés dans le secteur progressif (Baumol, 1966), la productivité globale des facteurs est ralentie par le déclin industriel ;
    • Elle entraîne également un accroissement du taux de chômage d’équilibre via les effets d’hystérèse (Blanchard, Summers, 1986) liés aux fermetures de sites industriels (pertes de capital physique et humain). Cette incidence négative est accrue par le défaut d’appariement entre offre et demande de formation en France, ainsi que par une mobilité géographique et intersectorielle insuffisante de l’offre de travail (Duhautois, 2005). La diminution du taux d’emploi est plus marquée dans les zones en reconversion industrielle et les secteurs atrophiés (ex. division par 2 du nb d’emplois dans le textile sauf sur les produits à haute valeur ajoutée comme la maroquinerie) mais peut aussi exister dans les services (effet de second tour) du fait de l’effet multiplicateur des emplois industriels (*3 à 4).

 

Le rôle de l’investissement dans la croissance économique

  • L’investissement est l’augmentation de la capacité productive par l’acquisition ou le remplacement d’équipements.
    • En comptabilité d’entreprise, la FBCF accroît le stock de capital productif en quantité et/ou en qualité.
    • La décision d’investir s’apprécie sur le moyen terme car il existe un délai avant l’accroissement effectif de la capacité productive. Deux conditions pour investir (loi de Wicksell, 1898) :
      • Confiance en des débouchés pérennes (« les carnets de commandes sont remplis»)
      • Profitabilité positive (profitabilité = rentabilité – taux d’intérêt nominal, càd que l’on n’investit davantage si la rentabilité est élevée et si les taux d’intérêt sont faibles)
      • C’est pourquoi la contribution de l’investissement à la croissance est particulièrement volatile : Ex. -12 % en 2009 ou formation de la bulle Internet par surinvestissement fin des années 1990 car la profitabilité anticipée des NTIC était surévaluée (effet Averch-Johnson, 1962). Après l’éclatement de la bulle, les entreprises provisionnent des dépréciations d’actifs et remboursent leurs dettes => contraction de l’investissement qui justifie l’intervention publique
      • Aujourd’hui, reprise du cycle d’investissement depuis 2015 car faibles taux d’intérêt, redressement des marges (40 % en 2016 pour les entreprises industrielles en France car baisse du prix des intrants et des CSU) et dépréciation de l’euro (-20 % par rapport à l’USD depuis 2015). Selon le cabinet Trendeo, les créations de sites industrielles ont été supérieures aux fermetures en France en 2017 (+25), ce qui constitue une première depuis la crise de 2008-2009.
    • Les leviers d’investissement sont multiples pour une entreprise : autofinancement, augmentation de capital (levée de fonds et/ou endettement (si accès au crédit, càd hors credit crunch ou flight to quality).

 

  • Les quatre catégories d’innovation :
    • une innovation de produit correspond à l’introduction d’un bien ou d’un service nouveau ou sensiblement amélioré sur le plan de ses caractéristiques ou de l’usage auquel il est destiné. Cette définition inclut les améliorations sensibles des spécifications techniques, des composants et des matières, du logiciel intégré, de la convivialité ou autres caractéristiques fonctionnelles.
    • une innovation de procédé est la mise en œuvre d’une méthode de production ou de distribution nouvelle ou sensiblement améliorée. Cette notion implique des changements significatifs dans les techniques, le matériel et/ou le logiciel.
    • une innovation d’organisation est la mise en œuvre d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de la firme ;
    • une innovation de marketing est la mise en œuvre d’une nouvelle méthode de commercialisation impliquant des changements significatifs de la conception ou du conditionnement, du placement, de la promotion ou de la tarification d’un produit.

Compétitivité et attractivité : deux notions voisines

  • La compétitivité est la capacité du secteur productif à répondre à la demande intérieure et étrangère tout en offrant aux résidents un niveau de vie croissant et soutenable.
    • Déterminants de la compétitivité-prix : CSU, taux de marge (EBE/VA), prix de l’énergie et du foncier, taux de change
    • Déterminants de la compétitivité hors-prix : niveau de gamme, qualification de la main-d’œuvre, qualité des infrastructures
    • MAIS les deux approches sont liées (faible compétitivité-prix = faibles marges = moindre investissement = moindre innovation). C’est pourquoi les stratégies de montée en gamme commencent par le rétablissement des marges des entreprises (ex. France depuis le CICE).

 

  • L’attractivité est la capacité à attirer des activités nouvelles et des facteurs de production mobiles (K et L qualifié) sur le territoire afin d’améliorer compétitivité et niveau de vie.
    • Déterminants de l’attractivité : environnement fiscal, qualité des infrastructures, qualification de la main-d’œuvre, prix et droit du travail
    • La France reçoit 17 % des IDE à destination du marché UE (dont 2/3 depuis des partenaires UE et 19 % depuis les USA), derrière l’UK mais devant l’AL. 20 k entreprises étrangères emploient 2 M de salariés en France et représentent 27 % de la R&D.

 

2. Les outils

 

Les politiques industrielles sectorielles et horizontales

  • La politique industrielle désigne l’ensemble des actions visant à modifier l’allocation des ressources dans le secteur productif par rapport à celles qui résulteraient spontanément des mécanismes de marché.
    • Les justifications de la politique industrielle font appel à des conceptions différentes du rôle de l’intervention publique dans l’économie :
      • Internalisation des externalités positives : R&D publique (effet multiplicateur de 0,9 sur la R&D privée selon Falk, 2004), incitations fiscales, investissement dans le K humain, y compris par la concentration spatiale des activités ex. formation de clusters (Krugman, 1991) => « Etat stratège»
      • Correction des imperfections de marché et des asymétries d’information (ex. facilitation de l’accès au crédit), levée des barrières à l’entrée et lutte contre la formation de monopoles naturels pour éviter les trappes à sous-investissement => « Etat mécano »
      • Sauvegarde d’industries stratégiques en difficulté ou en reconversion => « Etat brancardier»

 

  • Deux approches de la politique industrielle : sectorielles (« picking the winners») mais information aussi imparfaite pour les décideurs publics : Rodrik, 2005 : le choix des projets par l’Etat stratège peut être capturé par des intérêts privés et/ou myopes sur la rentabilité des projets) horizontales (corrections des imperfections de marché)
    • Traditionnellement, les politiques industrielles s’organisaient de manière verticale pour protéger (List, 1837) et/ou financer le développement de secteurs d’activité. MAIS les politiques industrielles ont progressivement adopté une approche horizontale établissant un environnement fiscal et réglementaire favorable au développement des entreprises industrielles dans le contexte de l’ouverture commerciale et après l’échec de certains projets :
      • Gropp, 2014 : un système de garanties publiques des prêts octroyés par les banques commerciales accroît le risque des crédits : ex. en Allemagne fin 2001 système de garanties comparable à des subventions indirectes faussant la concurrence et débouchant sur une allocation inefficiente du crédit => les banques ont changé de comportement lorsque leurs prêts n’ont plus été garantis, accordé des crédits moins risqués et de moindre volume afin de concentrer leurs ressources sur les projets considérés comme les plus performants)
      • Martin, 2008 : faible utilité des pôles de compétitivité (ex. de politique sectorielle) : 71 pôles en 2016, ont bénéficié de 2,3 milliards d’euros d’aides publiques. Certes, les études montrent qu’un doublement du nombre d’emplois sur un même territoire se traduit par des gains de productivité de l’ordre de 3 % à 8 % [Rosenthal, 2004] mais les mouvements de concentration territoriale des entreprises se réalisent spontanément (ex. chimie, automobile). Par ailleurs, certains secteurs peuvent retirer même un avantage de la dispersion géographique (ex. industrie du plastique) pour se localiser dans des zones d’emploi où les coûts de la main-d’œuvre sont plus faibles.
      • Duranton, 2011 : autre critique des politiques sectorielles : ce sont surtout les entreprises en déclin qui bénéficient de l’intervention des pouvoirs publics via la subvention et la sélection de projets spécifiques qui n’améliorent pas les performances des entreprises. D’où une préférence aujourd’hui pour les politiques horizontales.
    • Un exemple de politique horizontale : le soutien fiscal à l’innovation, notamment à travers le CIR (6 Md€/an, avec un impact de +0,3 PP sur la dépense de R&D selon la DG Trésor). MAIS la R&D française stagne à 2,2 % du PIB contre un objectif à 3 % dans la Stratégie de Lisbonne.

 

Le modèle allemand : compétitivité hors-prix

  • Une montée en gamme et une spécialisation réussies
    • La compétitivité prix, élément déclencheur : modération salariale (+2 % pouvoir d’achat des salariés entre 1991 et 2011 vs. +26 % du PIB/hab) => la croissance absorbée par les exportations (29 % du PIB en 1991 vs. 50 % en 2011)
    • Effort de R&D proche de l’objectif de la stratégie de Lisbonne (2,9 % vs. 3 % du PIB), forte capacité d’innovation pour repousser la frontière technologique (70 brevets triadiques déposés par million d’habitants vs. 50 aux USA et 35 en FR) et tournant de la robotisation : 19 000 achats par an (vs. 4 600 IT et 3 300 FR)
    • La différenciation par la qualité permet aux entreprises allemandes de garder une latitude dans la fixation de leurs prix de vente (faible élasticité-prix des exportations : 0,3 vs. 0,9 en FR) => améliore leur profitabilité, ce qui leur permet de maintenir un niveau élevé d’investissement (33 % de plus que la France) et donc un haut niveau de gamme (cercle vertueux)

 

  • MAIS le modèle de compétitivité allemand tient aussi à d’autres facteurs (Duval, 2012)
    • Tissu industriel (Mittelstand) et concentration spatiale des activités (350 000 PME actives à l’exportation vs. 100 000 en France) : héritage historique du fédéralisme (7 grandes métropoles avec plus de 1 million d’hab.) et de l’absence d’empire colonial
    • Faibles coûts de l’immobilier (8,3 € le m² à Berlin ou 14,2 € à Munich vs. 24,8 € à Paris ; +10 % entre 2000 et 2010 vs. +100 % en FR et part des ménages locataires en métropole supérieure à 67 %), vieillissement de la population active (effet Noria) et modèle de codétermination dans l’entreprise ont rendu possible la modération salariale

 

La réindustrialisation américaine : compétitivité prix

  • Entre 2010 et 2012, 500 000 emplois industriels créés liés à deux facteurs de compétitivité-prix (+35 % par rapport à l’UE) :
    • Compression des CSU : baisse de -4 % des salaires réels entre 2008 et 2012, distorsion de la répartition de la VA au profit du facteur K (+3 PP), réduction de l’écart des CSU avec le Mexique ou la Chine (moins de délocalisations)
    • Diminution du prix des intrants énergétiques : pic d’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en 2012 (2/3 de la production de gaz vs. 2 % en 2002) => baisse de moitié du prix du gaz naturel (3x inférieur aux prix UE et JAP car le gaz n’est pas un marché mondial contrairement au pétrole)

 

  • Fin des déficits jumeaux aux USA ? (Morris, 2013) Redeviennent exportateur net de produits pétroliers depuis 2012 : +15 Md$ en 2016 (première fois depuis 1949)
    • MAIS les prix de l’énergie constituent aussi un signal-prix pour orienter l’offre et la demande vers des sources d’énergie renouvelables
    • Par ailleurs, la distorsion de la répartition de la VA accroit les inégalités de revenus (Stiglitz, 2012) => problématique de l’augmentation du salaire minimum fédéral (+35 % sous Obama)
    • Enfin, on n’observe pas de réindustrialisation des secteurs fortement intensifs en travail, ex. textile partis vers Vietnam & Indonésie => faible incidence sur l’emploi industriel (Artus, 2014) : -80k emplois industriels en 2016. Et 2/3 des relocalisations dans les Etats du Sud (not. Texas), alors que la région des Grands Lacs a perdu plus de 4 PP de VA industrielle entre 2000 et 2014 (redistribution géographique).

Les dévaluations internes dans l’UEM

  • Dans les pays périphériques, la compression des CSU (+30 % entre 2000 et 2009 vs. +5 DE, puis -5 % SP et +5 % IT entre 2009 et 2015) a permis de réduire les déficits commerciaux (SP et IT : excédent de 1,5 % PIB) mais n’a pas encore entrainé une montée en gamme des produits exportés (donc forte sensibilité au prix)
    • Dévaluation interne = ensemble de mesures qui visent à modifier les prix relatifs afin d’améliorer la compétitivité d’un pays dans le cadre d’un régime de change fixe. Ces mesures peuvent porter sur les politiques du marché du travail, des biens et/ou sur la fiscalité.
    • En outre, ces politiques sont très coûteuses en emploi (pic du chômage à 26 % en SP et à 12 % en IT en 2013), cf. CEPII, 2012 (« Peut-on dévaluer sans dévaluer ? »)

 

  • En France, la politique de restauration des marges (EBE/VA) des entreprises peine encore à produire ses effets
    • Allègements des cotisations employeurs sur les bas salaires (jusque 1,6 SMIC), création du CICE (jusque 2,5 SMIC), Pacte de responsabilité (baisse des cotisations familiales jusque 3,5 SMIC, suppression de la C3S), baisse de l’IS à 25 % à horizon 2022 ~ 45 Md€ d’allègements de PO
    • Selon l’OFCE (2016), le CICE explique une baisse de -2,8 % des coûts salariaux unitaires dans l’industrie. Légère remontée des marges à 31,9 % de la VA en 2016 (+2 PP par rapport à 2014) mais toujours inférieures au niveau d’avant crise (32,7 % en 2007) => remontée du taux d’investissement (23,3 % de la VA en 2016 vs. 21,5 % en 2009)
    • Toutefois, le CICE s’étend jusqu’à 2,5 SMIC et ne concerne pas l’ensemble de la masse salariale des entreprises industrielles (il avait aussi un objectif d’emploi justifiant ce ciblage sur les bas salaires : env. 100 000 emplois créés ou sauvegardés en 2013-2015) ; par ailleurs, il ne bénéficie que pour moins d’un tiers aux secteurs exposés à la concurrence internationale (France Stratégie, 2017) ;
    • Mais ces politiques demeurent limitées parce qu’elles se concurrencent (jeu à somme nulle)

 

3. Les défis

 

A quoi ressemblera l’industrie du futur ?

  • Rapport du CAS sur les secteurs de la nouvelle croissance : une projection à horizon 2030 (2012) : le potentiel d’innovation technologique n’est pas épuisé (ex. médicaments de biosynthèse, soins électromagnétiques, création numérique, technologies environnementales, etc).
  • « 3ème révolution industrielle » = économie décarbonée et smart grids: utilisation des nouvelles technologies au service d’objectifs environnementaux [Rifkin, 2012]
  • Enjeux de l’usine du futur : lignes de production reconfigurables pour gagner en agilité (ex. chez Sogefi), fabrication additive en production (ex. impressions 3D chez Siemens), utilisation de robots intelligents, d’objets connectés et de technologies de réalité augmentée (ex. vérification des chantiers chez Airbus), insertion dans une logique d’efficience environnementale et d’économie circulaire (ex. chez Schneider), problématiques de bien-être et de qualification continue des salariés

 

Peut-on réindustrialiser la France ?

  • La simplification de l’environnement fiscal et réglementaire français, ainsi que de nouveaux investissements à l’échelle européenne permettraient d’enrayer et/ou d’atténuer les incidences négatives de la désindustrialisation :
    • S’agissant des dispositifs sociaux fiscaux (CICE, Aubry-Fillon, PRS), leur unification autour d’un allègement général des cotisations employeurs dégressifs de 1 à 3,5 SMIC, ainsi qu’une réduction de l’IS à 25 % à horizon 2022 (soit la moyenne UE) permettrait d’achever la stratégie de compétitivité-prix déjà entamée ;
    • La simplification du recours au chômage partiel (passage d’un régime d’autorisation administrative à un régime de déclaration) et la décentralisation des minima de branches au niveau des accords d’entreprise renforceraient la flexibilité interne des entreprises industrielles et la résilience de l’emploi en bas de cycle d’activité pour prévenir de futurs effets d’hystérèse ;
    • Au-delà, il conviendrait également de renforcer l’efficacité de l’appareil de formation français, qui participe également de ces effets d’hystérèse : y contribueraient un pilotage des filières d’apprentissage par les branches professionnelles et les régions, ainsi qu’un meilleur ciblage des financements de la formation professionnelle vers les demandeurs d’emploi (qui bénéficient aujourd’hui de 10 % seulement des financements) ;
    • Enfin, à l’échelle européenne, de nouvelles politiques industrielles verticales pourraient être financées (transitions environnementale et numérique) par la montée en puissance de nouvelles ressources propres à compter de 2020 (fiscalité carbone, taxe sur le chiffre d’affaires des GAFA, etc.) : en parallèle, la mise en œuvre de mesures protectionnistes temporaires pourrait également être envisagée (ex. préférence européenne pendant 5 ans pour l’accès des entreprises aux données publiques), en particulier si les Etats-Unis maintiennent leur décision de rehaussement de droits de douane.

 

La colocalisation : une stratégie d’avenir ?

  • Constat d’une mauvaise spécialisation géographique des exportations françaises (seulement 10 % vers l’Asie du Sud-Est alors que la Banque mondiale prévoit une croissance de 6,1 % dans cette zone en 2018)
    • Or les secteurs qui ont résisté sont les plus intégrés à l’international (ex. aéronautique +87 % production en volume entre 2000 et 2016) ou à haute valeur ajoutée (ex. produits pharmaceutique +72 % sur la même période) ; à l’inverse, les branches de basse technologie ont connu une forte désindustrialisation (ex. textile -51 %)
  • Question aujd : faut-il étendre cette stratégie au secteur automobile ? (ex. usine Renault à Tanger) : imitation du modèle allemand d’intégration des chaines de valeur en Europe centrale et orientale => externalisation des étapes du processus industriel les plus intensives en travail pour réaliser des gains de compétitivité-prix [Sinn, 2006: 4x plus d’importations de composants industriels par l’Allemagne depuis l’Europe de l’Est par rapport à la France]. Cette interdépendance génère des gains de profitabilité pour les entreprises, qui peuvent maintenir les sites nationaux [Pfaffermayr, 1994]
  • La France pourrait mener une telle politique de colocalisation avec les pays du Maghreb (seulement 1,7 % des IDE français) : faibles coûts de transport, proximité linguistique de la main-d’œuvre, stabilité géopolitique hors Tunisie. MAIS risque d’un effet négatif à court terme sur l’emploi national industriel.

Faut-il des « champions » industriels européens ?

 

  • Le modèle d’Airbus est-il duplicable ?
    • Né en 2000 du rapprochement du français Aérospatiale Matra, de l’allemand DASA et de l’espagnol CASA : le groupe réalise un CA de 67 Md€ en 2016, avec 133k salariés et 1 500 commandes/an (vs. 1 350 pour Boeing)
    • Les champs possibles pour de « nouveaux Airbus » sont nombreux (transport ferroviaire, automobile, défense, télécoms, chantiers navals) mais des freins qui s’y opposent également :
      • pas de consensus en Europe sur les politiques industrielles (choix des services notamment financiers en UK et aux NL)
      • une logique de concurrence entre les champions nationaux existants qui rend difficile la conclusion d’alliances (ex. Alstom Siemens dans l’énergie et le ferroviaire => rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electrics en 2014 ; idem échec du rapprochement France Télécom – Deutsche Telekom en 1999)
      • un enjeu de répartition des sites, des emplois et équilibre des pactes d’actionnaires (ex. opposition de l’Allemagne à la fusion BAE – EADS en 2012 ; s’agissant d’Airbus : sites à Toulouse, Hambourg, Getafe, etc.)
      • des choix stratégiques divergents au niveau micro-économique (ex. modèles différents de production d’énergie)
    • Les freins à la création de champions industriels européens (« Airbus de l’énergie ») sont plus d’ordre politique que juridique (droit de la concurrence de l’UE)

 

Les mesures du bien-être et du progrès social

S’il constitue un indicateur fiable pour mesurer la croissance économique, le PIB demeure limité dans sa portée. En particulier, il ne permet pas de rendre compte du niveau de bien-être et de progrès social dans une économie. Depuis les années 1990, les institutions internationales recherchent une mesure alternative du développement. Celle-ci intégrerait par exemple la soutenabilité environnementale ou les modalités de répartition des richesses. Parmi les indicateurs alternatifs a notamment émergé l’indicateur de développement humain (IDH). Aucun des nouveaux indicateurs n’a toutefois conduit à remplacer le PIB. Ils tendent plutôt à en constituer un complément du point de vue des décideurs publics.

 

1. Les indicateurs alternatifs de mesure du bien-être et du progrès social se sont développés depuis les années 1990 pour compléter le PIB

A. Le PIB constitue un indicateur fiable de la croissance économique mais limité dans sa portée

Le produit intérieur brut (PIB) mesure les richesses produites durant l’année par les unités résidentes. En méthode, il peut être approché soit par la production, soit par la demande, soit par les revenus. Par sa fiabilité, le PIB contribue à la conception et à l’évaluation des politiques publiques : il permet des comparaisons dans le temps et l’espace et il est utilisé pour déterminer d’autres indicateurs tels que le solde budgétaire structurel. Jusqu’à la fin des Trente Glorieuses, l’usage du PIB a ainsi fait consensus dans un contexte où accroissement des richesses et amélioration du bien-être se confondaient.

Toutefois, le PIB ne mesure que la croissance économique et non le bien-être. Ainsi, par construction, il n’intègre pas certaines activités socio-économiques telles que le travail domestique ou le bénévolat, dans la mesure où elles ne donnent pas lieu à valorisation sur un marché monétaire. Par ailleurs, sa mesure est indifférente au niveau des inégalités de revenus ou de patrimoine – ainsi, un accroissement du PIB par habitant peut masquer une répartition inégalitaire des richesses –, mais aussi aux externalités négatives que peut engendrer une hausse de la production, notamment au plan environnemental.

 

B. A partir des années 1990, la recherche d’indicateurs alternatifs au PIB retient une définition plus large du niveau de développement

Le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) introduit en 1990 l’indice de développement humain (IDH) sur la base des travaux d’Amartya Sen. Celui-ci tient compte du PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat, de l’espérance de vie à la naissance ou encore du taux d’alphabétisation des adultes ou du taux de scolarisation des enfants. En agrégeant plusieurs indices hétérogènes, l’IDH constitue ainsi un indicateur composite qui rend compte du niveau de développement au-delà des richesses monétaires.

A partir de la crise de 2007-2008, les institutions internationales relancent le débat sur les limites du PIB et la recherche de nouveaux indicateurs du bien-être et du progrès social. En 2007, la conférence « Beyond GDP » (« Au-delà du PIB ») et le Forum mondial d’Istanbul, qui réunissent la Commission européenne, l’OCDE, l’ONU et la Banque mondiale, marquent leur volonté de mettre en place de nouveaux indicateurs complémentaires du PIB. La commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social (« commission Stiglitz »), installée en 2008 par le président Sarkozy, souligne la nécessité d’inclure les inégalités dans la mesure du bien-être et inspire la création par l’OCDE du « Better Life Index » en 2012.

 

2. Parmi les indicateurs alternatifs au PIB, aucun ne s’est encore imposé dans la mesure du bien-être et du progrès social

A. Certains indicateurs monétaires sont utilisés comme alternatives au PIB mais lui restent fortement corrélés

 Plusieurs indicateurs monétaires sont aujourd’hui utilisés comme alternatives au PIB : en méthode, ils sont également issus des comptes nationaux, mais retiennent un périmètre différent du PIB. Ainsi, la commission Stiglitz recommande l’usage du revenu national disponible net (RNDN), qui tient compte du solde des échanges de revenus avec l’étranger et de la dépréciation du capital physique. Le RNDN reste toutefois fortement corrélé au PIB et sa mesure ne bouleverse pas la vision des niveaux de développement : les Etats-Unis se classent en 1ère position et la France en 5e.

D’autres facteurs permettent de compléter le PIB en y intégrant une dimension de soutenabilité sociale et environnementale. Ainsi, l’indice de bien-être durable (IBED) valorise les inégalités et des activités non monétaires telles que le travail domestique. L’indicateur de progrès véritable (IPV) le complète en intégrant le bénévolat et la charge de la dette. Bien que plus complets que le PIB, ces indicateurs ne retiennent toutefois qu’une approche limitative du bien-être (les temps de loisirs ou la qualité du capital humain n’y sont pas inclus) et conservent la dimension productive du PIB en valorisant en équivalent-revenu des activités non monétaires. Ils sont par ailleurs critiquables car ils ne rendent pas compte du caractère irréversible de certains dommages environnementaux.

 

B. Les indicateurs non monétaires promeuvent une approche radicalement différente du développement mais ne font l’objet d’un consensus ni sur leur définition ni sur leur opérabilité

 Parmi les indicateurs non monétaires, l’IDH reste le plus suivi : pour répondre aux critiques qui lui étaient adressées (caractère arbitraire des poids attribués aux différents facteurs), le PNUD y a renforcé depuis 2010 la prise en compte des inégalités sociales et de genre et a adopté une approche multidimensionnelle de la pauvreté non centrée sur sa seule dimension monétaire. En tête du classement de l’IDH figure la Norvège, les Etats-Unis se classent en 10e position et la France 21e. L’IDH ne fait toutefois à ce jour l’objet d’aucun usage opérationnel et n’a pas remplacé le PIB dans l’appréciation des décideurs publics.

En toute hypothèse, la construction d’un indicateur rendant compte de l’ensemble des dimensions du bien-être social et environnemental reste à achever. Elle soulève toujours des difficultés méthodologiques sur les modes de valorisation des composantes non monétaires du développement (par équivalent-revenu ou par un indicateur synthétique) et des discussions quant au périmètre à retenir (intégration potentielle de la qualité des relations sociales ou du niveau de sécurité par exemple). Par ailleurs, les différents indicateurs alternatifs ne modifient pas sensiblement la vision des niveaux de vie que fournit le PIB par habitant : ce sont globalement les mêmes pays qui combinent un revenu par habitant faible, des inégalités importantes, un fort taux de mortalité et un faible temps consacré aux loisirs. Enfin, des différences de nature demeurent entre soutenabilité de la croissance à long-terme (mesure de l’impact économique du réchauffement climatique et de l’épuisement des ressources naturelles) et bien-être social (approche du développement humain décorrélée de la mesure du PIB).

 

Classement des principaux pays à l’IDH (2016)

 

1 Norvège 0,949
2 Australie 0,939
2 Suisse 0,939
4 Allemagne 0,926
5 Danemark 0,925
5 Singapour 0,925
7 Pays-Bas 0,924
8 Irlande 0,923
9 Islande 0,921
10 Canada 0,920
10 Etats-Unis 0,920
16 Royaume-Uni 0,909
21 France 0,897
49 Russie 0,804
79 Brésil 0,754
90 Chine 0,738
131 Inde 0,624

Les conséquences économiques du vieillissement démographique

Dans son essai Perspectives économiques pour nos petits enfants (1933), John Maynard Keynes exposait son intuition que cent ans plus tard, une ère d’abondance sans précédent et une hausse sensible du niveau de vie résulteraient de l’accumulation du capital et du progrès technique. Les gains de productivité ainsi réalisés devraient nous permettre de ne travailler guère plus de 15 heures par semaine pour satisfaire nos besoins économiques. De fait, en 2030, l’ère de l’abondance aura fait disparaître la science économique, essentiellement liée à la notion de rareté.

 

Les perspectives démographiques, en particulier dans les pays développés, semblent pourtant démentir cette intuition. Dans une étude de 2001, l’OCDE mettait en effet déjà en évidence les conséquences économiques et budgétaires liées à l’allongement de l’espérance de vie et au vieillissement démographique, c’est-à-dire à l’accroissement de l’âge moyen de la population. Les conséquences budgétaires de cette dynamique de vieillissement, décrite comme « inéluctable et irréversible » selon les termes d’un rapport d’information de 1999 du Sénat français, ont amené les pays développés à repenser l’Etat social, sinon dans ses fondements, à tout le moins dans ses modalités, afin d’en assurer la soutenabilité face à la prévision d’une hausse sensible des dépenses sociales.

 

C’est en effet depuis les réformes du chancelier Bismarck dans l’Allemagne de la fin du XIXème siècle et, en particulier, depuis la fin du second conflit mondial, que les pays de l’OCDE ont mis en place des systèmes de financement public des pensions de retraites et de prise en charge des dépenses de santé. Ces systèmes sont fondés sur un principe de mutualisation des risques déjà conceptualisé dans la littérature de Léon Walras. Aussi les systèmes par répartition consistent-ils, notamment en France, à financer le versement de pensions de retraite par des cotisations prélevées de manière obligatoire sur la population active. Or, le vieillissement démographique, en accroissant le taux de dépendance, c’est-à-dire le rapport entre inactifs et actifs, semble remettre en cause la soutenabilité de cet Etat-providence, sauf à ce que des réformes n’en modifient le financement.

 

Cette interrogation se pose par ailleurs avec une singulière acuité pour les pays développés, qui ont terminé leur transition démographique, et où s’opère le départ à la retraite des cohortes issues de l’explosion démographique d’après-guerre – la génération du baby-boom devenant, un demi-siècle plus tard, celle du papy-boom. Le vieillissement démographique y est ainsi tout à la fois une source de satisfaction quant à la capacité du modèle de développement à allonger tant l’espérance de vie que l’espérance de vie en bonne santé, mais il est encore une source d’incertitudes quant à ses conséquences budgétaires. Toutefois, les conséquences économiques du vieillissement démographique ne sauraient être résumées à son incidence budgétaire puisqu’il pose également des enjeux quant à la structure et au niveau de la croissance potentielle.

 

Les pays développés sont le témoin d’une dynamique de vieillissement de leurs populations généralisée, bien qu’inégale, qui n’est pas sans conséquence sur le plan macroéconomique (I). Dès lors, ils ont entendu adapter leur modèle de protection sociale par des réformes de nature essentiellement budgétaire, mais qui pourraient toutefois être approfondies (II).

 

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La dynamique de vieillissement démographique, si elle est commune à l’ensemble des pays développés, s’y déploie toutefois de façon inégale (i) et soulève des questions économiques qui ne s’épuisent pas dans des enjeux de nature seulement budgétaire (ii).

 

Les populations des pays de l’OCDE vivent plus longtemps et en meilleure santé. L’espérance de vie moyenne s’y est en effet sensiblement allongée du fait d’une amélioration des niveaux de vie et de l’offre de soins de santé. Elle est ainsi passée de 66 ans en moyenne en 1960 à 78 ans en 2009. Mais c’est encore l’espérance de vie en bonne santé qui s’est allongée puisque les personnes retraitées vivent de plus en plus longtemps sans incapacité. Du reste, cette évolution se poursuivra probablement durant les décennies qui viennent du fait du développement de la biotechnologie et de microprocesseurs à vocation médicale, qui permettent d’envisager, selon l’OCDE (2012), un nouvel allongement de l’espérance de vie de plus de 7 ans en moyenne d’ici à 2050.

 

Cette dynamique d’allongement de l’espérance de vie opère toutefois de façon inégale entre les pays développés. Si certains biais de calculs peuvent inciter à la prudence quant à l’interprétation des chiffres établis à cet égard par chaque Etat, les statistiques de l’Eurostat permettent d’établir depuis 1971 des comparaisons internationales signifiantes. Ainsi, les femmes japonaises peuvent-elles aujourd’hui espérer, à la naissance, vivre en moyenne 89 ans, tandis que les hommes suisses peuvent espérer vivre 84 ans. De même, l’espérance de vie sans incapacité atteint 79 ans en Suède et en Norvège, tandis elle n’est que de 65 ans aux Etats-Unis. Les disparités entre femmes et hommes ont toutefois tendance à s’atténuer en la matière.

 

A cet allongement de l’espérance de vie moyenne se combine la faiblesse des taux de fécondité. Ceux-ci s’élèvent en effet en moyenne à 1,6 enfant par femme dans l’OCDE, alors qu’un taux de 2,1 enfants par femme serait nécessaire pour y maintenir une population stable. Mais la répartition des taux de fécondité est, ici aussi, inégale puisqu’ils sont de 1,1 enfant par femme en Italie, en Espagne ou en République Tchèque, de 1,4 en Allemagne et de 2,01 en France. Par comparaison, le taux de fécondité moyen atteint 4,6 enfants par femme sur le continent africain, ce qui traduit essentiellement le fait que la majorité des pays africains n’ont pas encore terminé leur transition démographique.

 

Cette combinaison d’un allongement de l’espérance de vie et de faibles taux de fécondité entraîne une contraction de la population des pays développés et, en son sein, une diminution de la part relative des actifs. Par symétrie, le taux de dépendance, c’est-à-dire le rapport entre le nombre d’individus âgés de 65 ans ou plus et le nombre des personnes de 20 à 64 ans, devrait, quant à lui, continuer à augmenter pour atteindre près de 50 % à l’horizon 2050 dans les pays de l’OCDE. Ce ratio moyen de 1,5 actif pour 1 retraité se décline toutefois ici encore de manière inégale, puisqu’il devrait être plus proche de 1,2 actif pour 1 retraité dans certains pays comme l’Allemagne ou le Japon. En France, la part des personnes de moins de 25 ans dans la population devrait, quant à elle, passer 28 % en 1990 à 21 % en 2050. En outre, la part des personnes très âgées devrait, elle aussi, s’accroître dans les pays de l’OCDE, puisque les personnes de plus de 80 ans, qui y représentent 4 % en 2010, devraient en effet y représenter 8 % en 2050. En 2060, un tiers des Français auraient ainsi plus de 60 ans et les plus de 85 ans seraient près de 5 millions, contre 1,4 million aujourd’hui.

 

Ce vieillissement démographique, s’il concerne au premier chef les pays occidentaux et le Japon, n’est toutefois pas totalement ignoré par les anciens Etats du bloc d’Europe de l’est ou encore par la Chine. Une politique fiscale défavorable aux adultes sans enfant a en effet été mise en œuvre en Union soviétique sous Staline et a  favorisé, au sortir de la guerre, un dynamisme démographique analogue au baby-boom de l’Europe occidentale. La Chine doit, quant à elle, faire face à une problématique analogue de vieillissement de sa population, dont les personnes de plus de 60 ans devraient représenter le tiers en 2035, et qui tire ses origines dans la politique publique de restriction des naissances, dite de « l’enfant unique », menée depuis les années 1970 et récemment assouplie, notamment pour ce qui concerne les minorités ethniques.

 

Or la contraction et le vieillissement de la population des pays développés devraient emporter des conséquences d’ordre budgétaire, mais aussi de nature macroéconomique.

 

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Le vieillissement démographique devrait en effet remettre au premier chef en question la soutenabilité des politiques publiques relatives à la prise en charge des pensions des retraités et des dépenses de santé. L’OCDE estime ainsi que les pressions budgétaires résultant de ce vieillissement démographique pourraient accroître de 6 % du PIB en moyenne les dépenses liées aux personnes âgées d’ici 2050. Cette contrainte budgétaire serait répartie entre 3 à 4 points de PIB supplémentaires alloués au financement des retraites, qui représentent aujourd’hui 7,5 % du PIB dans l’OCDE, et 2 à 3 points de PIB de dépenses de santé supplémentaires. L’ancien Chief Economist de l’OCDE, Ignazio Visco, ajoutait, du reste, dans une étude de 2001 qu’il appartiendrait sans doute de réévaluer ces prévisions, fondées sur des hypothèses d’évolution du marché du travail et de la productivité sans doute trop optimistes.

 

Cette pression budgétaire trouve son origine tant dans la stagnation de la population active, et donc des assiettes sur lesquelles est assis le financement social, que dans la hausse du taux de dépendance. Toutes choses égales par ailleurs, le vieillissement de la population accroît en effet la demande de soins dans la mesure où les dépenses médicales sont deux fois plus importantes au-delà de 60 ans et sont encore multipliées par deux au-delà de 80 ans. Le développement ou l’apparition de certaines maladies chroniques ou lourdes participent encore de cette pression budgétaire.

 

Ces perspectives d’une contrainte budgétaire accrue résultant du vieillissement démographique peuvent toutefois être nuancées. Le lien statistique entre âge et dépenses de santé provient en effet essentiellement de ce que les deux dernières années de la vie concentrent la majeure partie des dépenses de santé. Ainsi, le vieillissement démographique ne représente-t-il, per se, qu’un dixième de l’évolution des dépenses de soins en France depuis 1960 [L’Horty, Quinet, Rupprecht, 1997]. Ce serait bien plus un effet de génération qui expliquerait cette évolution liée à la médicalisation des modes de vie, à la hausse du niveau de vie, qui incite davantage à ne plus regarder la santé comme un « bien supérieur » au sens de Vleben (1934), mais encore au développement de l’offre de soins et à la baisse du prix relatif des médicaments [Thomas, 1975]. Or, il n’est pas exclu de penser que de nouvelles innovations dans le secteur médical diminueront encore plus avant le coût des traitements, comme ce fut par exemple le cas avec le vaccin contre la polio. De même, le recul de la morbidité, et donc de l’âge à partir duquel les dépenses de santé s’accroissent, pourra également participer à atténuer les conséquences budgétaires du vieillissement. A titre d’exemple, bien que le Japon ait la population la plus âgée de l’OCDE, la part des dépenses de santé y demeure modérée à 10,2 % du PIB en 2014, contre 11,5 % en France et en Allemagne, ou encore 17,1 % aux Etats-Unis. Enfin, les économies réalisées en termes de dépenses liées au chômage et à l’éducation du fait du vieillissement démographique et de la stagnation de la population active pourraient également pour partie compenser la pression budgétaire décrite ci-haut.

 

Les conséquences économiques du vieillissement démographique ne sauraient toutefois s’épuiser dans une contrainte budgétaire puisqu’elles sont encore de nature à affecter la croissance potentielle des économies développées. Les politiques malthusiennes de partage du travail ont en effet pu postuler que la croissance de la population active était un frein à la croissance économique, ce qui a pu justifier, dans les années 1960 et 1970, la fixation d’un objectif de croissance démographique nulle dans certains pays nouvellement décolonisés. Or les études démographiques [Sauvy, 1954] comme macroéconomiques [Solow, 1956] ont tout au contraire montré que la croissance de la population active avait un effet positif et non négatif sur la croissance potentielle d’une économie. Du fait du vieillissement, la population des pays développés devrait stagner puis diminuer à l’horizon 2050, entraînant une baisse du sentier de croissance potentielle à long terme jusqu’autour de 1 à 1,5 point en moyenne par an en Europe occidentale. Dès lors, la croissance potentielle des pays de l’OCDE devrait reposer sur la seule productivité du facteur travail.

 

Or, la productivité du facteur travail devrait, elle aussi, légèrement décliner sous l’effet du vieillissement de la population active. La part des travailleurs âgés de 55 à 64 ans devrait en effet passer de 13,2 % à 17,4 % d’ici à 2020 en Europe, ce qui devrait favoriser le ralentissement de la productivité, sauf à ce qu’un vif effort d’adaptation des postes de travail et de mécanisation soit réalisé. Un pays comme le Japon, où 42 % de la population sera âgée de 60 ans et plus d’ici 2050, compte à cet égard déjà 339 robots industriels pour 10 000 employés, contre 55 pour la moyenne mondiale. Le vieillissement de la population active, si elle fige pour partie les innovations techniques et de procédés, peut en outre être également une source d’expérience et de savoir-faire, compensant ainsi pour partie cet effet négatif sur la productivité. De même, l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé est source d’un bien-être, y compris au travail, qui y favorise la productivité.

 

Le vieillissement démographique devrait encore modifier la structure du marché du travail. Il devrait en effet favoriser la hausse du taux d’emploi féminin, prévu à 65 % en 2025 contre 55 % en 2004 en Union européenne, du fait du remplacement graduel des femmes âgées par des femmes plus jeunes ayant un niveau de formation supérieur et dont le taux d’activité est plus élevé. En revanche, le besoin accru de financement de la protection sociale devrait accentuer le coin salarial et accroître ainsi le prix du travail, sauf à ce qu’une partie des cotisations sociales soit basculée vers une autre assiette, et notamment sous la forme d’une fiscalité indirecte (c’était par exemple le sens du relèvement du taux marginal de la TVA de 3 points en Allemagne en 2007).

 

Cette évolution structurelle du marché du travail se combine avec une évolution de la demande globale dans les pays développés. Ainsi, l’évolution de la consommation des ménages – qui vieillissent, donc – devrait accentuer la demande d’emplois de service, en particulier de services de proximité, et de soins de santé, ce qui favorisera en retour la demande de travail dans ces secteurs d’activité. La spécialisation des économies développées dans la production de services non échangeables devrait ainsi se poursuivre aux dépens de la production de biens manufacturés. Cette évolution vers une « société postindustrielle » [Fourastié, 1949] de moindre intensité capitalistique devrait, en retour, avoir encore un effet négatif sur les gains de productivité [Baumol, 1966], et donc sur la croissance potentielle, ainsi qu’un effet désinflationniste [Artus, 2015].

 

Mais le vieillissement démographique devrait également avoir une incidence sur le comportement d’épargne des ménages et, partant, sur l’abondance relative des facteurs capital et travail dans les économies développées. Il résulte en effet de la théorie du cycle de vie [Modigliani, 1953] que les individus, souhaitant lisser leur niveau de consommation tout au long de l’âge adulte, constituent pendant leur vie active un patrimoine qui constituera une réserve de consommation au moment de leur retraite. A suivre Modigliani, le vieillissement devrait donc accentuer la désépargne et exercer une pression à la baisse sur le prix des actifs. Mais cette théorie du cycle de vie ne semble pas totalement opératoire empiriquement puisqu’elle peine à rendre compte du comportement de populations, pourtant vieillissantes, comme celles de l’Allemagne ou du Japon, qui continuent à épargner. De même, en France, le système de retraites par répartition emporte une certaine solidarité entre générations qui incite les retraités à continuer à épargner. Le modèle de croissance de Ramsey (1928) a pu, à cet égard, expliquer ces comportements altruistes par lesquels l’individu préserve une partie de son revenu accumulé, qu’il souhaite léguer à ses descendants.

 

La théorie du cycle de vie ne permet pas davantage de rendre compte des flux de capitaux à l’échelle internationale, alors même que le vieillissement démographique pourra contribuer à en modifier la structure. A suivre Modigliani, il pourrait être en effet déduit que les pays relativement plus jeunes, en l’espèce les pays du Sud, constituent une épargne qui serait pour partie consommée par les pays relativement plus âgés, au Nord. Or, en réalité, les flux de capitaux sont davantage orientés du Sud vers le Nord, ce qui constitue un « paradoxe » [Lucas, 1990] au regard de la théorie du cycle de vie, mais encore de la situation qui a pu prévaloir au XIXème siècle, où les mouvements de capitaux étaient orientés de l’Europe vers les Etats-Unis et l’Amérique du Sud, relativement plus jeunes et où les investissements paraissaient davantage rentables.

 

Il semble donc possible de conclure que le vieillissement démographique aura, dans une certaine mesure, un effet positif sur le taux d’épargne dans les pays développés. Le démenti empirique à la théorie du cycle de vie peut, à cet égard, être pour partie attribué à l’ancrage des anticipations des agents économiques en matière de pérennité des systèmes de retraites et au rattrapage opéré, par les retraités, en rapport avec le niveau de vie des actifs. Le vieillissement démographique participera toutefois de l’exercice d’une pression négative sur la demande globale [Keynes, 1937, Hansen, 1939, Myrdal, 1940], du fait notamment de la raréfaction des jeunes couples [Todd, 1998]. La dépression de la demande globale serait, en outre, accrue dans l’hypothèse où, n’ayant pas confiance dans la soutenabilité du système de protection sociale, les actifs anticipaient un revenu permanent plus faible qu’attendu [Friedman, 1957]. Cette évolution macroéconomique pourrait, du reste, contribuer à un rééquilibrage de la balance courante des pays développés en favorisant les mouvements de capitaux vers les pays émergents et en déprimant pour partie les importations de biens manufacturés par les pays développés.

 

Enfin, le vieillissement démographique pourrait contribuer à ralentir la dynamique du marché immobilier. Les personnes âgées de 60 ans et plus changent en effet plus rarement de logement ou d’habitation puisque, durant les dix dernières années, seule une sur cinq a changé de logement en France, contre une sur deux pour l’ensemble de la population. Cette évolution s’accentue dans la tranche de 70 à 80 ans, où 60 % des personnes occupent leur logement depuis 25 ans en moyenne. De même que l’offre devrait ainsi se réduire, la demande devrait, elle aussi, ralentir, puisqu’il résulte du vieillissement démographique un nombre plus faible de candidats à la primo accession sur le marché immobilier. Ce phénomène explique, déjà, la stagnation du marché immobilier en Allemagne (croissance des prix de +10 % entre 2000 et 2010 contre +100 % en France) ou au Japon.

 

L’appréciation des conséquences budgétaires et macroéconomiques du vieillissement démographiques dépend donc d’une série de paramètres dont la prévision, a fortiori à long terme, semble difficile. Mais le doute pesant quant à la soutenabilité des systèmes sociaux suffit à susciter la méfiance des actifs à leur égard, alors même que la confiance constitue l’un des éléments de la soutenabilité d’un système de mutualisation des risques. C’est pourquoi, les pays développés ont entendu, notamment depuis les années 1990-2000, anticiper un vieillissement démographique qui, à défaut de pouvoir en quantifier de manière tout à fait exacte les conséquences économiques, apparaît à tout le moins inéluctable dans son principe. Les ajustements ainsi rendus nécessaires constituent, du reste, l’un des principaux changements structurels auxquels sont confrontées les économies de l’OCDE.

 

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C’est bien pour répondre aux conséquences ainsi mises en évidence du vieillissement de leurs populations que les pays développés ont mis en œuvre des réformes du financement de leur protection sociale, en particulier depuis les années 1990 et 2000 (i). Ces politiques gagneraient cependant à être approfondies et à ne pas envisager la dynamique de vieillissement des populations dans les seuls termes d’une contrainte budgétaire, mais à la regarder encore comme une opportunité, en particulier pour favoriser le développement d’une épargne de longue durée utile au financement de l’économie (ii).

 

Ce sont, au premier chef, les systèmes de financement des pensions de retraite qui font l’objet d’un ajustement structurel. La soutenabilité des régimes de retraites par répartition est en effet, par construction, liée aux évolutions démographiques. Un déficit structurel y apparaît, dès lors, sous l’effet du vieillissement démographique et qu’il appartient de corriger. De même, les régimes de retraite par capitalisation, et en particulier la gestion des fonds de pension qui en assurent le financement, ont pu faire l’objet d’erreurs d’appréciation, notamment au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, quant aux paramètres macroéconomiques qui en constituaient le déterminant, et en particulier les gains de productivité.

 

Or, un statu quo budgétaire n’apparaît pas envisageable puisque les régimes de retraite, devenus insoutenables, ne permettraient alors plus d’assurer aux retraités un revenu de remplacement suffisant, minant en retour la confiance des actifs dans ledit système. La solution consistant à alourdir l’endettement social ne semble, du reste, guère opérante, dès lors que les systèmes sociaux connaissent davantage un déficit structurel qu’une seule crise de liquidité. Cette solution semble encore davantage exclue dans un contexte où l’endettement public atteint, dans les pays de l’OCDE, un niveau à partir duquel elle a un effet négatif sur la croissance potentielle [Reinhart, Rogoff, 2009]. Il n’est pas davantage raisonnable de penser que la seule hausse de la fécondité ou l’immigration pourraient permettre de répondre en totalité à cette pression budgétaire. Une solution seulement migratoire emporterait en effet d’autres problématiques de nature davantage politiques et serait, du reste, largement insuffisante si elle demeurait au niveau actuel puisque l’immigration de travail représente par exemple 20 000 arrivées par an en France, par comparaison avec une contraction de la population active de l’ordre de 70 000 par an à l’horizon 2030. Le taux de fécondité semble, quant à lui, faiblement lié aux crédits éventuellement alloués à une politique familiale, mais bien davantage à la structure du marché du travail, selon qu’il incite ou non les jeunes actives à avoir des enfants tout en pouvant retrouver leur emploi à l’issue de leur grossesse.

 

C’est pourquoi, des ajustements dans les modalités des systèmes de protection sociale ont été réalisés dans l’objectif d’une équité intergénérationnelle. Ces réformes ont pu consister à inciter la population active à travailler plus longtemps, à augmenter les taux d’activité de certains segments de population (jeunes, femmes ou séniors) afin d’élargir l’assiette sur laquelle sont assises les cotisations, à accroître le poids de ces mêmes cotisations, avec toutefois un effet positif sur le prix du travail, ou encore à exercer une pression à la baisse sur les revenus de remplacement perçus par les retraités.

 

Ces réformes ont d’abord conduit à un allongement de l’âge légal de départ à la retraite dans les pays développés. Celui-ci sera en effet supérieur, à terme, à 65 ans dans la moitié des pays de l’OCDE, dont le Canada, le Japon ou la Suède. Il est compris entre 67 et 69 ans pour treize d’entre eux, dont l’Allemagne, la Norvège, l’Espagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. Certains pays ont, du reste, choisi de lier formellement l’âge de départ avec l’espérance de vie, tels que le Danemark ou l’Italie. Des relèvements de l’âge légal sont en cours ou prévus dans 28 des 34 pays de l’OCDE. Ils ne permettront toutefois d’absorber totalement les effets de l’allongement de l’espérance de vie que dans six de ces pays pour les hommes et dix pour les femmes.

 

C’est pourquoi, l’OCDE suggère à ses pays membres d’inciter à une augmentation du nombre moyen d’années que les individus passent dans la population active. Cette recommandation a été mise en œuvre notamment par la suppression d’incitations financières à la préretraite, de deux à cinq ans avant l’âge légal en France, et de contre-indications à un départ plus tardif à la retraite, en particulier les législations qui interdisent le travail à ceux qui perçoivent une pension de vieillesse. Le taux de participation des travailleurs âgés de 55 à 64 ans à la population active a ainsi augmenté de 33 % à 55 % en moyenne dans l’OCDE depuis vingt ans [Mojon, Ragot, 2018].

 

Ces réformes ont été accompagnées, d’une part, d’une réduction de la part des pensions financée par la collectivité. Les prestations qui seront perçues à l’avenir ont en effet été réduites de 20 à 25 % par les réformes menées dans les pays de l’OCDE durant les dix dernières années. Ces réductions sont tant le fait de l’entrée en vigueur de nouvelles règles de calcul des prestations moins favorables (tant avec la prise en compte d’un plus grand nombre de trimestres dans le secteur privé que par l’alignement progressif de régimes spéciaux sur le régime général), ou encore d’une désindexation totale ou partielle de l’évolution desdites prestations par rapport à l’inflation. Cette solution de la désindexation partielle est d’ailleurs aujourd’hui étudiée par le gouvernement français, faisant suite à la négociation entre partenaires sociaux relative aux régimes complémentaires.

 

Des incitations à la diversification des sources de financement de la protection sociale ont, d’autre part, tendu à associer systèmes de prélèvements et revenus de transferts, systèmes de capitalisation et accumulation d’une épargne privée. Ainsi, des allègements d’impôt ont-ils été consentis pour inciter notamment les plus faibles revenus et les jeunes à constituer une épargne privée. Treize pays ont, dans l’OCDE, rendu les pensions privées obligatoires, notamment l’Australie, où les retraités peuvent espérer toucher des revenus de remplacement équivalent à 60 % des revenus des actifs, contre 50 % en moyenne dans les autres pays.

 

Des réformes tendant à la maîtrise de l’ensemble des dépenses sociales, et en particulier des dépenses de santé, ont par ailleurs été menées dans les pays développés. Les récents exemples de la loi dite Obamacare aux Etats-Unis, ou encore de la création en France d’un objectif national des dépenses d’assurance-maladie en 1996, témoignent de cette démarche.

 

Enfin, la création d’instituts indépendants chargés de l’établissement de prévisions budgétaires relatives au vieillissement démographique a pu contribuer à en accroître la fiabilité et la légitimité. Ainsi, le Conseil d’orientation des retraites créé en France en 2000 propose, chaque année, un abaque associé aux projections démographiques et budgétaires actualisées. De même, les travaux de la Commission européenne dans le cadre du Comité de politique économique permettent de disposer de projections démographiques et budgétaires aussi peu incertaines que possible.

 

Si l’ensemble de ces réformes a été mis en œuvre de façon progressive en vue d’en réduire les effets redistributifs (un Fonds de réserve des retraites a été créé en France à cet effet), leur ambition semble toutefois aujourd’hui insuffisante. C’est pourquoi, ces réformes pourraient être poursuivies dans leur démarche, tout en approfondissant la prise en compte par les politiques publiques des conséquences, non plus seulement budgétaires, mais macroéconomiques, du vieillissement démographique.

 

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Plusieurs axes peuvent contribuer à l’approfondissement des réformes menées depuis une vingtaine d’années :

 

> Il appartiendrait d’abord d’apporter une réponse non plus seulement conjoncturelle mais de nature structurelle afin d’assurer la soutenabilité à long terme des régimes de retraite.

 

La réponse apportée par les politiques publiques à la dynamique de l’espérance de vie doit en effet être de nature dynamique et lier l’évolution démographique avec l’évolution de la durée de cotisation. Ce lien peut être opéré par la voie légale ou réglementaire en prévoyant un réexamen périodique des modalités de financement de la protection sociale. C’est notamment le principe qui semble prévaloir pour le cas des réformes des retraites successives en France. Mais la succession de réformes participe toutefois, pour partie, à rendre le système difficilement lisible et, partant, à accroître l’incertitude des actifs quant à sa soutenabilité [Bozio, Piketty, 2008].

 

Une réponse alternative, et qui pourra à bien des égards apparaître davantage satisfaisante, consisterait à mettre en œuvre un système dynamique, dit « à points », fondé sur l’accumulation d’un capital virtuel durant la vie active et qui serait consommé au moment du départ à la retraite. Le montant des prestations versées durant le temps de la retraite serait alors fonction du montant du capital virtuellement accumulé durant la vie active. Le choix de l’âge de départ à la retraite constituerait alors un arbitrage individuel consistant à choisie de continuer à travailler plus tard afin de bénéficier d’une retraite plus conséquente ou, tout au contraire, de décider de partir plus tôt à la retraite tout en renonçant à bénéficier de pensions plus conséquentes. Dès lors, le système étant dynamique, il est structurellement à l’équilibre. C’est le sens de la réforme qui a été menée en Suède dans les années 1990 et dont a notamment pu s’inspirer, pour partie, l’Italie.

 

Des aménagements peuvent permettre de prendre en compte dans le calcul des prestations, au titre de facteurs d’équité, le degré de pénibilité des emplois occupés durant la vie active, ainsi que la structure des carrières (en particulier pour les carrières longues). De fortes disparités existent en effet entre les catégories socioprofessionnelles pour ce qui concerne l’espérance de vie à 65 ans, qui constituent un frein à la mobilité professionnelle et que les réformes successives ont jusqu’ici insuffisamment prises en compte. De même, l’introduction d’un revenu de remplacement universel financé par l’impôt peut constituer un « filet de sécurité » (safety net) pour les populations ayant peu ou pas exercé d’activité professionnelle.

 

Du reste, la méthode employée semble déterminer en grande partie les chances de succès d’une telle réforme. La voie d’une réforme négociée permettant d’associer l’ensemble des parties prenantes à l’élaboration d’un diagnostic partagé, puis de pistes de financement, est davantage de nature à en garantir la pérennité. Ainsi, douze ans, et plusieurs alternances politiques, se sont-ils écoulés en Suède entre la mise en place de la première commission de réflexion en 1991 et le premier versement des prestations sous l’empire du nouveau régime, en 2003.

 

> A défaut ou en complément d’une telle réforme structurelle du financement de la protection sociale face au vieillissement démographique, les pays développés pourraient poursuivre leur dynamique de réforme en introduisant une dimension modérée de capitalisation et en favorisant le maintien d’une assiette large pour son financement.

 

Une dimension de capitalisation peut en effet permettre de compléter le versement de pensions publiques. Cette capitalisation gagnerait à être de nature obligatoire, sur le modèle des fonds de pension en Allemagne, aux Etats-Unis, au Japon ou au Royaume-Uni. Un système mixte associant ainsi financement public et capitalisation permettrait d’assurer un financement plus pérenne et fondé sur une plus grande responsabilisation individuelle.

 

Le régime de capitalisation comporte toutefois un certain nombre d’inconvénients qui justifient le maintien d’une part élevée de financement public de la protection sociale. L’introduction d’une dimension de risque individuel lié au capital participe en effet d’une relative instabilité des revenus de remplacement. C’est pourquoi, il appartiendrait, dans cette hypothèse, d’assurer la protection des épargnants contre le défaut des fonds de pension. Celle-ci impliquerait d’imposer des règles prudentielles relatives à la gestion déléguée des fonds de pension ainsi que d’apporter une garantie publique aux dépôts et de maintenir un filet de sécurité suffisant.

 

De même, l’employabilité des personnes les plus âgées doit être encouragée afin d’augmenter la taille de la population active contribuant au financement de la protection sociale. La formation continue ou encore des dispositifs de départ progressif à la retraite avec maintien dans l’emploi à temps partiel peuvent y contribuer (les réformes Hartz en Allemagne ont expérimenté le principe d’une aide de retour à l’emploi pour les plus de 50 ans). L’amélioration du capital humain participerait, en outre, à la stimulation du potentiel de croissance dans une approche endogène [Becker, Lucas, 1988].

 

La prise en charge de la dépendance constitue enfin une contrainte budgétaire que les pays développés devront davantage intégrer. Le financement de la dépendance représentait en effet seulement 0,5 % du PIB dans les années 1990 en France et triplera d’ici 2060, mais le relèvement progressif des cotisations sociales devrait permettre, dans les années qui viennent, de financer l’augmentation du nombre de places médicalisées et le développement de services permettant le maintien à domicile des personnes dépendantes.

> Les conséquences économiques du vieillissement démographique ne devraient toutefois pas être abordées dans une approche seulement budgétaire, mais elles peuvent encore constituer une opportunité pour améliorer l’allocation de l’épargne dans les économies développées.

 

Le surcroît d’épargne qui résulte du vieillissement démographique pourrait en effet être alloué de façon utile aux économies développées. Si les trustees au Royaume-Uni ont par exemple pu préférer une gestion recherchant essentiellement une rentabilité à court-terme, la promotion de l’épargne longue pourrait par contraste contribuer à la mise en place d’un modèle de développement plus soutenable vis-à-vis de l’extérieur, et notamment des pays émergents. Elle pourrait en effet tant financer des projets de reconversion industrielle que participer au rééquilibrage de la balance courante de ceux des pays du Nord qui sont à cet égard déficitaires.

 

Il semble en revanche qu’il faille exclure une solution qui consisterait à allouer ce surcroît d’épargne au seul refinancement de la dette publique, dans une perspective de « répression financière » [Reinhart, Sbrancia, 2001]. L’épargne serait alors en effet consacrée à des dépenses peu productives, en l’espèce, le paiement des intérêts sur la dette publique. De même, la France a, jusque lors, davantage favorisé un placement comme l’assurance-vie (1 600 Md€ d’encours) ou encore des investissements immobiliers, qui semblent pourtant peu susceptibles d’y accroître le potentiel productif. Le projet de loi dit « PACTE » devrait prévoir en ce sens une portabilité des comptes d’épargne retraite (200 Md€ d’encours) et la déductibilité fiscale des versements volontaires sur ces comptes afin d’en accroître l’encours de +50 % d’ici 2022.

 

 

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La dynamique de vieillissement démographique se déploie donc de façon inégale au sein des pays développés et soulève des questions économiques qui ne s’épuisent pas dans des enjeux de nature seulement budgétaire. Or c’est bien pour répondre à ces enjeux économiques que les pays développés ont mis en œuvre des réformes du financement de leur protection sociale. Celles-ci gagneraient toutefois à ne pas envisager la dynamique de vieillissement démographique dans les seuls termes d’une contrainte budgétaire, mais à la concevoir comme une opportunité de favoriser le développement d’une épargne de longue durée utile au financement de l’économie.

L’évaluation et l’efficacité de l’action et de la dépense publique

Synthèse : Si l’évaluation de l’efficacité et de l’efficience des dépenses publiques en France est assurée par une série d’acteurs institutionnels, celles-ci demeurent insuffisamment sélectives. Les précédents étrangers (Suède, Canada, Royaume-Uni, etc.) montrent pourtant qu’une sélectivité accrue dans l’évolution des dépenses publiques, et notamment un meilleur ciblage des transferts sociaux, figure parmi les conditions pour accroître leur efficience. Y figurent également l’activation des dépenses d’intervention, l’évaluation des dépenses fiscales préalablement à leur reconduite, ainsi que le portage interministériel d’une telle stratégie de revue générale des dépenses publiques.

 

  1. L’évaluation de l’efficience de la dépense publique montre que celle-ci demeure insuffisante en France

A. L’évaluation de l’efficacité et de l’efficience des dépenses publiques est réalisée par une série d’acteurs institutionnels

L’efficacité d’une politique publique mesure l’atteinte ou non des objectifs qui lui sont assignés. Par extension, une dépense publique est dite efficace si elle contribue à la réalisation de ces objectifs. L’efficience d’une politique publique mesure quant à elle l’adéquation entre les moyens qu’elle engage et les performances qu’elle induit. Dès lors, une dépense publique est dite efficiente si son montant apparaît proportionné au bénéfice socio-économique qu’elle engendre. Aussi la notion d’efficience apparaît-elle la plus opérante pour évaluer la pertinence des dépenses publiques.

Cette évaluation est réalisée sous la forme d’un contrôle interne aux administrations, soit qu’il soit réalisé au sein-même des ministères par les services chargés de l’analyse financière et budgétaire des politiques sectorielles, soit qu’il soit réalisé par des missions d’inspections interministérielles qui peuvent notamment conduire des revues de dépenses (ex. sur les aides personnelles au logement en 2015). Cette évaluation peut également être réalisée par un contrôle externe exercé par les parlementaires par le biais de leurs auditions ou des rapports spéciaux au projet de loi de finances, par la Cour des comptes au titre de l’article 47-2 de la Constitution, par des organismes internationaux avec les recommandations de la Commission européenne ou du Fonds monétaire international, ou encore par des études économiques telles que celles du Conseil d’analyse économique.

 

B. L’insuffisante sélectivité des dépenses publiques en France conduit à des effets d’éviction au plan macro-économique

L’évolution des dépenses publiques se caractérise en France par une insuffisante sélectivité, ce qui signifie que leur structure et leur répartition entre périmètres ministériels sont peu affectées par les évolutions globales du ratio dépenses publiques/PIB. Sur une échelle de 0 à 20, l’indicateur de sélectivité dans l’évolution des dépenses publiques s’élève ainsi entre 2009 et 2012 à 4,5 en France, contre 6,1 en Allemagne, 8,4 au Danemark ou 13,2 au Royaume-Uni [Lorach et Sode, 2015]. Par ailleurs, le poids des dépenses contraintes est croissant dans l’ensemble des administrations publiques, aux dépens des dépenses d’investissement. Ainsi, la masse salariale a crû de +90 % au sein des administrations publiques locales entre 2000 et 2016, contre une évolution de +22 % pour les dépenses d’investissement.

Dépenses publiques en écart à la moyenne de la zone euro en 2015, en points de PIB

Au plan macro-économique, cette insuffisance sélectivité dans l’évolution des dépenses conduit à des effets d’éviction. Ceux-ci réduisent tant l’effet multiplicateur (lorsqu’une unité de dépense publique génère une unité ou plus de revenus) que l’effet déclencheur des dépenses publiques (lorsqu’une unité de dépense publique déclenche une unité de dépense privée). En premier lieu, la productivité marginale des dépenses publiques se réduit lorsque le part des dépenses de guichet et de personnel s’accroît au détriment des dépenses publiques d’investissement. En deuxième lieu, les dépenses privées d’investissement sont contraintes par l’accroissement du besoin de refinancement de la dette publique, dont la charge d’intérêts atteint 42 Md€ pour l’Etat en 2018. En troisième lieu, des biais de sélection dans l’allocation des ressources publiques peuvent également contribuer à réduire l’efficience de la dépense publique. A titre d’illustration, seules 30 % des dépenses du Fonds européen pour le développement régional ont induit un effet positif sur le revenu [Becker, 2013].

Indicateur de sélectivité dans l’évolution de la dépense publique entre 2009 et 2012

 

2. Pour améliorer la sélectivité de ses dépenses publiques, la France doit privilégier leur activation et leur rationalisation en incluant les dépenses fiscales

A. Plus qu’une approche horizontale, une meilleure sélectivité des dépenses publiques permet d’assurer leur efficience

L’approche horizontale a jusqu’ici été retenue dans l’évolution des dépenses publiques en France. Ainsi, la révision générale des politiques publiques entre 2007 et 2012 a conduit à fixer une norme de non-remplacement d’agents publics et de non revalorisation du point d’indice afin contenir l’évolution de la masse salariale publique. Elle a représenté une économie budgétaire de 11 Md€ sur cinq ans par rapport à l’évolution tendancielle de la masse salariale des administrations publiques. Toutefois, c’est principalement le niveau des transferts sociaux qui rend les dépenses publiques françaises atypiques : elles sont en effet supérieures de 5,5 points de PIB à la moyenne de la zone euro en matière de protection sociale et de santé [CAE, « Quelle stratégie pour les dépenses publiques ? », 2017]. Or ces dépenses correspondent à des préférences collectives jusqu’ici non remises en cause.

Dans les pays qui ont davantage accru l’efficience de leurs dépenses publiques, leur évolution s’est caractérisée par une plus grande sélectivité et notamment par un meilleur ciblage des transferts sociaux. Ainsi, le Royaume-Uni a combiné entre 2009 et 2012 une évolution négative de ses dépenses publiques en volume (-2,4 %) et un indicateur de sélectivité élevé (13,2), les réductions ayant principalement porté sur des dépenses de protection sociale telles que les aides au logement [Lorach et Sode, 2015]. De manière analogue, la rationalisation des dépenses publiques intervenue en Suède et au Canada dans les années 1990 a principalement porté sur les politiques de l’emploi, de la famille, de la santé et du logement [Aghion et al., 2014].

 

B. L’activation des dépenses de guichet, la rationalisation des dépenses fiscales et un pilotage interministériel figurent parmi les conditions pour améliorer l’évaluation et l’efficience des dépenses publiques en France

En premier lieu, l’activation des dépenses d’intervention permettrait d’améliorer leur efficience, notamment en matière de protection sociale. Tout en conservant l’objectif de solvabiliser la demande de logement par la réduction du taux d’effort des ménages, les aides personnelles au logement (18,6 Md€ en 2016) pourraient par exemple être pour partie recyclées en dépenses d’investissement pour la rénovation énergétique des logements. Celles-ci permettraient de réduire le poids des dépenses énergétiques dans le budget des ménages et de soutenir ainsi leur demande de logement sans effet inflationniste sur le prix des loyers.

En deuxième lieu, les dépenses fiscales pourraient faire l’objet d’une évaluation préalable à leur reconduite afin notamment de réduire ou supprimer celles qui présentent les plus faibles rendements socio-économiques. Le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée applicable au secteur de la restauration (2,6 Md€ en 2016) ne saurait par exemple se justifier par une exposition particulière de ce secteur d’activité à la concurrence internationale. De manière analogue, la suppression de l’ISF-PME dans en loi de finances pour 2018 tire les conséquences d’un effet multiplicateur incertain et d’un faible ciblage en faveur de l’innovation [Cour des comptes, 2016].

En troisième et dernier lieu, tout processus de revue générale des dépenses publiques doit figurer en haut de l’agenda politique et bénéficier d’un pilotage interministériel pour assurer sa crédibilité et son acceptabilité. L’assiette la plus large de dépenses doit être retenue (« Nothing off the table ») et la prise de décision doit être réalisée de manière globale et non par secteur ou par ministère [Lorach et al., 2014]. Enfin, l’amélioration des contrôles externes et notamment celui des parlementaires pourrait passer par un délai accru dédié à l’examen du projet de loi de règlement au printemps de l’année n+1, à travers notamment un débat portant sur deux ou trois politiques publiques qui ont fait l’objet de revues de dépenses par des inspections interministérielles.

Les déséquilibres internationaux

1.   Les notions

Le système financier et monétaire international

 

  • La balance des paiements : elle retrace l’ensemble des transactions de biens, de services et de capitaux avec l’étranger et se décompose notamment entre balance courante et balance des capitaux
    • La BPC enregistre la différence entre, d’une part, l’épargne domestique et les exportations de biens et services et, d’autre part, l’investissement domestique et les importations.
    • Si elle est déficitaire, cela signifie que les besoins de l’économie sont supérieurs à ses ressources => le pays investit plus qu’il n’épargne et/ou importe plus qu’il n’exporte.

 

  • Le système monétaire international est composé de l’ensemble des règles qui contraignent et influencent les Etats en matière de régime de change, de politique monétaire et de réglementations des flux de capitaux
    • Après 1945, le système de Bretton-Woods rendait les taux de change ajustables par rapport au Dollar, lequel était seul convertible en or à une parité fixe
    • La fin de la convertibilité Dollar – or est décidée unilatéralement par les Etats-Unis en 1971, puis un flottement généralisé des monnaies est instauré (accord de la Jamaïque, 1976)
    • Echec de la coordination internationale : SME (1979), accords du Plaza et du Louvre (1980s)

=> Défauts du système : les désajustements de changes conduisent à des distorsions économiques, à une grande volatilité des capitaux [Mussa, 1986 : la volatilité excessive des taux de changes favorise l’apparition de désajustements durables] et à l’accumulation de réserves de changes dans les pays émergents (« Saving Glut », Bernanke, 2005)

 

La libéralisation du crédit international

 

  • L’ouverture des marchés financiers à partir des années 1990 a permis aux Etats de financer leur consommation ou leur investissement grâce aux flux d’épargne étrangère
    • L’ouverture financière (somme des actifs domestiques détenus par les étrangers et des actifs étrangers détenus par les résidents rapportée au PIB) a été multipliée par 7 entre 1990 et 2010 dans les pays avancés
    • Elle permet en théorie une meilleure allocation des ressources au niveau mondial, l’épargne finançant les projets les plus rentables économiquement (Fama, 1970), et déconnecte l’épargne et l’investissement domestiques (Blanchard, 2002 : corrélation de 0,14 en UE)
    • En théorie, les déséquilibres globaux devraient se corriger spontanément (Dooley, 2005) : l’innovation technologique devrait stimuler les exportations du Nord et la demande intérieur croître au Sud (CEPII, « Rééquilibrage du commerce extérieur chinois », 2012)
    • Le besoin de régulation du crédit se vérifie également au niveau national : la libéralisation du crédit pour faciliter l’accès à la propriété immobilière des ménages américains modestes a contribué à la crise financière de 2007-2008 en accroissant les risques de non-remboursement des emprunts sous garantie publique avec la création de Fannie Mae et Freddie Mac [Rajan, 2010]. Idem en Espagne avec la libéralisation du secteur bancaire en 1980 et l’augmentation trop rapide du crédit accordé aux entreprises de construction, aux promoteurs immobiliers et aux ménages (+200 % prix des actifs immobiliers entre 1997 et 2007), entrainant in fine la nationalisation des banques [Illueca, 2014].
    • => Le marché financier ne peut assurer une allocation optimale de l’épargne que s’il est supervisé par des autorités indépendantes chargées de contrôler la solvabilité des intervenants et de vérifier la réalité de la concurrence [Aghion, 2005]. Or une telle régulation n’existe pas au niveau international.

Indice de libéralisation financière (1973-2005)

Source : FMI, 2008

Les « Global Imbalances »

 

  • Les déséquilibres persistants des BPC constituent un facteur d’instabilité financière
    • Ils traduisent des insuffisances de compétitivité ou une préférence pour l’exportation aux dépens de la demande nationale (Bénassy-Quéré, 2012 : la BPC chinoise est symétrique à celle des USA : 3 800 Md$ de réserves détenus par la Chine, 375 Md$ de déficit commercial USA/Chine en 2017).
    • Paradoxe de Lucas (1990) : entre 1990 et 2008, les flux d’épargne ont été du Sud vers le Nord alors que la faible quantité de facteur capital au Sud devrait offrir des rendements plus élevés. Explication = facteurs institutionnels et incertitudes des rendements au Sud. Les capitaux s’orientent spontanément vers les zones économiques qui présentent une productivité globale des facteurs de production élevée et un cadre institutionnel favorable au recouvrement des créances.
    • Précédents historiques : statut du Sterling et système de l’étalon-or entre 1870 et 1914 (excédent extérieur de 9 % pour la Grande-Bretagne => flux d’IDE vers l’Empire)

 

  • Le « privilège exorbitant » du Dollar (Gordon) : un système monétaire unipolaire une économie réelle multipolaire
    • Le Dollar est une monnaie internationale véhiculaire : les titres émis en Dollar sont très liquides, même si la BPC des USA est déficitaire (43 % des transactions mondiales 29 % pour l’Euro et 2,5 % pour le Yuan)

=> Le SMI actuel a pour conséquence que les USA ne sont pas incités à réduire leurs déséquilibres (Gourinchas, 2010)

  • Déséquilibres également régionaux, par ex. au sein de la zone Euro
    • L’épargne des pays centraux a financé les déséquilibres croissants des pays de la périphérie (déficits de compétitivité) du fait de la libre circulation des capitaux et de la disparition des risques de change. Obstfeld & Rogoff, 2010: apparition de déficits jumeaux avant crise (FR/IT/SP/FR/PT) vs. pays à l’équilibre ou déficitaires (DE/NL/FI/AT).

=> Des politiques de dévaluation interne au Sud vs. de stimulation de la demande interne au Nord nécessaires pour réduire ces déséquilibres

 

  • Le rôle des Global Imbalances dans la crise de 2008
    • Faiblesse des taux d’intérêt de la FED sous Greenspan et accroissement de la liquidité ont accru la prise de risque (Rajan, 2005) et incité à l’innovation financière (Shin, 2009)

=> La formation de bulles sur le prix des actifs, notamment immobiliers aux USA, explique la crise de 2008 (Obstfeld & Rogoff, 2009)

2. Les outils

Le SMI depuis la crise

 

  • FMI, « Are Global Imbalances at a Turning Point? » (2014)
    • Les déséquilibres les plus porteurs de risques pour la croissance mondiale ont été réduits de moitié (déficit USA, excédents JAP et CHI) => les risques systémiques ont diminué
    • Les déséquilibres globaux ne vont pas retrouver leur niveau d’avant-crise car les USA et la Chine ne retrouveront leurs niveaux de croissance du PIB (Eichengreen, 2014)
    • Les ajustements des taux de change effectifs n’ont toutefois joué qu’un rôle limité dans cette évolution, hormis pour le Yuan (6,80 CNY pour 1 USD en 2010 à 6,05 en 2014 : la réévaluation du Yuan est proche de l’écart de 20 % que Krugman proposait de combler par une taxe sur les importations)

 

  • Des déséquilibres, même circonscrits, demeurent toutefois une source d’instabilité
    • Certaines économies conservent toutefois un excédent important : ex. Allemagne +7 % du PIB (OFCE, « Faut-il sanctionner les excédents allemands ? », 2015) malgré l’instauration d’un Mindestlohn à 8,50 €/h
    • Certains pays émergents sont devenus déficitaires et présentent des fragilités internes : Brésil (fort taux de PO : 40 % du PIB vs. 45 % en FR) ou Inde (très faibles dépenses de santé ou éducation, respectivement 1 et 3 % du PIB)

 

La coordination monétaire internationale

 

  • La monnaie est un bien commun (non exclusif et rival) qui exige une gestion coordonnée (Aglietta, 1995)
    • Volonté du G7 d’instituer des zones cibles fondées sur la théorie du taux de change d’équilibre fondamental (Williamson, 1983 : taux de change qui assure l’équilibre interne et externe, càd qu’il n’accélère pas l’inflation et assure la soutenabilité de la balance courante à long terme), mais échec au Plaza et au Louvre
    • Les banquiers centraux sont ajd très réticents à intervenir sur les marchés des changes par l’achat ou la vente de devises (Dominguez & Frankel, 1993) : interventions pour stabiliser les marchés et non inverser une tendance (notamment orales : Forward Guidance)
    • MAIS le SMI reste centré sur le Dollar (plus de 60 pays arrimés ou utilisant le Dollar : ex. Zimbabwe inflation sous les 2 % depuis 2014 ; même si de plus en plus de pays s’arriment à l’Euro : ex. Bulgarie et Pologne dans l’attente de remplir les critères de convergence) et l’absence d’assurance multilatérale crédible en cas de crise (Sudden Stop) favorise l’accumulation de réserves de change (3 160 Md$ pour la Chine, soit 1/4 du PIB)

 

Les régulations macro- et micro-prudentielles

 

  • L’approche micro-prudentielle
    • Il s’agit de quantifier et de limiter le risque de faillite d’une entité financière par des normes contraignantes compte tenu des incidences potentielles sur d’autres entités
    • Accord de Bâle III (2010 pour une mise en œuvre progressive d’ici 2019) :
      • Exigence minimale de fonds propres réglementaires à 8 % des crédits accordés (ratio de McDonough : existe depuis les accords de Bâle I en 1988, mais avec une définition plus restrictive des capitaux propres)
      • Introduction d’un coussin contra-cyclique fixé par les régulateurs nationaux entre 1 et 2,5 % des crédits accordés
      • Création de ratios de liquidité à court et long terme (capacité à assurer ses engagements financiers à 30j ou de manière stable par des actifs liquides de haute qualité) pour résister à des Credit Crunch

=> Amène les banques à internaliser le coût des prêts risqués (clause de bail-in) et accroît leur aversion au risque MAIS des règles pro-cycliques qui empêchent la reprise ? (-0,1% de PIB selon l’OCDE, 2011)

 

  • L’approche macro-prudentielle
    • Il s’agit de quantifier et de limiter le risque pour l’ensemble du système financier compte tenu des incidences potentielles sur la croissance économique
      • Minsky (1977) : les crises financières apportent une correction inévitable aux déséquilibres accumulés en haut de cycle financier et justifient la régulation macro-prudentielle
      • Tobin (1984): la régulation monétaire internationale doit diminuer la volatilité càd la variation erratique des valeurs et des volumes de titres échangés
    • Différents outils de régulation possibles : identification des risques, supervision (ex. revue du bilan des 130 banques contrôlées par la BCE), instruments correctifs et préventifs
      • Bâle III: Obligation de réaliser des stress test (identification des risques), par le biais du mécanisme de surveillance unique par la BCE dans l’UEM (118 banques qui détiennent 82 % des actifs bancaires de la zone euro ; les autres banques sont soumises à la surveillance des autorités nationales) ;
      • Dodd-Frank Act (2010) aux Etats-Unis : instrument préventif pour limiter les activités spéculatives à hauteur de 3% des fonds propres des banques commerciales (Volcker Rule). En cours de remise en cause sous l’administration Trump ;
      • Taxe sur les transactions financières : pas d’objectif de rendement budgétaire mais instrument correctif pour améliorer l’efficacité des marchés financiers. Vise selon Stiglitz (1989) à éliminer les « noise traders» afin que la cote des sociétés révèle leur valeur de long terme. Evaluations : CEPII, 2013 sur les taxes française et italienne : sans effet sur la volatilité mais une baisse du volume de transactions. Deng (2014) sur la taxe chinoise : élimine les agissements inefficaces sur les marchés peu matures où les professionnels informés sont peu nombreux ; sur les marchés matures, réduit le volume de transactions et augmente la volatilité.

 

3. Les défis

Comment améliorer la résilience du SMI ?

 

  • Plusieurs scénarios pour améliorer la résilience du SMI (CAE, « Réformer le SMI », 2011)
    • Instituer le FMI comme prêteur en dernier ressort d’une monnaie internationale avec parités fixes + doublement de ses fonds propres (480 Md$) pour ajuster les conditions d’accès à la liquidité en temps de crise => solution la plus intégrée mais les pays asiatiques seront difficiles à convaincre (eux-mêmes peu aidés pendant la crise de 1997) ;
    • Diversifier les actifs de réserve en développant les droits de tirage spéciaux (solution intergouvernementale) : avoir de réserve international complémentaire qui existent depuis 1969. Mais seulement 280 Md$ d’encours ajd. Avec l’intégration depuis 2016 du Yuan dans le panier de devises qui détermine la valeur des DTS, formation d’un « G5 » avec USD/EUR/RMB/Yen/Livre. Au niveau régional, proposition de la CE de créer des Euro-obligations d’ici 2025 mais opposition des pays du Nord de l’UEM qui ne veulent pas mutualiser le risque souverain ;
    • Revenir à l’étalon-or avec un panier de monnaies convertibles en or : mais biais déflationniste (la quantité de monnaie en circulation est limitée par la quantité d’or), ressource inégalement répartie et opposition des Américains.

Les émergents menacent-ils la stabilité économique mondiale ?

 

  • Une intégration croissante dans le commerce international
    • Les pays émergents représentent 45 % des exportations mondiales de biens en 2015 15 % en 1990 ; parallèlement, la part des pays avancés a reculé de 60 % à 45 % ;
    • Intégration également financière par le biais des IDE, les prises de participation et les achats d’obligations souveraines

=> Effets globalement positifs sur l’économie mondiale : augmentation du PIB/tête chez les émergents (indice 330 en 2005 vs. base 100 en 1970) et baisse des prix à la consommation dans les pays avancés (Kamin, 2006 : -1 à -2 PP par an entre 1996 et 2005 => MAIS elle profite surtout aux ménages aisés qui ont une plus grande propension marginale à consommer des biens manufacturiers vs. logement ou alimentaire)

PwC, « The World in 2050 – The long view: how will the global economic order change by 2050? »

 

  • Mais des déséquilibres qui menacent la stabilité économique mondiale
    • Des modèles de croissance toujours essentiellement tournés vers l’exportation (épargne brute = 50 % du PIB en Chine et 30 % en Inde 18 % aux USA)
    • Des marchés financiers locaux peu profonds, peu liquides et faiblement résilients (Obstfeld & Rogoff, 2009) : ex. encours des crédits octroyés par le secteur financier = 76 % du PIB en Inde 100 % en France
    • Des compétitivités dégradées dans certaines économies devenues déficitaires (malédiction des ressources au Brésil : 45 % des exportations sont des produits primaires, 1,2 % PIB en R&D) et des bulles du prix des actifs (immobilier en Chine : alimente une dette totale de 260 % du PIB)

Les pays émergents pourront-ils surmonter leurs défis ?

 

  • La réorientation de leurs modèles de croissance
    • Vers des modèles de croissance davantage axés sur le développement de la demande intérieure ? (ex. hausse des CSU en Chine = ajd 67 % des CSU aux USA)
    • Vers des modèles de croissance plus inclusifs ? (ex. taux d’illettrisme de 55 % en Inde ; performances PISA des élèves d’Amérique latine en moyenne inférieures de 2 années d’études par rapport à l’OCDE => pertes de capital humain). Des indices de GINI toujours très élevés (ex Chine et Brésil à 0,5 ; Afrique du Sud à 0,65)
    • Vers des systèmes de protection sociale pour réduire l’épargne de précaution ? (ex. Taïwan réduction du taux d’épargne de 20 % à 12 % du RDB des ménages avec l’instauration en 2009 d’une assurance publique médicale obligatoire)

 

  • La poursuite de la réduction des déséquilibres extérieurs
    • Poursuite de l’ajustement du Yuan et réduction de l’excédent courant chinois (Setser, 2017 : proche de 10 % du PIB avant la crise, aujd 2 % : ralentissement du rythme des exportations car une partie croissante de l’offre nationale est absorbée par la demande intérieure)
    • Une meilleure régulation des mouvements de capitaux vers les pays émergents (ex. taxe sur l’entrée de capitaux de court terme au Brésil en 2009)

Les enjeux économiques de la protection sociale

 

Les enjeux micro-économiques de la protection sociale

 

  • Les politiques de redistribution divisent par trois les inégalités de revenus en France (écart de 20 à 6 entre les 2 déciles extrêmes). Dû pour les 2/3 aux prestations sociales et pour 1/3 à la fiscalité. Coefficient GINI relativement faible (0,30 contre 0,33 en Italie ou 0,36 au Royaume-Uni) ;
  • Les minima sociaux réduisent l’intensité de la pauvreté mais pas son niveau, qui est surtout lié au marché du travail (ex. 8,9 M de pauvres en 2015, soit +1 million par rapport à 2008 du fait de la crise économique) ;
  • MAIS interrogations sur l’efficience de ces dépenses : la socialisation de certains risques induit-elle une déresponsabilisation des agents économiques ? (ex. 70k morts du tabac/an en France et coût sanitaire de 26 Md€/an selon Kopp, 2015) ;
  • Par ailleurs, la protection sociale modifie les préférences individuelles : est-ce le rôle de la puissance publique ? (ex. les trappes à inactivité modifient la fonction d’offre de travail et conduisent à un équilibre sous-optimal du marché du travail).

Les enjeux macro-économiques de la protection sociale

 

  • L’existence et le développement de la protection sociale permet de soutenir les gains de productivité (Wheeler, 1980 : le développement du capital humain via l’éducation ou la santé contribue positivement à la croissance du PIB) ;
    • de la formation professionnelle continue : un effort moyen de 11h de formation/an et par salarié génère un gain de productivité de +1 %, récupéré entre 30 % et 50 % par les travailleurs sous la forme de revalorisations salariales (Crépon, 2009) ;
  • Elle permet également de réduire le taux d’épargne de précaution des ménages et mieux allouer les ressources au sein d’une économie nationale ;
    • dépenses de protection sociale en Chine 9 % du PIB et taux d’épargne des ménages à 37 % du RDB;
  • MAIS le coin socio-fiscal modifie la croissance potentielle et le chômage naturel (coût total d’un travailleur pour une entreprise au-delà du salaire net: permet une première mesure de la compétitivité-prix : en 2015, il explique 40 % des coûts salariaux en France 35 % en Allemagne et 25 % au Royaume-Uni) ;
  • En économie ouverte, un modèle de protection sociale dont le financement est assis sur les facteurs de production mobiles (ex. cotisations employeurs) apparaît moins soutenable et génère des effets d’éviction (moindre compétitivité-prix) ;
  • D’où des interrogations sur une modification de la structure du financement de la protection sociale (ex. développement de la CSG, « TVA sociale », montée en charge de la fiscalité environnementale) ;
    • S’il n’existe pas d’assiette miracle, la fiscalité environnementale est la plus favorable à la croissance potentielle à long terme (selon une étude de la DG Trésor en 2011, une hausse de la taxe carbone couplée à une réduction des cotisations sociales et un renforcement du CIR aurait un impact de +0,6 point sur le PIB et de +125k sur l’emploi à horizon 10 ans).

 

Croissance et inégalités

 

  • Le lien entre croissance et inégalités: S. Kuznets (1955) : courbe en cloche.
    • Dans un premier temps, l’accumulation de capital infrastructurel et naturel conduit à une répartition des richesses déformée en faveur des détenteurs d’épargne. Puis, l’accumulation de capital humain réduit les inégalités.
    • Mais Piketty (2005) : réduction pas naturelle (impôts et événements inattendus affectant le capital : guerres, inflation). En France, les transferts fiscaux, sociaux et en nature réduisent le rapport interdécile (rapport entre le niveau de vie des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres) de 5 (revenus primaires) à 3,5 (revenus après redistribution).
    • Stiglitz (2012) : le Top 1 % détient 20 % des revenus primaires aux USA du fait de la déformation du partage de la valeur ajoute entre capital et travail depuis 1980s : en découlent instabilité financière et moindre mobilité sociale.

=> La croissance ne suffit pas à réduire les inégalités, cela dépend aussi des institutions et de la structure des marchés.

 

  • Théorème de Stolper-Samuelson (1941) : relation positive entre le prix international d’un bien et la rémunération du facteur de production intensif dans sa production => lien entre inégalités et ouverture commerciale (ex. s’accroissent aux USA et se réduisent en Chine : 0,49 -> 0,46 entre 2006 et 2016)
    • Par ailleurs, la distorsion de la répartition de la VA accroit les inégalités de revenus (Stiglitz, 2012) => problématique de l’augmentation du salaire minimum fédéral (+35 % sous Obama).
    • Card, Krueger, 1995 : une hausse du salaire minimum peut augmenter le niveau d’emploi au lieu de le diminuer. Si le salaire minimum est faible et proche des minima sociaux (inférieur au salaire de réserve), une hausse attire de nouveaux travailleurs que les entreprises ont intérêt à embaucher. En revanche, si le salaire minimum est élevé, toute hausse incite les entreprises à se séparer de leurs employés dont la productivité vient d’être dépassée par la nouvelle valeur du salaire minimum.
    • En France, le salaire minimum n’a cessé d’augmenter depuis 1970 (en 2012, le coût moyen du travail au niveau du salaire minimum atteint environ 14 dollars contre 8 dollars aux Etats-Unis) alors qu’aux Etats-Unis, il était plus faible en 2012 qu’en 1970.
    • Kramarz, 2000 : salaire minimum et chômage des jeunes : les personnes rattrapées par le salaire minimum dans les années 1980 ont eu une plus grande probabilité de perdre leur emploi que celles dont le salaire est resté très proche mais n’a pas été dépassé par le salaire minimum.

 

  • Question également en Chine : fortes inégalités (Gini à 0,5) et faible classe moyenne (130 millions d’individus sur une population de 1,5 milliard) : hausse CSU répond à un double rééquilibrage : consommation / investissement (36/50 % PIB) ; demande interne / demande externe (excédent commercial +3 % PIB).

 

Croissance et pauvreté

 

  • Rosenstein-Rodan (1943) : théorie du Big Push : c’est l’accumulation de capital qui permet de sortir de la trappe à pauvreté (notamment après les destructions de 1939-1945 : 20 % du capital immobilier détruit en France)
  • Becker: théorie du capital humain, soutient productivité tout au long de la vie. Ex. accès à l’emploi ou à la formation. Note du CAE « Prévenir la pauvreté par l’emploi, l’éducation et la mobilité » (2017) : l’emploi reste le meilleur moyen de se prémunir contre la pauvreté (divise par 2) ; la qualification reste le meilleur moyen de se prémunir contre le chômage (+ « effet de cicatrice du chômage de longue durée Carcillo, 2015 : durée moyenne 15 mois 8 mois OCDE).
    • Investissement dans la formation également pour les jeunes enfants. Carcillo, 2016 : efficacité programmes en faveur des jeunes enfants (3-4 ans afro-américains défavorisés : Perry Preschool Program dans l’Etat du Michigan depuis 1962 : pour 1 dollar investi, gain de 9,11 dollars pour la collectivité via surcroît de revenus, économies de dépenses publiques police justice). « Piège à pauvreté » : revenu des parents détermine la réussite scolaire et le diplôme, qui déterminent la probabilité d’être en emploi et d’être pauvre.
    • Institut Montaigne (2017) : efficacité ciblage moyens REP/REP+ et notamment dédoublement des classes CP.
    • CAE (2017) : Garantie jeunes, apprentissage, E2C efficaces, à investir. Idem PIC 15 Md€ (plutôt que contrats aidés).

 

  • Pour les pays avancés, un désalignement entre croissance économique et progrès social : Allemagne taux de pauvreté (% de pop dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian) à 16 % vs. 14 % France, notamment hausse pour les chômeurs depuis 2004 (loi Hartz IV a réduit la durée des allocations chômage à 1 an) et indice de Gini à 0,3 (mesure des inégalités).
    • S’agissant de leurs conséquences socio-économiques : le patrimoine médian des ménages médians allemands est 2x plus faible qu’en France + forte hausse des inégalités de répartition (De Grauwe & Yi, 2013) et du taux de pauvreté (de 12 % à 16 % entre 2002 et 2010). Enfin, l’Allemagne compte des faiblesses structurelles (notamment sa démographie et sa natalité : 1,4 enfant/femme)

 

  • Pour les pays émergents, une corrélation entre ouverture au commerce international et réduction de la pauvreté monétaire (52 % en 1980
    22 % en 2010 même si elle a augmenté en valeur absolue : 1,2 Md vs. 1,9 Md).
    Ordre de grandeur : +1 % de croissance dans le monde => 20 M de pauvres en moins

 

Faire face aux incidences économiques du vieillissement démographique

 

  • Baisse de la natalité (ex. INSEE : -7 % en FR depuis 1980) et allongement de l’espérance de vie (+8,5 ans dans la même période) induisent des effets micro- et macro-économiques contrastés (Artus, 2015) :
    • L’inflation décroît avec le vieillissement et le solde extérieur s’améliore car insuffisance de la demande interne (ex. Allemagne)
    • Absence de lien empirique avec l’évolution du taux d’épargne des ménages (≠ théorie du cycle de vie)
    • Pas de diminution de l’aversion au risque ni de l’effort de /R&D et effets contrastés sur les gains de productivité
    • Pas de corrélation avec les prix des actifs (actions, immobilier)
    • => Au total, ralentissement du PIB / tête et impact incertain sur le progrès technique

 

  • Un enjeu de soutenabilité budgétaire
    • La hausse du taux de dépendance global (retraités / actifs) génère une contrainte de financement pour les systèmes de retraite:
      • 3 leviers de réforme des régimes de retraite par répartition (déficit de -0,4 % PIB en 2021 et -0,8 % en 2030 selon le COR, 2017) : taux de cotisation, taux de remplacement, durée de la vie active (piste privilégiée jusqu’ici : soit par le recul de l’âge légal des départs en retraite, soit par l’allongement de la durée de cotisation)
      • Autres pistes : hausse du taux d’emploi des séniors (v. séance sur le marché du travail), amélioration du solde migratoire ou du taux de fécondité
      • Passage à un système de retraites par comptes notionnels : enjeu d’équité (même taux de rendement) et de fluidité dans les parcours professionnels (2,7 régimes de retraite en moyenne / personne), cf. Bozio & Piketty, 2008.
    • Effet inflationniste sur les dépenses de santé (via les ALD : 15 % de la population en 2011 -> 20 % en 2025, cf. Trésor-Eco, 2015) et de dépendance (+1 pt de PIB de dépenses d’ici 2060 selon la DREES)
    • Un enjeu également pour les économies émergentes (ex. Chine : ratio de dépendance 1,3 actif par sénior d’ici 2050 + épargne de précaution trop importante)

Le déclin industriel français est-il inéluctable ?

Proposition de corrigé par Rayan Nezzar

 

Accroche : selon le cabinet Trendeo, les créations de sites industrielles ont été supérieures aux fermetures en France en 2017 (+25), ce qui constitue une première depuis la crise de 2008-2009. Ce regain conjoncturel, lié à la reprise économique (+2 % de croissance du PIB en 2017 selon l’INSEE), masque toutefois des faiblesses structurelles qui expliquent le recul de la part de l’industrie dans l’économie française depuis la fin des Trente glorieuses.

 

Définition de l’ « industrie » : selon l’INSEE, relèvent de l’industrie les activités économiques qui combinent des facteurs de production (installations, approvisionnements, travail, savoir) pour produire des biens matériels destinés au marché.

 

Définition du « déclin industriel » : il se caractérise à la fois par le repli de la part de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans le PIB et par le recul de la part de l’emploi industriel dans l’emploi total. Ce recul de la capacité productive a un effet négatif sur la croissance potentielle via la productivité globale des facteurs et un effet positif sur le taux de chômage d’équilibre via des effets d’hystérèse.

 

Problématisation : s’il est admis que le secteur industriel génère des externalités positives et que son déclin relatif est induit par des facteurs structurels, quelles politiques économiques peuvent contribuer à inverser ou à atténuer les conséquences de cette désindustrialisation ?

* * *

  1. Si la désindustrialisation française n’est pas un phénomène singulier, ses causes sont d’abord liées au progrès technique et aux préférences des consommateurs

 

1.A. Les reculs de la production et de l’emploi industriels sont communs à l’ensemble des économies avancées, mais concernent particulièrement en France

  • La désindustrialisation est un phénomène commun à l’ensemble des économies avancées (diminution de 19,5 % à 16,5 % de la part de l’industrie dans le PIB mondial entre 1998 et 2008), à l’exception notable de l’Allemagne (24 % du PIB) ;
  • Elle concerne plus particulièrement la France, où la valeur ajoutée de l’industrie est passée de 23 % à 11 % du PIB entre 1970 et 2014 et où l’industrie employait 26 % des actifs en 1980 contre 12 % aujourd’hui. Les parts de marché de la France ont reculé notamment depuis les années 2000, passant de 13 % à 9 % dans l’UE et le solde du commerce extérieur est déficitaire de plus de 3 points de PIB ;
  • Ce recul de l’industrie en France s’illustre également par une compétitivité dégradée liée au prix des produits (coûts salariaux unitaires supérieurs de 15 % à la moyenne de la zone euro en 2017), mais aussi à leur qualité (élasticité-prix de la demande de biens d’exportation français 3x supérieure à celle des biens allemands) ;
  • Enfin, l’effort d’innovation apparaît insuffisant du fait des capacités d’autofinancement dégradées des entreprises françaises (1,22 robots pour 100 emplois industriels en France contre 2,5 en Allemagne), ce qui accroît l’écart de compétitivité hors prix avec les concurrents de la France et rend ses exportations vulnérables à une appréciation de l’euro (effet multiplicateur de -0,6 entre le cours de l’euro et le volume d’exportations selon le CEPII, 2012).

 

1.B. Les causes de cette désindustrialisation sont liées à des évolutions structurelles et leurs conséquences sont négatives au plan macro-économique

  • Selon la DG Trésor, cette désindustrialisation est d’abord liée au progrès technique, aux évolutions de la structure de la demande globale (loi d’Engel, 1857) et, marginalement, à l’ouverture commerciale (mentionner également l’incidence comptable de l’externalisation des services auparavant assurées par les entreprises industrielles) ;
  • Il peut également être avancé que le recul industriel est lié à une spécialisation géographique et sectorielle sous-optimale des exportations françaises, concentrées vers les pays de l’UE (66 %) et peu tournées vers les économies émergentes en Asie (12,5 %) ;
  • Cette désindustrialisation induit des conséquences sur la croissance potentielle selon le modèle de Solow (1956) : les gains de productivité étant plus élevés dans le secteur progressif (Baumol, 1966), la productivité globale des facteurs est ralentie par le déclin industriel ;
  • Elle entraîne également un accroissement du taux de chômage d’équilibre via les effets d’hystérèse (Blanchard, Summers, 1986) liés aux fermetures de sites industriels (pertes de capital physique et humain). Cette incidence négative est accrue par le défaut d’appariement entre offre et demande de formation en France, ainsi que par une mobilité géographique et intersectorielle insuffisante de l’offre de travail.

 

2. Face à cette désindustrialisation croissante, les pouvoirs publics ont déployé de nouvelles politiques industrielles horizontales qui pourraient toutefois être renforcées et complétées

 

2.A. La mise en œuvre de politiques industrielles horizontales n’a jusque lors pas permis d’enrayer le déclin industriel français

  • Traditionnellement, les politiques industrielles s’organisaient de manière verticale pour protéger (List, 1837) et/ou financer le développement de secteurs d’activité (« picking the winners»). Après l’échec de certains projets et dans le contexte de l’ouverture commerciale, les politiques industrielles ont progressivement adopté une approche horizontale établissant un environnement fiscal et réglementaire favorable au développement des entreprises industrielles (Rodrik, 2005) ;
  • C’est en ce sens qu’a été conduite depuis 2012 la « politique de l’offre » réduisant le poids des prélèvements obligatoires portant sur les facteurs de production : pour un coût d’environ 40 Md€ par an, ces mesures (CICE, PRS, autres) ont contribué à restaurer les marges des entreprises industrielles (selon l’OFCE, le CICE explique une baisse de -2,8 % des coûts salariaux unitaires dans l’industrie) ;
  • Toutefois, ces politiques sont critiquées pour leur ciblage : le CICE s’étend jusqu’à 2,5 SMIC et ne concerne pas l’ensemble de la masse salariale des entreprises industrielles (il avait aussi un objectif d’emploi justifiant un ciblage sur les bas salaires) ; par ailleurs, il ne bénéficie que pour moins d’un tiers aux secteurs exposés à la concurrence internationale ;
  • Enfin, malgré un soutien fiscal important à l’innovation, notamment à travers le CIR (6 Md€/an, avec un impact de +0,3 PP sur la dépense de R&D selon la DG Trésor), la R&D française stagne à 2,2 % du PIB contre un objectif à 3 % dans la Stratégie de Lisbonne.

 

2.B. La simplification de l’environnement fiscal et réglementaire français, ainsi que de nouveaux investissements à l’échelle européenne permettraient d’enrayer et/ou d’atténuer les incidences négatives de la désindustrialisation

  • S’agissant des dispositifs fiscaux (CICE, Aubry-Fillon, PRS), leur unification autour d’un allègement général des cotisations employeurs dégressifs de 1 à 3,5 SMIC, ainsi qu’une réduction de l’IS à 25 % à horizon 2022 (soit la moyenne UE) permettra d’achever la stratégie de compétitivité-prix déjà entamée ;
  • La simplification du recours au chômage partiel (passage d’un régime d’autorisation administrative à un régime de déclaration) et la décentralisation des minima de branches au niveau des accords d’entreprise renforceraient la flexibilité interne des entreprises industrielles et la résilience de l’emploi en bas de cycle d’activité pour prévenir de futurs effets d’hystérèse ;
  • Au-delà, il convient également de renforcer l’efficacité de l’appareil de formation français, qui participe également de ces effets d’hystérèse : y contribueraient un pilotage des filières d’apprentissage par les branches professionnelles et les régions, ainsi qu’un meilleur ciblage des financements de la formation professionnelle vers les demandeurs d’emploi (qui bénéficient aujourd’hui de 10 % seulement des financements) ;
  • Enfin, à l’échelle européenne, de nouvelles politiques industrielles verticales pourraient être financées (transitions environnementale et numérique) par la montée en puissance de nouvelles ressources propres à compter de 2020 (fiscalité carbone, taxe sur le chiffre d’affaires des GAFA, etc.) : en parallèle, la mise en œuvre de mesures protectionnistes temporaires pourrait également être envisagée (ex. préférence européenne pendant 5 ans pour l’accès des entreprises aux données publiques), en particulier si les Etats-Unis maintiennent leur décision de rehaussement de droits de douane.

Les nouvelles technologies et l’emploi

Une récente étude de Frey et Osborne (2013) a montré que 47 % des emplois se trouveraient dans des activités automatisables à moyen terme, alimentant ainsi le débat sur les incidences des innovations technologiques sur l’emploi. Selon l’OCDE, l’innovation consiste en la mise en œuvre d’un produit ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une entreprise, l’organisation du lieu de travail ou ses relations extérieures. Si les nouvelles technologies induisent des effets redistributifs sans affecter le niveau global de l’emploi (I), un investissement renforcé tant dans l’innovation technologique que dans la formation professionnelle peut permettre de mieux soutenir la croissance potentielle et l’emploi (II).

 

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  1. Les nouvelles technologies induisent des effets redistributifs sur le marché du travail mais n’affectent pas le niveau global de l’emploi

1. A. Les nouvelles technologies induisent des effets redistributifs sur le marché du travail selon les secteurs d’activité concernés

 

En premier lieu, le caractère automatisable d’une tâche d’activité n’induit pas nécessairement un reflux de l’emploi total dans le secteur concerné. Ainsi, le développement des distributeurs automatiques de billets depuis les années 1970 a été concomitant avec une amélioration de la part des emplois du secteur bancaire dans l’emploi total, qui passe de 5,6 % en 1978 à 6 % en 2013 aux Etats-Unis. Les tâches les plus courantes ont été automatisées (recevoir des dépôts et remettre des billets), ce qui a réduit le nombre moyen d’employés par agence bancaire, mais la multiplication des agences pour couvrir l’ensemble du territoire a stimulé la demande de travail. Par ailleurs, la nature des tâches effectuées par les employés a évolué pour se recentrer sur des activités non automatisables telles que l’accompagnement de la clientèle, élevant le niveau moyen de qualification.

 

En deuxième lieu, si selon la DG Trésor, le recul de l’emploi industriel en France, qui représentait 26 % des actifs en 1980 contre 12 % aujourd’hui, s’explique notamment par le progrès technique, celui-ci n’est pas lié uniquement aux technologies de l’information et de la communication. S’agissant de l’informatisation en particulier, elle semble même avoir stimulé la demande de travail dans les secteurs d’activité des sciences et de l’ingénierie (+2 % par an entre 1982 et 2012 aux Etats-Unis), ainsi que la rémunération des travailleurs capables d’utiliser ou de développer ces nouvelles technologies [Autor, Dorn, 2013].

 

En troisième lieu, les effets des innovations technologiques sur le marché du travail sont également ambigus dans la mesure où ils induisent un développement des emplois très qualifiés et peu qualifiés (qui ont crû respectivement de +4,5 % et +4 % en France entre 1993 et 2010) et une atrophie des emplois intermédiaires (-9 % en France dans la même période). Cette polarisation du marché du travail génère des effets redistributifs de nature schumpétérienne (15 000 emplois étant détruits et créés chaque jour en France selon Cahuc, 2015) et un besoin d’adaptation de l’appareil de formation initiale et continue aux évolutions de la demande de travail, sans pour autant réduire le niveau de l’emploi global [Verdugo, 2017]. Elle contribue toutefois également à modifier la qualité de l’emploi et au recul relatif du salariat, à travers le développement des micro-entrepreneurs et de l’emploi des plateformes collaboratives (7 Md€ de volume d’affaires en France en 2015 et environ 200 000 travailleurs concernés selon l’IGAS).

 

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1. B. Les nouvelles technologies participent du chômage frictionnel mais n’affectent pas le niveau global de l’emploi

 

Au plan du niveau du chômage structurel, les changements technologiques participent du chômage frictionnel ou de conversion au sens de Modigliani (1975), dès lors que les innovations induisent un délai d’appariement entre l’offre et la demande de travail, d’où il peut résulter des effets d’hystérèse [Blanchard, Summers, 1986]. De manière contre-intuitive, l’apparition des nouvelles technologies n’a en effet pas permis de réduire sensiblement la durée moyenne passée au chômage [Kuhn, Skuterud, 2004] ou la durée des recrutements [Bessy, Marchall, 2006], ce qui traduit une sous-optimalité du fonctionnement du marché du travail comme de la formation initiale et continue. Elles n’ont pas davantage réduit les asymétries d’information ou accru la transparence du marché de l’emploi, malgré la baisse des coûts de publication des offres et des candidatures : Internet a en effet reproduit les segmentations socio-professionnelles traditionnelles et les candidatures spontanées ou le réseau interrelationnel restent les canaux de recrutement privilégiés [Fondeur, Tuchzsirer, 2005].

 

Au plan du niveau global de l’emploi toutefois, les gains de productivité induits par les nouvelles technologies permettent d’améliorer les marges des entreprises auxquelles ils se diffusent et, ainsi, de modérer ou diminuer les prix (d’où une faible inflation au cours de la décennie 2000 selon Gordon), ce qui stimule la demande globale et contribue à l’amélioration du taux d’équipement technologique des ménages. Ce mécanisme explique pourquoi les nouvelles technologies n’ont pas engendré un reflux de l’emploi global. Au XIXème siècle, l’invention des métiers à tisser avaient ainsi conduit à automatiser 98 % du travail nécessaire à produire un mètre de tissu sans réduire le niveau d’emploi du secteur [Hillau, 1998]. La baisse du coût unitaire a en effet entraîné celle des prix sur des marchés concurrentiels, stimulant la demande de tissu et accroissant la demande de tisseurs ainsi que leur rémunération, malgré la baisse du contenu en main-d’œuvre de la production.

 

Au plan du sentier de croissance potentielle, les incidences des nouvelles technologies via le facteur travail et la productivité globale des facteurs sont également ambiguës. Selon Gordon (2016), la croissance économique depuis la fin du XVIIIème siècle a été générée par des phénomènes non reproductibles (conquête de nouveaux espaces et de nouvelles ressources, alphabétisation, exode rural, machinisation, etc.). L’innovation ayant atteint un plateau technologique après l’effondrement de la bulle Internet au cours des années 2000 [Jones, 2002], il en résulterait une « stagnation séculaire » marquée par une faible croissance potentielle (estimée par la DG Trésor à 1,25 % du PIB en France) et une moindre diffusion des technologies entre les entreprises à la frontière de la productivité et les autres [Andrews, 2015]. Enfin, en maintenant des taux d’intérêt bas depuis la crise financière, les politiques monétaires accommodantes assureraient la survie d’entreprises à faible productivité et réduiraient le taux de rotation des entreprises, engendrant une allocation sous-optimale du crédit [Caballero, 2008].

 

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2. Le développement de l’innovation technologique doit s’accompagner d’une adaptation de l’appareil de formation professionnelle pour soutenir la croissance potentielle et l’emploi

2. A. L’investissement dans le développement des nouvelles technologies et l’adaptation des compétences de l’offre de travail demeurent hétérogènes

 

Les théories économiques relèvent que plus un pays demeure éloigné de la frontière technologique, qui désigne l’ensemble des technologies existantes les plus efficaces, plus le progrès technique passe par l’imitation de l’économie la plus avancée. Ainsi, les gains de productivité expliquent la croissance chinoise entre 1990 et 2000 à hauteur de 4 points par an en moyenne [FMI, 2015]. A contrario, plus un pays se rapproche de la frontière technologique, plus il convient d’y encourager l’innovation à travers des institutions idoines [Acemoglu, 2006]. C’est pourquoi la Stratégie de Lisbonne a par exemple fixé un objectif d’effort de recherche et développement équivalent à 3 % du PIB des Etats membres de l’Union européenne. Si l’Allemagne s’en approche (2,9 % du PIB), l’effort de R&D demeure insuffisant en France (2,2 % du PIB) en raison notamment de la faiblesse de l’investissement privé (1,4 % contre 2,1 % en Allemagne).

 

Cette hétérogénéité des efforts de R&D induit un différentiel d’innovation, notamment à travers le dépôt de brevets triadiques (70 par million d’habitants en Allemagne, contre 50 aux Etats-Unis et 35 en France) ou la robotisation des entreprises industrielles (19 000 achats de robots par an en Allemagne, contre 4 600 en Italie et 3 300 en France ; 30,1 robots industriels par million d’emplois en Allemagne contre 12,7 en France selon l’IFR en 2016). A moyen terme, elle génère le risque d’accroître l’écart de gains de productivité aux dépens des pays qui présentent un niveau et une qualité inférieurs d’investissement dans les nouvelles technologies, après une période de convergence vers un rythme de +0,8 % à +1 % par an au sein de l’OCDE [Ducoudré, Heyer, 2017]. Tout se passe comme si l’innovation technologique représentait un nouveau potentiel de croissance économique (cf. rapport du Conseil d’analyse stratégique en 2012 sur la nouvelle croissance), ainsi qu’une opportunité de préserver le niveau de l’emploi industriel et d’améliorer sa rémunération (hausse des salaires de +4,3 % négociée début 2018 par le syndicat de la métallurgie allemand IG Metall), à rebours des thèses techno-pessimistes.

 

L’investissement dans l’adaptation des qualifications de l’offre de travail aux nouvelles technologies via la formation initiale et continue présente également de sensibles hétérogénéités entre pays développés. Le classement Pisa 2015 a ainsi montré un recul des performances éducatives en matière d’apprentissage des mathématiques et une stagnation en sciences pour la France (26e du classement au total), tandis que des pays comme le Japon, la Corée du Sud, la Finlande, l’Allemagne ou la Belgique voient leurs performances éducatives progresser. Ce décrochage est lié notamment à un sous-investissement dans le primaire (France Stratégie, 2016 : la France dépense 15 % de moins par élève qu’en moyenne OCDE) et à une formation insuffisante des enseignants aux pédagogies numériques. Il en résulte de fortes inégalités scolaires (80 % des élèves décrocheurs étaient déjà en difficulté dès le CP), qui se répercutent sur les taux d’insertion professionnelle (environ 100 000 élèves sortent chaque année sans diplôme de l’enseignement secondaire), en particulier dans le contexte de polarisation du marché du travail décrit ci-dessus.

 

L’appareil de formation professionnelle continue demeure également sous-optimal en France avec, d’une part, une orientation des financements favorable aux travailleurs déjà qualifiés (90 % des financements sont à destination des travailleurs déjà en poste dans le secteur privé ou public) et, d’autre part, une préférence pour les formations d’adaptation au poste de travail (72 % en 2014 selon l’Uncanss) par opposition aux formations permettant l’acquisition de compétences nouvelles en vue d’une évolution professionnelle future. Par ailleurs, la connaissance et l’accès aux droits à la formation demeurent également insuffisants en France, avec un taux d’accès au droit individuel à la formation de seulement 4,9 % en 2014. D’autres pays ont choisi d’élargir l’accès à la formation professionnelle continue afin d’assurer l’adaptation des qualifications de l’offre de travail aux changements technologiques. Ainsi, les travailleurs danois ont la possibilité de suivre 14 jours de formation par an et 21 % des adultes sont passés par le système de formation professionnelle (contre seulement 3 % en France et 9 % en moyenne européenne selon Eurostat en 2011).

 

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2. B. La mise en place d’environnements favorables à l’innovation de rupture, couplée à l’optimisation des systèmes de formation, permettrait de soutenir la croissance potentielle dans pays avancés et d’y réduire la segmentation de l’emploi

 

En premier lieu, il convient d’assurer un environnement fiscal et réglementaire favorable au développement d’innovations de rupture, entendues au sens d’innovations qui créent, transforment ou détruisent un marché [Christensen, 1997], afin de stimuler les gains de productivité et la croissance potentielle par un phénomène schumpétérien. A cet égard, il s’agit d’assurer notamment pour les entreprises numériques un accès au capital tout au long du cycle de développement, ainsi qu’une facilité d’entrée sur les marchés des nouveaux arrivants [Babinet, 2018].

 

Le cadre national peut accroître les investissements publics en infrastructures numériques (la France investissant seulement 40 M€ par an pour ses infrastructures de calcul par exemple), ainsi que renforcer les incitations fiscales à l’investissement privé dans la R&D (crédit impôt recherche en France pour près de 6 Md€ par an et crédit d’impôt à l’innovation pour les PME pour 100 M€ par an). Le cadre européen peut quant à lui contribuer à faire émerger un « marché numérique unique » visant à stimuler le commerce par l’harmonisation des législations nationales, mais les propositions formulées en 2015 par la Commission restent encore en cours de négociation.

 

En second lieu, l’investissement dans le capital humain apparaît comme la condition pour que l’innovation économique n’accentue pas la polarisation du marché de l’emploi. La substituabilité entre facteurs travail et capital sur les tâches routinières doit en effet conduire les travailleurs à se (re)positionner sur des segments de la chaine de valeur où le facteur travail est moins ou peu substituable. Cette évolution permettrait également d’améliorer les conditions de travail et le niveau de rémunération du facteur travail en parallèle de la montée en gamme de la production.

 

En France, le plan d’investissement dans les compétences prévoit ainsi un investissement de 15 Md€ sur la période 2018-2022, dont 360 M€ en faveur de formations aux métiers du numérique. Au plan quantitatif, il devra contribuer au redressement de l’investissement public, après un point bas à 18 Md€ par an entre 2015 et 2017 [INSEE, 2018]. Au plan qualitatif, il devra cibler prioritairement les publics disposant d’un capital de formation inférieur face aux transformations technologiques (demandeurs d’emploi de longue durée et décrocheurs scolaires notamment) et s’articuler avec la demande de travail exprimée par les secteurs d’activité en développement. C’est également en ce sens que devrait être revus la gouvernance et le pilotage de l’apprentissage, avec une implication renforcée des branches professionnelles dans la détermination des contenus pédagogiques des formations afin d’améliorer le taux d’insertion professionnelle (déjà élevé à 70 %).

 

Les théories de la croissance

1. Les notions fondamentales

Usages et limites du PIB : une mesure fiable mais limitée, un phénomène récent

  • Richesse produite par un pays : le PIB, c’est la somme des valeurs ajoutées des entreprises du pays pendant une période donnée (un trimestre ou un an).
  • PIB par habitant ou par tête : mesure le niveau de vie. La croissance économique permet donc une élévation du PIB/tête au cours du temps : mais ne répond pas à la question de la répartition de la valeur ajoutée.
  • Pour comparer les PIB/hab, des corrections techniques sont nécessaires.
    • Au cours du temps : PIB à prix constants corrigés de l’évolution des prix.
    • Entre pays : PIB corrigés des taux de change et en parité de pouvoir d’achat (Big Mac Index, cf. OCDE, 2002).
  • Les limites du PIB : externalités, bien-être (IDH), niveau de développement.
  • La croissance est l’accroissement sur une courte ou une longue période des quantités de biens et services produits dans un pays ou dans une zone économique.
  • Il s’agit d’un phénomène récent à l’échelle de l’humanité : décollage au XIXème siècle (A. Madison)
  • P. Rosenstein-Rodan (1943) : théorie du Big Push : c’est l’accumulation de capital qui permet de sortir de la trappe à pauvreté (notamment après les destructions de 1939-1945 : 20 % du capital immobilier détruit en France)
  • R. Gordon (2016) : théorie « de la stagnation séculaire » : la croissance est une parenthèse qui va se refermer car tirée par des phénomènes non reproductibles (conquête de nouveaux espaces, alphabétisation, exode rural, machinisation, etc.).

Croissance du PIB par habitant depuis 1700 (source : T. Piketty, Le Capital au XXIème siècle, 2013)

Le modèle de Solow : une approche des facteurs de croissance

  • Quels facteurs contribuent à la croissance ?
    • Y = C + I + G + X – M (où Y est la croissance, C la consommation, I l’investissement, G la dépense publique, X les exportations et M les importations)
    • Y* = L + K + PGF (où Y* est la croissance potentielle, L le facteur travail, K le facteur capital et PGF la productivité globale des facteurs)
    • Y (LT) = L + PGF (où Y(LT) est la croissance à long terme)
  • Hypothèse néo-classique : rendements décroissants du capital. Tiers facteur (progrès technique) explique qu’on ne converge pas vers un état stationnaire.

Les contributions à la croissance chinoise (source : FMI, 2013)
  • La PGF : elle est évaluée comme un « résidu » dans le modèle solowien.
    • C’est la fraction de la croissance qui n’est pas expliquée par l’augmentation quantitative des facteurs de production.
    • Elle permet d’apprécier les gains d’efficience d’une économie et dépend de la technologie, du fonctionnement des marchés et de l’organisation du travail.
    • Productivité horaire ou par tête : quantité produite / quantité de travail (heures ou nombre de travailleurs) => toujours veiller à comparer les mêmes grandeurs.
    • Ex. 1990-2000 : USA investissement et gains de productivité vs. UE croissance enrichie en emplois (2,3 % vs. 1,2 % aujd seuil de croissance à partir duquel le chômage se résorbe en France).
  • Un déclin tendanciel de la productivité du travail depuis la fin des 30G, d’où une croissance potentielle plus faible

Augmentation moyenne de la productivité horaire en % (source : Datastream, Eurostat)

Moyenne de la croissance du PIB en volume, en % (sources : Datastream, Eurostat)

La croissance potentielle : une notion macroéconomique

  • Le PIB potentiel est l’augmentation soutenable à moyen et long terme de la production sans accélération de l’inflation (sans tensions excessives sur les marchés des biens et du travail). Cf. Banque de France, « La croissance potentielle : une notion déterminante mais complexe », mars 2015)
  • Le PIB potentiel n’est pas une valeur observable en finances publiques ou en comptabilité nationale mais une notion macroéconomique théorique.
    • Les politiques publiques sont susceptibles d’affecter la croissance potentielle en modifiant le taux de chômage structurel, la productivité ou l’investissement
    • Les crises aussi peuvent l’affecter : croissance potentielle française estimée à 2 % avant crise vs. 1,25% aujourd’hui (INSEE). Effets d’hystérèse (cf. infra)
  • On en déduit l’output gap : c’est l’écart de production, soit la différence entre le PIB effectif mesuré en comptabilité nationale et le PIB potentiel. Il permet de positionner une économie dans le cycle et de calculer le solde structurel
  • Cycle économique : alternance entre des phases de croissance rapide et des phases de ralentissement. Le cycle constitue une déviation ou une fluctuation du niveau d’activité par rapport à sa tendance de long terme. (articulation court terme / long terme majeure en macro-économie : ex. relancer la croissance vs. rehausser le sentier de croissance)

Croissance réelle, potentielle et output gap en Hongrie (source : Datastream, Eurostat)

Croissances effective et potentielle en France depuis 1960 (source : DG Trésor, 2017)

Les autres théories de la croissance : croissance endogène, convergence économique et courbe de Kuznets

  • La théorie de la croissance endogène [Pourquoi il peut être utile d’investir dans le capital pour stimuler la croissance de long-terme ?] : une croissance auto-entretenue par l’accumulation de capital aux rendements marginaux non décroissants. Paul Romer, “Increasing Returns and Long Run Growth” (1986). Idée que les gains de productivité se diffusent dans une économie (rendement privé => rendement social : externalités positives : actions d’un agent économique qui ont un impact positif sur le bien-être et le comportement d’autres agents).
    • Les rendements d’échelle (ex. regroupement activités = externalités positives)
    • L’innovation (organisation, procédés, produits) : externalité positive et prime pour le first mover (ou winner takes all)
    • Le capital humain (éducation, formation, bonne santé)
    • L’investissement public (R. Barro : circulation des biens, des personnes, de l’information et financement par l’impôt jusqu’à un certain seuil)

Evolution des dépenses intra-muros totales en R&D en France et en Allemagne sur la période 1981-2008 (en % du PIB)
  • La théorie de la convergence économique [Pourquoi certains pays croissent plus vite que d’autres ?] : révèle un phénomène de rattrapage.
    • Convergence entre pays dissemblables : les pays pauvres croissent plus vite que les pays riches, autrement dit corrélation négative entre le niveau initial du PIB/tête et le taux de croissance [Barro et Sala-i-Martin, 1992].
    • Plus un pays est éloigné de la frontière technologique (ensemble des technologies existantes les plus efficaces), plus le progrès technique passe par l’imitation de l’économie la plus avancée. Gains de productivité expliquent pour 4 points/an croissance chinoise entre 1990 et 2000 (FMI).
    • Plus il se rapproche de la frontière, plus il est important d’y encourager l’innovation avec des institutions idoines [Acemoglu, 2006]. Ex. le revenu/hab du Cameroun passerait de 600 à 2 760 $ (*4,5) si la qualité de ses institutions rejoignait la moyenne mondiale (ex. protection du droit de propriété).
    • Clubs de convergence entre pays comparables : modèle gravitationnel d’Andrew Rose (2000) ex. zone Euro
    • Convergence entre revenus : la dispersion des revenus se réduit, c’est-à-dire l’écart-type des PIB/tête diminue (indice de GINI).
  • Le lien entre croissance et inégalités : S. Kuznets (1955) : courbe en cloche.
    • Dans un premier temps, l’accumulation de capital infrastructurel et naturel conduit à une répartition des richesses déformée en faveur des détenteurs d’épargne. Puis, l’accumulation de capital humain réduit les inégalités.
    • Mais Piketty (2005) : réduction pas naturelle (impôts et événements inattendus affectant le capital : guerres, inflation). En France, les transferts fiscaux, sociaux et en nature réduisent le rapport interdécile (rapport entre le niveau de vie des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres) de 5 (revenus primaires) à 3,5 (revenus après redistribution).
    • J. Stiglitz (2012) : le Top 1 % détient 20 % des revenus primaires aux USA du fait de la déformation du partage de la valeur ajoute entre capital et travail depuis 1980s : en découlent instabilité financière et moindre mobilité sociale.
=> La croissance ne suffit pas à réduire les inégalités, cela dépend aussi des institutions et de la structure des marchés.

2. Les outils

La France : un modèle déséquilibré

  • Un modèle de croissance déséquilibré
    • Prépondérance de la consommation privée et publique (70 % du PIB) et moins de gains de PGF (divisés par 2 depuis 1980)
    • Une contribution négative du commerce extérieur à la croissance (-0,3 pt en 2016)
    • Des effets d’hystérèse depuis la crise : 1 600 usines fermées (Trendeo, 2015), hausse du taux de chômage (supérieur à 9 % de la population active depuis 2009).
  • Un modèle fiscal et social qui réduit la compétitivité des entreprises
    • Poids des prélèvements obligatoires pesant sur les facteurs de production (cotisations sociales + fiscalité sur les entreprises) : 34,7 % du PIB vs. 29,4 % en moyenne zone Euro.
    • Une évolution inversée des coûts salariaux unitaires en France et en Allemagne entre 2001 et 2008 : +2,2 % vs. -0,2 % (cf. Trésor Eco, 2014).
    • Coûts salariaux unitaires = coût horaire de la main-d’œuvre / productivité horaire du travail : on peut compenser des coûts salariaux élevés par une productivité du travail élevée. En revanche, si le salaire brut augmente plus vite que la productivité, la compétitivité-prix se dégrade.

L’Allemagne : un modèle concurrentiel

  • Un modèle de compétitivité…
    • Excédent structurel du commerce extérieur : +8,6 % du PIB en 2016 lié à une forte compétitivité hors prix (élasticité-prix de la demande des biens : 0,3 vs. 0,9 en France : on mesure ici comment la demande d’un bien réagit après une variation de son prix ; plus cette élasticité est faible, moins les biens sont substituables, càd qu’ils sont positionnés sur un segment de marché qui les différencie par la qualité) et économie très ouverte (taux d’ouverture commerciale de 43 % [X+M/2/PIB] vs. 31 % France ; Chine passée 1er partenaire commercial depuis 2015)
    • Tissu industriel de PME décentralisé (Mittelstand) : 97 % des entreprises, 45 % de l’emploi, fortement exportatrices (18 % des PME allemandes sont exportatrices vs. 10 % en France)
    • Une économie proche de la frontière technologique : 30,1 robots industriels par millier d’emplois vs. 12,7 en France et 17,6 aux USA (IFR, 2016) ; 46 Md€/an de dépenses de R&D dans l’industrie manufacturière vs. 16 Md€ en France
  • …fruit d’une préférence collective
  • Reflux du chômage (5,6 % en 2017) aussi lié à des facteurs démographiques : jusqu’en 2015, la population active a diminué (-3 % population en âge de travailler entre 1998 et 2009)
  • Désalignement entre croissance économique et progrès social : taux de pauvreté (% de pop dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian) à 16 % vs. 14 % France, notamment hausse pour les chômeurs depuis 2004 (loi Hartz IV a réduit la durée des allocations chômage à 1 an) et indice de Gini à 0,3 (mesure des inégalités).
  • Faible part de l’investissement public réduit les dépenses publiques à court-terme mais handicape la croissance à long-terme : déficit d’investissement de 3 % du PIB (cf. France Stratégie, 2014), notamment secteurs petite enfance, infrastructures, énergie. France Stratégie propose seuil minimal investissement en Allemagne sans remettre en cause la règle d’or (0,35 % déficit structurel).

La Chine : un modèle extraverti

  • Un modèle de croissance par imitation
    • « Economie sociale de marché » : PIB multiplié par 31 en 26 ans (!) : de 361 Md$ (1990) à 11 200 Md€ (2016)
    • Prépondérance de l’investissement (50 % PIB vs. 36 % pour la consommation)
    • Une croissance extravertie : passée de 2 % en 1981 à 10 % en 2011 des exportations mondiales, dont 40 % vers UE et USA (induit une désinflation importée, cf. chapitre politique monétaire).
    • Notamment 1er exportateur mondial produits de haute technologie depuis 2003 (devant USA). 65 Md€ d’IDE/an car excès d’épargne (pic à 30 % du revenu disponible brut des ménages en 2009, cf. Trésor Eco, 2015). Mais vulnérable à un retournement de la conjoncture mondiale (ex. en 2008).
  • La recherche d’un rééquilibrage
    • Au plan externe : diminution de l’excédent commercial après un pic à +9,2 % en 2007 (+2,2 % en 2016). Selon Krugman (2015), le taux de change du Yuan, longtemps inférieur à son niveau d’équilibre (-20 % en 2006), est aujourd’hui légèrement surévalué.
    • Au plan interne : développement d’une protection sociale (réduit le taux d’épargne des ménages après le pic à 30 % RDB), hausse des salaires : +20 %/an en moyenne depuis 2005. Entre 1998 et 2014, le ratio CHI/USA en coûts salariaux unitaires passé de 40 % à 70 %. Montée en gamme et début de délocalisations (ex. Foxconn au Vietnam, où les CSU sont 3x inférieurs).
  • Des défis sociaux et environnementaux à surmonter
    • Fortes inégalités (Gini à 0,5) et faible classe moyenne (130 millions d’individus sur une population de 1,5 milliard)
    • Vieillissement démographique : 40 % de retraités en 2040 (politique de l’enfant unique) et taux de dépendance de 30 % en 2040 (ratio nombre de personnes +65 ans / population en âge de travailler : renseigne sur le besoin de financement en protection sociale)
    • 1er émetteur de GES, pollution 4è cause de mortalité. 1er investisseur dans les technologies vertes (50 Mds/an). Ex. leader sur la marché du photovoltaïque (60 % de l’offre mondiale).
  • Le rôle des institutions et de la gouvernance
    • Transition démocratique depuis 1992. 7 % de croissance/an en moyenne depuis 2010. Tertiarisation (services = 50 % PIB). Classe moyenne de 5 M d’habitants (20 % de la population, soit plus qu’en Chine < 10 %). Indice de Gini passé sous 0,4.
    • Acemoglu & Robinson (« Why Nations Fail? », 2012) : modèle inclusif (bonne gouvernance + protection sociale) vs. modèle extractif (une élite politique contrôle les rentes : ex. comparaison des deux Corée : même culture et géographie, mais niveaux de développement très hétérogènes). Pour le Ghana, environnement juridique/politique favorable aux IDE selon les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale.
    • Mais récemment : fort déficit public (9,6 % en 2014, réduit à 6 % en 2017), dépendance au cours des matières premières (or, pétrole, cacao) et programme d’assistance budgétaire du FMI (2014-2018).
  • Le rôle du commerce international vs. l’aide publique au développement
    • Frankel & Romer « Does Trade Cause Growth? » (1999) : l’ouverture au commerce est plus efficace que l’APD sous certaines conditions (accès à la mer et proximité géographique de pôles commerciaux).
    • +1 pt taux d’ouverture commerciale = +0,5 pt PIB/hab.
    • NB : APD = 100 Md$/an (les dépenses d’APD représentent ~0,4 % du RNB en France).
    • Ex. Vietnam : politique du Doi Moi (rénovation) depuis 1986 : entrée dans l’ASEAN en 1995 et dans l’OMC en 2007. PIB multiplié par 5 entre 1985 et 2011. Industrie = 40% du PIB notamment textile (forts gains de PGF). L’un des tigres asiatiques : 6 % croissance/an en moyenne depuis 2010.

3. Les défis

Comment rehausser la croissance potentielle en France ?

Accroche : Note conjoncture INSEE octobre 2017 : France +1,8 % PIB en 2017 : plus un sujet ? Mais certainement lié dynamisme demande extérieure (+3,3 % exports car +5,4 % commerce mondial), effets conjoncturels (pétrole stabilisé entre 50 et 60 $ d’ici fin année), mais toujours inférieure à ses voisins (+2,2 % en Allemagne et en moyenne zone euro, ESP +3,1 % car en rattrapage crise). Regain conjoncturel n’épuise pas sujet structurel de la croissance potentielle FR.
Définitions :
Croissance potentielle : augmentation soutenable à moyen et long terme de la production sans accélération de l’inflation. Rappeler incertitudes sur mesure et usages cf. Lettre du Trésor Eco : « La croissance potentielle en France » (2017).
Rehausser la croissance potentielle : relever le sentier de croissance : différent de relancer la croissance pour atteindre son potentiel.
Comment : question des leviers à activer, pas la question des finalités (autre sujet ou « faut-il rehausser ? »)
Problématisation : contexte budgétaire contraint (dette ~ 100 % PIB) et environnement concurrentiel (poids des émergents, mais aussi partenaires UE qui prennent des parts de marché), seules politiques conjoncturelles ou reprise extérieure ne suffiront pas à stimuler potentiel de croissance.
=> Quelles réformes structurelles pour stimuler les facteurs de croissance potentielle de la France ?
IA/ Faits stylisés :
Déclin tendanciel de la croissance potentielle depuis la fin des 30G : +4,5 % Y* 60-80s, +2,5 % 80-00s, +2 % 2000-2010, +1,25 % depuis la crise selon Trésor. En-dessous autres pays développés du fait mauvais fonctionnement des marchés.
Output gap négatif jusqu’en 2017 : écart de production demeure à 5 pts de base en 2016 (1,2 % vs. 1,25 %), mais se résorbe (35 pts de base en 2014 : 0,9 % de croissance cette année).
IB/ Théories :
– Modèle solowien de la croissance potentielle : K + L + PGF, dont L et PGF à long-terme. Apports du modèle de la croissance endogène : certaines formes de K peuvent aussi jouer.
– Avant la crise, ralentissement PGF commun à tous les pays développés : tertiarisation réduit les gains de PGF [Baumol, 1966] et faibles effets numérique (« techno-pessimistes » déjà Solow en 1987 : « on voit des ordinateurs partout, sauf dans les indicateurs de productivité », cf. Gordon, 2012 : vers « stagnation séculaire » et création emplois faible productivité).
Mais problème : Y* déjà en-dessous autres pays développés : mauvais fonctionnement des marchés (travail, accès au crédit, biens et services concurrence insuffisante not. énergie/transports, ce qui augmente le coût des intrants pour les entreprises), qualité insuffisante de la FBCF des entreprises (renouvellement vs. modernisation de l’appareil productif : ex. faible robotisation : plus de 2x moins de robots industriels/millier d’emplois que l’Allemagne), diffusion insuffisante de l’innovation (cf. chiffres R&D, brevets).
– Depuis la crise, effets d’hystérèse ont accru le chômage structurel (+ durée au chômage – chance retrouver emploi, cf. Blanchard & Summers, 1986) et destruction capital physique (-1 600 sites industriels entre 2008 et 2015) => réduit contributions facteurs L et K à Y*. Facteurs démographiques (dans le scénario dégradé de l’INSEE) : -1,5 M actifs d’ici 2060 = tendance pourrait se poursuivre.
IIA/ Bilan des politiques publiques :
Avant 2012, accroissement du coin socio-fiscal pour réduire le déficit public (+18 Md€ de PO sur les entreprises en 2011-2012) et logique timide d’investissement dans la croissance potentielle : grand emprunt Juppé-Rocard 2010 => PIA de 56 Md€ sur 2010-2017 dont plus de la moitié sur ESR (Idex, ANR, BPI).
– Dans d’autres pays, logique de baisse de la fiscalité du capital (taux IS moyen 25 % en UE vs. 33,3 % en FR), activation des politiques de l’emploi pour réduire le chômage structurel (FR : indemnisation chômage longue et généreuse) et investissement dans le K humain (ex. 36 % des adultes 25-64 ans participent à une formation professionnelle chq année en FR vs. 50 % en moyenne OCDE et 65 % pays scandinaves).
Depuis 2012, politique de l’offre pour relancer l’investissement : réduction PO entreprises pour stimuler la FBCF (-41 Md€ CICE/PRS => indice du prix du travail INSEE +2,3 % en 2012 vs. +1,1 % en 2015) : redressement du taux de marge des entreprises à 31,7 % en 2017 (vs. 29,5 % en 2014). Aujd, investissement des entreprises +3,4 % en 2016 et +3,9 % en 2017. Mais effets tardifs : financement CICE par hausse de TVA et économies budgétaires => la politique budgétaire continue de contribuer négativement à la croissance : -0,3 pt PIB en 2015 et jusqu’en 2019, cf. OFCE, 2017).
IIB/ Recommandations :
– Approfondir la politique de l’offre [jouer sur le facteur capital] :
–réduire fiscalité apparente sur le capital (PLF 2018 : bascule du CICE en allègements de cotisations employeurs pérennes : simplification et supprime l’effet retard du crédit d’impôt, flat-tax sur les revenus du capital à 30 %, suppression C3S)
–réorienter la dépense publique vers les investissements à rendement socio-économique élevé (logique du GPI : +57 Md€ en 5 ans sur numérique, transition énergétique, formation, transition énergétique ex. rénovation bâtiments, doit être financé par baisse dépenses moins productives ex. subventions au gazole, ferroviaire ou charges courantes des APU ex. selon audit 2017 Cour des comptes, moitié hausses dépenses de personnels APUL pas liée à décentralisation : économies de 1 à 2 Md€/an seulement en ramenant temps de travail effectif à durée légale 35H et taux d’absentéisme 2 à 3x plus élevé que dans privé).
– Réduire le chômage structurel [jouer sur le facteur travail]
–lever les freins à l’embauche (prévisibilité sur le coût des licenciements)
–renforcer les incitations monétaires à l’activité (ex. revalorisation de la prime d’activité)
–améliorer l’efficience du service public de l’emploi (appariement offre/demande de travail => ~100 K emplois vacants selon Pôle emploi). Cf. chapitre sur le marché du travail.
– Assurer une meilleure diffusion de l’innovation et améliorer performances éducatives [jouer sur la PGF] :
–bcp de dispositifs de soutien à l’innovation existent (CIR, BPI, PIA = effet +0,1 Y* sur 2010-2020 selon Rexecode) mais sous-investissement dans les TIC. Mieux cibler les aides à l’innovation (IGF, 2015) pour augmenter le niveau de qualité de l’investissement (France Stratégie, 2017). Le cas échéant aussi stratégie européenne d’investissements communs notamment si budget de la zone euro (cf. chapitre ad hoc).
–Combler retard sur l’éducation : décrochage 25 % dans le secondaire, faible attractivité du métier d’enseignant (salaires 33 K$/an vs. 38 K$ en moyenne OCDE), écart 1 à 3 avec US & UK dans classement Shanghai pour le supérieur => investir dans la formation = réduire la taille des classes (IPP, 2017), réinvestir sur le primaire, mobiliser financements privés dans le supérieur (18 % des ressources vs. 32 % en moyenne OCDE) et simplifier le fonctionnement de l’apprentissage (CAE, 2014).

Le marché du travail

1. Les notions

Chômage et emploi

  • Taux de chômage = nb chômeurs / population active (employés + chômeurs)
    • vs. Taux d’emploi = employés / population en âge de travailler
    • Taux de chômage en FR : 9,7 % en France entière au T3 2017 (3,5 M)
    • Taux d’emploi en FR : 64 % en France entière en 2016 (26,2 M)
    • Chômage au sens du BIT : toutes les personnes en âge de travailler (15-64 ans), sans emploi, en recherche et immédiatement disponibles
    • Chômage au sens de l’INSEE : catégorie A (équivalent BIT) vs. B/C (activité réduite) vs. D/E (pas immédiatement disponibles : formations, contrats aidés)
    • Chômage conjoncturel (dépend de la position dans le cycle) vs. Chômage naturel (structurel + frictionnel ou de conversion lié aux changements technologiques) => notion de NAIRU (Modigliani, 1975) : c’est le taux de chômage d’équilibre vers lequel le chômage converge en l’absence de chocs d’offre temporaires et une fois que le processus d’ajustement dynamique de l’inflation est achevé.

Taux de chômage et NAIRU en Belgique (1980-2011)

Taux de chômage en Europe et aux Etats-Unis entre 2007 et 2017 (source : OCDE)
NB : l’offre de travail est la quantité de travail fournie par les travailleurs en l’échange d’une rémunération, tandis que la demande de travail est celle dont les entreprises ont besoin pour produire des biens et services.
  • Les théories économiques du chômage
    • Chômage classique : à LT, l’emploi augmente au même rythme que la population active, offre et demande de travail s’égalisent => le chômage est toujours volontaire et lié aux rigidités du marché du travail (salaire minimum, etc). Il résulte d’un arbitrage entre effet revenu (relation positive entre prix et offre de travail) et effet de substitution (valorisation des loisirs vs. travail)
    • Chômage keynésien : involontaire, dépend à CT des variations de l’activité car le salaire n’a pas la même fonction régulatrice que le prix sur les marchés de biens : les salaires nominaux sont rigides et ne s’ajustent pas car ils expriment une convention (contrat de travail) et non d’un prix de marché. En revanche, l’emploi s’ajuste à la conjoncture par la flexibilité interne (durée du travail et rémunération) et externe (licenciement/embauche) à l’entreprise.
    • Pour Malinvaud (1980), les deux peuvent coexister :
      • Chômage keynésien en cas d’excès d’offre sur le marché des biens => il faut alors stimuler la demande adressée aux entreprises
      • Chômage classique en cas d’insuffisance de l’offre et de rigidités du marché du travail => il faut alors stimuler la profitabilité des entreprises et ajuster les salaires réels à la productivité (Real W = Nominal W / variation de l’indice des prix)
      • En bas de cycle => ramener le chômage à son niveau d’équilibre
      • En milieu ou en haut de cycle => réduire le taux de chômage naturel
    • Loi d’Okun (1962) : relation empirique négative entre taux de croissance et taux de chômage (+4 % PIB aux USA = -0,5 % chômage). Il existe un seuil de croissance qui permet d’absorber les gains de productivité et l’augmentation de la population active (1,5% en France : il a diminué depuis les années 1980 car la croissance s’est enrichie en emplois : Blanchard, 2006).
    • Courbe de Beveridge (1944) : relation empirique négative entre taux de chômage et nb d’emplois vacants (100-150k en France : appariement imparfait entre offre et demande de travail)
    • Schumpeter (1942) : destruction créatrice avec l’innovation (en France, 15k créations et destructions d’emploi chaque jour) => atrophie des secteurs moins productifs vs. croissance des secteurs plus productifs

Taux de création et de destruction d’emplois en France (2000-2010), source : INSEE

Les justifications économiques des politiques de l’emploi

  • Soutenir la demande en période de crise : ex. durée d’indemnisation du chômage (allongée en 2009 aux USA de 6 à 24 mois) ; contrats aidés (~500k entrées/an en France entre 2013 et 2016)
  • Prévenir les effets d’hystérèse après un choc exogène (ex. chômeurs de longue durée = 37% aux USA en 2014)
  • Renchérir le coût des licenciements : ex. taxe sur les licenciements (Blanchard & Tirole, 2003) incite les entreprises à investir sur la reconversion des salariés ; cotisations plus élevées sur les contrats atypiques (ex. CDD dans l’ANI 2013)
  • MAIS rigidités et barrières à l’entrée et à la sortie de l’emploi réduisent le nb de licenciements et d’embauches et accroissent la durée passée au chômage => segmentation et dualisme du marché du travail (Lindbeck & Snower, 1988).
    • Salaire minimum empêche la baisse des bas salaires => chômage des moins qualifiés (50% des chômeurs en France n’ont pas le baccalauréat).
    • Autorisation administrative des licenciements (1975-86 en France) : accroît les délais d’ajustement de l’emploi à la demande sans réduire le nombre des licenciements.
    • Indemnités de licenciement : renchérit leur coût et désincitent à l’embauche.
    • Indemnisation du chômage : accroît l’effet de substitution inactivité/travail et génère des trappes à inactivité.
    • Autres entraves à la fluidité du marché du travail : immobilier (prix et offre locative), transports, accès aux modes de garde.

Le prix du travail, élément de compétitivité-prix

  • Le prix du travail traduit un modèle de financement de la protection sociale (bismarckiens vs. beveridgiens) et le rôle de l’intervention publique dans la société (ex. les cotisations sociales employeurs étaient 2x plus élevées en FR qu’en AL en 2012 en % du PIB).
  • Coin socio-fiscal : coût total d’un travailleur pour une entreprise au-delà du salaire net (cotisations). Permet une première mesure de la compétitivité-prix : en 2015, il explique 40 % des coûts salariaux en France (vs. 35 % en Allemagne et 25 % au Royaume-Uni).
  • Coûts salariaux unitaires : coût horaire de la main-d’œuvre / productivité horaire du travail. Mesure également la compétitivité-prix d’une entreprise, qui peut être améliorée soit en diminuant le prix du travail, soit en augmentant sa productivité.
  • L’élasticité du nb d’emplois au prix du travail est d’autant plus élevée dans les pays où le prix du travail est élevé (-0,24 en France vs. -0,18 au Royaume-Uni selon Ducoudré, Heyer, 2017).

Les justifications économiques du salaire minimum

  • Pour le salarié, le salaire minimum doit être supérieur au salaire de réserve (Pissarides, 1990) : salaire en-dessous duquel le chômeur n’accepte pas la demande de travail du fait de trappes à inactivité
  • Pour l’employeur, le salaire minimum doit être proche du salaire d’efficience (Leibenstein, 1957) : il doit être faiblement supérieur au salaire de marché du fait des asymétries d’information (les employeurs ne connaissent pas à l’avance la productivité des salariés + le salaire d’efficience incite les salariés à rester dans l’entreprise et encourage leur productivité).
  • Au plan micro-économique, il permet de lutter contre les monopsones (sur les marchés où les employeurs sont dominants et fixent un salaire faible qui décourage l’offre de travail)
  • Au plan macro-économique, il permet d’orienter le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits (ex. salaire minimum fédéral gelé pendant 20 ans aux USA)
  • MAIS : Le salaire minimum peut avoir un impact négatif sur l’emploi ex. Kramarz (1999) : +1% SMIC = +1.5% de chômage au niveau du SMIC en France (10 % des salariés en France au SMIC + effet de diffusion d’une hausse du SMIC jusqu’à 1,4 SMIC, soit la moitié des salariés).
    • L’OCDE proposait en 2013 des SMIC régionaux en France (plus élevé en IDF)
    • Le groupe d’experts sur le SMIC proposait en décembre 2017 d’indexer le SMIC seulement sur l’inflation afin de modérer son évolution future (il est aujourd’hui indexé en partie sur l’inflation et sur les salaires)
    • En Allemagne, les salaires minimum étaient fixés par branche jusqu’en 2015. Ajd, salaire minimum fédéral fixé à 8,5 puis 8,84 € bruts de l’heure. Le chômage a continué à diminuer car la hausse du salaire minimum a stimulé la demande de travail.

2. Les outils

Le soutien à la demande de travail (des entreprises)

  • La réduction du prix du travail : une action des pouvoirs publics
    • « TVA sociale » en Allemagne en 2007 (hausse de la TVA de 16 à 19 % et baisse à due concurrence des cotisations employeurs) : changement d’assiette pour financer la protection sociale qui réduit le coin socio-fiscal
    • Allègements de cotisations employeurs : env. 40 Md€ en France (allègements généraux dégressifs de 1 à 1,6 SMIC + CICE proportionnel jusqu’à 2,5 SMIC). Selon la DARES, 170k emplois créés par les AG entre 1994 et 1999. Les allègements de cotisations employeurs maximisent les créations d’emplois si elles sont concentrées au voisinage du salaire minimum (Cahuc, 2014).
    • MAIS risque de créer une trappe à bas salaires et risque de se traduire sur les hauts salaires par des augmentations salariales si l’offre de travail est peu élastique au salaire (Katz, 1998) alors que l’objectif est d’accroître les marges des entreprises pour investir.
  • La « modération salariale » : une action des partenaires sociaux
    • Accord de Wassenaar aux Pays-Bas (1982) : hausse des salaires +6 % / an dans les années 1970 puis contenue à +1,5 % dans les années 1980, soit une baisse des salaires réels compte tenu de l’inflation (politique de « désinflation compétitive »)
    • Egalement en Allemagne dans les années 2000 : politique rendue possible par la stagnation des prix de l’immobilier : pas de perte de revenu disponible brut pour les ménages (v. CAE, 2013)

La réduction de l’offre de travail (des travailleurs)

  • La réduction de la taille de la population active (« partage du travail »)
    • Réduction généralisée du temps de travail : efficace si accompagnée d’une réduction des cotisations employeurs pour ne pas dégrader les marges des entreprises (sinon pas d’effet significatif sur l’emploi, v. Hunt, 1999 en Allemagne et Skuterud, 2007 au Québec, voire un effet négatif via le surcoût de prix du travail v. Kramarz, 2002).
      • Ex lois Robien 1996 et Aubry 1998 et 2000 : incitations à la RTT par allègements employeurs. 350k créations d’emplois en France entre 1998 et 2002 (Passeron, 2004) du fait des réorganisations du processus productif. MAIS effets paradoxaux sur les gains de productivité : +1,8 % en 2000 vs. +1,5 % en 2004 alors que corrélation négative entre nb d’heures travaillées et productivité (OCDE, 2009) : ex. Corée (2250h / 26$/h) vs. Allemagne (1420h / 51$/h).
      • Dans un monde où la production des entreprises serait une donnée intangible, il faudrait un nombre fixe d’heures de travail pour atteindre un niveau de production : il suffirait que chacun travaille moins longtemps pour inciter embauche.
      • L’impact de la réduction du temps de travail sur l’emploi dépend de la manière dont elle affecte la compétitivité des entreprises. Si elle incite les entreprises à adopter une organisation plus performante et pousse les salariés à travailler plus efficacement, sans trop accroître le coût de la main-d’œuvre, elle peut ne pas détruire voire générer des emplois. Mais la seule réduction du temps de travail ne crée pas d’emplois.
    • Départs anticipés à la retraite : 1M de préretraites en France à partir de 1976, politique analogue aux Pays-Bas. Gruber, 2010 : visent à aider les secteurs en déclin à réduire leurs effectifs (métallurgie et textile 70-80s) : manière moins conflictuelle de gérer les rotations d’effectifs mais coût pour les contribuables et n’améliore pas l’emploi des jeunes (OCDE, 2013).
      • Autre possibilité : abaisser l’âge de la retraite pour diminuer la taille de la population active. MAIS dégrade le ratio de dépendance (il y a moins de personnes au travail pour subvenir aux besoins d’un plus grand nombre d’inactifs) => hausse des prélèvements sur les ménages et les entreprises, pèse sur la compétitivité, ne favorise pas les embauches notamment des jeunes peu qualifiés.
  • Le chômage partiel pour maintenir l’emploi en temps de crise (flexibilité interne)
    • En Allemagne, il a permis de préserver 1 pt d’emploi pendant la crise (Koch, 2014) : 250k salariés vs. 18k en France. Développement du temps partiel : 28 % de l’emploi total en Allemagne vs. 19 % en France (DARES, 2014) mais inégalitaire car il touche principalement les femmes (83 %).
    • Simplification des régimes de chômage partiel dans l’ANI 2013 en France mais qui restent complexes (Trésor-Eco, 2012).

Le soutien à l’offre de travail (des travailleurs)

  • La lutte contre les trappes à inactivité pour inciter au retour à l’emploi
    • Loi Hartz IV en Allemagne : réduction de l’indemnisation du chômage (1 an max) => diminue le salaire de réserve mais augmente les inégalités de revenus (hausse de l’indice de GINI de 0,29 en 2000 à 0,33 en 2006)
    • Incitations monétaires à la reprise d’emploi via des crédits d’impôts depuis les années 1970 aux USA et en UK (Working Tax Credit). En France, prime pour l’emploi et RSA activité remplacés par la prime d’activité en 2016 (2,5 M de foyers bénéficiaires, montant moyen 160 € / mois) : soutien aux revenus des travailleurs pauvres mais critiqué car socialisation du salaire (5 Md€ dans le budget de l’Etat)
    • Pistes de réforme de l’Unédic en France : dégressivité des indemnités chômage pour inciter au retour à l’emploi (INSEE, 2001 : comportements de free rider notamment chez les plus qualifiés qui attendent la fin de la durée d’indemnisation pour intensifier leur recherche d’emploi) et contrôle accru de la recherche d’emploi (Pôle emploi, 2017 14 % des demandeurs d’emploi ne recherchent pas d’emploi : or effets d’hystérèse : plus longue est la durée passée au chômage, moindres sont les chances de retrouver un emploi)
  • Les contrats aidés pour les populations les plus éloignées du travail
    • Env. 400k en France en moyenne depuis 2010, dont 3/4 dans le secteur non marchand (collectivités, associations, etc). Investissement dans le K humain pour réduire les effets d’hystérèse et développer l’employabilité des bénéficiaires.
    • MAIS : Sienesi, 2001 : moindres chances de retrouver un emploi pérenne pour les bénéficiaires de contrats aidés en secteur non marchand vs. en secteur marchand (étude de cohortes en Suède) car signal négatif pour les futurs employeurs (Zylberberg, 2004) => les contrats aidés seraient moins efficaces que les réductions de cotisations employeurs. Enfin, il existe des effets d’aubaine pour les contrats aidés en secteur privé (1 contrat sur 2 aurait de toute façon été conclu) => choix du gouvernement de réduire à 200k le nombre de nouveaux contrats en 2018 et de les cibler sur le secteur non-marchand.
    • Réforme en cours des contrats aidés en France (rapport Borello, 2018) pour améliorer l’insertion dans l’emploi durable en sortie de contrat via le recours systématique aux formations pendant le contrat (aujourd’hui seulement 36 % en bénéficient à raison de seulement 3h/mois).

L’optimisation du marché du travail

  • Les réformes pour lutter contre le dualisme du marché du travail
    • Inciter à l’embauche en CDI (15 % seulement des embauches en FR) :
      • Réduction du coût des licenciements (Jobs Act en Italie en 2015 : réduction des indemnités de licenciement pour les nouveaux CDI, assouplissement des seuils sociaux, progressivité des dommages-intérêts prudhommaux selon l’ancienneté des salariés ; ordonnances réformant le code du travail en France en 2017 : barémisation des dommages-intérêts prudhommaux en France)
      • Meilleur ajustement des salaires réels aux variations de la profitabilité des entreprises (décentralisation de la négociation salariale : loi Travail 2016 accords de modulation des salaires pendant 5 ans en cas de difficultés économiques + ordonnances 2017 négociation des primes par accord d’entreprise)
      • => abaissement du seuil de réactivité du chômage à la croissance et levée de barrières réglementaires à la croissance dimensionnelle des entreprises = +25 % d’embauches en CDI en Italie (700k sur 2015)
      • Taxation des contrats courts (ANI 2013) et piste de modulation des cotisations Unédic des employeurs selon le taux de contrats atypiques pour désinciter à l’embauche en CDD et intérim
    • Définition des critères du licenciement économique dans la loi en Espagne : déficit d’exploitation pendant un certain nombre de trimestres donnés => sécurise les employeurs par un critère objectif ; idem ordonnances travail 2017 en France : appréciation des difficultés économiques au niveau national
    • Rupture conventionnelle individuelle depuis 2008 (15 % des sorties d’emploi : quasiment autant que les licenciements individuels 23 %) avec coûts de séparation réduits, rupture conventionnelle collective depuis 2018
    • Réforme du service public de l’emploi pour réduire le chômage frictionnel : mutualiser les offres d’emploi avec les OPP, rendre le marché plus transparent, recentrer sur l’accompagnement et les formations
  • Mieux investir dans le capital humain
    • Création en 2003 d’un droit individuel à la formation (20h/an) complété par le Fonds de sécurisation des parcours professionnels (2009) pour la requalification des salariés licenciés économiquement. Compte personnel d’activité (150h max) attaché à la personne et non au statut (individualisation de la protection).
    • Formation professionnelle : 34 Md€ gérés de façon paritaire, dont seulement 10 % bénéficient aux demandeurs d’emploi => enjeu de redéploiement pour développer leur employabilité (plan d’investissement dans les compétences 2018-2022 : 2 millions de formations pour les jeunes décrocheurs et les demandeurs d’emploi de longue durée)
    • Enfin, qualité du dialogue social importante en période de reprise (les revendications salariales augmentent avec l’emploi) comme en période de crise (arbitrage entre flexibilité externe et interne) : représentativité syndicale insuffisante en France et quasi absence des OS dans les conseils d’administration

3. Les défis

L’emploi des jeunes actifs et des séniors

  • Catégories particulièrement touchées par la crise : -4 pts taux d’emploi des actifs de 18-25 ans depuis 2008 ; durée au chômage plus élevée pour les 55-64 ans : 17 mois vs. 9,5 mois pour les 25-49 ans et seulement 9 % de retour à l’emploi après un an
    • Corrélation entre faible taux de chômage des jeunes actifs et développement de l’apprentissage : un jeune sur quatre en Allemagne et en Autriche (resp. 7 % et 8 % de chômage des jeunes actifs) vs. 400 000 en France (6 % des jeunes dont moitié de bac +2 et plus => politique insuffisante et mal ciblée)
    • Politiques anti-malthusiennes pour inciter au report du départ à la retraite : ex. surcote pour les années cotisées au-delà de 60 ans en 2003
    • MAIS les mesures catégorielles peuvent aussi présenter des effets négatifs (Friedlander, 1997) ex. échec du contrat de génération (20k conclus dont 50% d’effet d’aubaine selon la DARES) => Favoriser les programmes d’accompagnement court (2 à 12 semaines de training en Allemagne ; Garantie jeunes pour les 18-25 ans en France : +10 PP d’insertion dans l’emploi par rapport aux contrats aidés selon la DARES) et les mesures générales d’allègement de cotisations employeurs

Faut-il imiter le modèle allemand ?

  • Développement du travail temporaire (27 %), modération salariale (accords de branches), basculement de l’assiette de financement de la protection sociale depuis le facteur travail vers la consommation (« TVA sociale »), lutte contre les trappes à inactivité (Hartz IV)
  • Ces réformes du marché du travail ont été réalisées dans les années 2000 avec une croissance mondiale > à 4 %/an et avec une politique budgétaire accommodante (impulsion de +0,7 %/an) => peu reproductibles en bas de cycle et dans un contexte de consolidation budgétaire
  • S’agissant de leurs conséquences socio-économiques : le patrimoine médian des ménages médians allemands est 2x plus faible qu’en France + forte hausse des inégalités de répartition (De Grauwe & Yi, 2013) et du taux de pauvreté (de 12 % à 16 % entre 2002 et 2010). Enfin, l’Allemagne compte des faiblesses structurelles (notamment sa démographie et sa natalité : 1,4 enfant/femme)
  • En outre, ces réformes ne seraient pas soutenables à grande échelle : objectif de gains de compétitivité-prix pour gagner des parts de marché d’exportation aux dépens de ses partenaires UE.

Comment lever les freins à l’embauche ?

  • Faut-il faciliter les licenciements ?
    • Corrélation empirique entre réformes du CDI et reprise de l’embauche dans la période récente (Bénassy-Quéré, 2016).
    • CAE, « Dynamique des salaires par temps de crise » (2013) : Permettre un meilleur ajustement des W réels : s’ils progressent plus vite que la productivité, l’ajustement en période de crise se réalise par le niveau d’emplois => ne plus revaloriser le SMIC au-delà du niveau de la croissance et rendre plus acceptable une modération salariale (meilleures relations de travail, encadrement des hautes rémunérations, modération des prix du logement). Autre piste pour diminuer encore le prix du travail : SMIC régionaux (OCDE, 2013) ou par branche et « SMIC jeunes » mais faible acceptabilité politique.
    • Lever les barrières à l’entrée sur le marché des biens : Indicateur d’imperfections de la concurrence = 4,8 en France vs. 3 en Italie ou 1,1 en Allemagne et au Canada => Obstacles à l’accès au marché, restrictions sur les activités ex. loi Royer 1973 (autorisation d’ouverture des grandes surfaces) ou professions réglementées ex. taxis (rapport Attali : rachat licences + libre entrée flux = +0,2% PIB). Ce sont aussi des freins à la création d’activité et donc à l’embauche.

Quelle réforme pour la formation ?

  • La formation tout au long de la vie constitue un enjeu de croissance potentielle : moins de la moitié des salariés FR suivent chq année une formation, 10 % des fonds sont consacrés aux DE et dans les pays scandinaves, la formation est continue (9 jours/an en moyenne au DK). 3 objectifs :
    • Individualiser : droits attachés à la personne et non au statut, le CPA est crédité en heures de formation au cours de la carrière et à chaque rupture ex. licenciement (dans la limite de 150h ou 400h pour les non qualifiés)
    • Réorienter : 12 Md€ sur 5 ans dans le cadre du Grand plan d’investissement
    • Désintermédier : transparence sur les taux de sortie vers l’emploi des formations et choix direct du titulaire des droits
  • Investissement dans la formation également pour les jeunes enfants. Carcillo, 2016 : efficacité programmes en faveur des jeunes enfants (3-4 ans afro-américains défavorisés : Perry Preschool Program dans l’Etat du Michigan depuis 1962 : pour 1 dollar investi, gain de 9,11 dollars pour la collectivité via surcroît de revenus, économies de dépenses publiques police justice).
    • L’efficacité des interventions éducatives est plus élevée pour les enfants dont les capacités d’apprentissage et de socialisation sont faibles. Elle diminue également avec l’âge.