Faut-il s’endetter pour croître ?

Accroche :

  • Le projet de budget pour 2019 en cours de discussion au Parlement français présente une double évolution : il prévoit, d’une part, une réduction du poids de l’endettement public dans l’économie (98,6 % en 2019 après 98,7 % en 2018, y compris consolidation de la dette de SNCF Réseau – cette tendance se poursuivrait jusqu’en 2022 à 92,7 % du PIB) et, d’autre part, un rythme stable de croissance du PIB à 1,7 % en 2019.
  • Ces hypothèses soulignent les relations ambiguës entre dette et croissance : la science économique a montré la pertinence de l’endettement pour investir dans les relais de croissance privée ou publique ; la crise de 2008 a toutefois illustré le risque systémique pour la croissance que pouvait présenter un endettement privé insoutenable et la crise de 2010-2011 le risque d’un endettement public insoutenable ; les sous-jacents du PLF 2019 semblent quant à eux suggérer qu’un désendettement public est envisageable sans effet récessif.

Définitions :

  • La croissance est l’accroissement sur une courte ou une longue période des quantités de biens et services produits dans un pays ou dans une zone économique. Elle est mesurée statistiquement par le PIB, bien que celui-ci présente plusieurs limites conceptuelles (il ne mesure pas l’empreinte carbone ou le niveau d’inégalités induit, d’où l’émergence d’indicateurs alternatifs tels que l’IDH) ;
  • L’endettement représente ensemble des emprunts émis ou garantis par les administrations publiques ou les agents privés et dont l’encours résulte de l’accumulation de soldes déficitaires (déficits publics en comptabilité nationale ; déficits extérieurs en commerce international ; déficits d’exploitation en comptabilité privé). Un des leviers de la politique budgétaire pour assurer l’allocation optimale des ressources et/ou la stabilisation du cycle (Musgrave, 1959).

Problématique : A quelles conditions l’endettement peut-il contribuer à un sentier de croissance pérenne ?

*    *    *

1.1. Malgré une croissance potentielle en déclin, les pays développés ont conduit des politiques de consolidation budgétaire afin de réduire leur déficit public après la crise de 2008

  • Les économies avancées se caractérisent par un déclin tendanciel des gains de productivité du travail depuis la fin des Trente glorieuses: convergence vers +0,8 % à +1 % par an en moyenne dans l’OCDE selon Ducoudré, Heyer, 2017. Il induit également un déclin de la croissance potentielle (l’augmentation soutenable à moyen et long terme de la production sans accélération de l’inflation) selon le modèle de Solow (1956). Ce ralentissement est également marqué depuis la crise dans les pays émergents avec une croissance de la productivité globale des facteurs de 1,2 % par an en moyenne entre 2010 et 2014 contre 3,5 % par an entre 2002 et 2007 (Trésor-Eco, 2018).
  • Confrontées à une élévation rapide des dettes publiques après la crise de 2008 du fait des stabilisateurs automatiques et/ou de la transmission des dettes privées au secteur public (+30 points dette/PIB en France et +40 points aux Etats-Unis en 10 ans), elles ont toutefois dû conduire des politiques de consolidation budgétaire qui ont réduit les déficits publics (2,8 % du PIB en France en 2019, contre 7,5 % en 2009) mais aussi les potentiels de croissance (1,25 % en France en 2018 selon la DG Trésor contre 2 % avant crise).
  • Seuls certains pays sont toutefois parvenus à réduire le poids de leur endettement public, mais au prix d’un sous-investissement structurel: c’est le cas de l’Allemagne, dont la dette publique est passée de 81 % du PIB en 2010 à 64 % en 2017 sous l’effet notamment d’un excédent budgétaire primaire de 1,5 % du PIB (mais selon France Stratégie, le niveau d’investissements publics et privés est inférieur de 3 points de PIB à son niveau optimal, ce qui handicape la croissance à long-terme : c’est notamment le cas dans les infrastructures – 40 % des routes nationales et 20 % des autoroutes nécessiteraient selon le DIW d’être rénovées –, la petite enfance ou l’énergie).
  • A contrario, certains pays émergents ont longtemps cumulé excédents extérieurs et croissance dynamique : c’est notamment le cas de la Chine, dont le PIB a été multiplié par 34 entre 1990 et 2017 et dont l’excédent commercial a culminé à 9,2 % du PIB en 2007. Sa croissance était en effet fondée sur l’investissement (50 % du PIB, contre 23 % en France) permis par l’excès d’épargne domestique et le phénomène d’imitation technologique (selon le FMI, les gains de productivité ont expliqué pour 4 points par an la croissance chinoise entre 1990 et 2000). Dans une moindre mesure, le cas des Etats-Unis, qui a conservé des gains de PGF dynamiques (+2,1 % de productivité horaire/an en moyenne sur 2000-2014, contre +1,0 % en Allemagne) et des déficits jumeaux (budgétaire et commercial : resp. 3,2 % et 5 % du PIB en 2007).

1.2. Si l’endettement peut financer la croissance potentielle, il constitue un facteur de vulnérabilité lorsque son poids devient insoutenable

  • Selon les théories du développement, l’accumulation de capital public et/ou privé permet de sortir de la trappe à pauvreté par l’industrialisation et les rendements initialement élevés du capital (phénomène de « Big Push» de Rosenstein-Rodan, 1943) : les pays d’Europe de l’Ouest ont ainsi bénéficié du « Plan Marshall » à hauteur de 4,3 % du PIB américain après 1945. Il en résulte que l’endettement (budgétaire ou extérieur) peut contribuer à financer la croissance potentielle par la productivité globale des facteurs : il est par ailleurs pertinent que l’amortissement des investissements soit étalé sur plusieurs générations dans la mesure où leurs effets sont pérennes (« s’endetter pour croître »). Les théories de la croissance endogène estiment que certains investissements en capital (ex. capital humain ou infrastructures) présentent des rendements marginaux non décroissants qui justifient également d’être financés par l’endettement public (Romer, 1986). Si elle finance le fonctionnement courant des administrations, elle traduit une préférence pour le présent et une inéquité inter-générationnelle.
  • L’endettement public se trouve par ailleurs justifié en bas de cycle économique en activant les stabilisateurs automatiques (Nelson et Plosser, 1982) : théorie du multiplicateur keynésien, c’est-à-dire la relation entre la variation des dépenses publiques ou des prélèvements obligatoires et la variation du revenu qu’elle génère (ex. Serrato, 2016 sur l’impact 2x plus élevé des hausses de dépenses publiques dans les comtés américains les plus pauvres après la crise de 2008). Il permet également de se prémunir contre des risques durables de dysfonctionnement des marchés et notamment des effets d’hystérèse sur le marché de l’emploi (Blanchard et Summers, 1986), ce d’autant que l’Etat s’endette en principe à meilleur coût que les agents privés, le marché de la dette publique étant liquide et profond (Arrow et Lind, 1970). Dans le secteur privé aussi, l’endettement permet d’accompagner les phases de croissance de l’entreprise en finançant son fonds de roulement et notamment le décalage temporel entre un investissement et le cash-flow qu’il génère.
  • Au-delà d’un certain niveau de soutenabilité (une dette publique est jugée soutenable si, compte tenu des prévisions de dépenses et de recettes publiques, l’Etat ne risque pas de se trouver face à une crise de solvabilité ou à une obligation d’ajustement irréaliste des finances publiques), l’endettement public devient toutefois un facteur de vulnérabilité pour la croissance économique: l’équivalence néo-ricardienne (Barro, 1974), qui estime que tout déficit budgétaire sera analysé par les agents économiques comme une hausse d’impôt future et donnera donc lieu à un surcroît d’épargne plutôt que de consommation, se trouverait confirmée empiriquement autour d’un ratio de 90 % de dette publique / PIB (Reinhart et Rogoff, 2009). Il en résulterait une perte de 1 à 3 points de croissance potentielle via le canal des effets d’éviction aux dépens de l’investissement privé (« décroître par la dette ») et l’application par les créanciers d’une prime de risque sur les obligations souveraines surtout si la dette est majoritairement détenue par des non-résidents (selon la Cour des comptes, la hausse de 1 point des taux d’intérêt accroîtrait de 15 Md€ par an la charge de la dette pour l’Etat à horizon n+10 : « supercycle de la dette » pour Rogoff). En cas d’endettement public insoutenable, une stratégie de désendettement pourrait ainsi avoir des effets expansionnistes en rétablissant la confiance des investisseurs et en réduisant les taux d’intérêt (« se désendetter pour croître »).
  • Dans le secteur privé également, l’endettement excessif est facteur d’instabilité via la réalisation des risques de défaillances des débiteurs: aux Etats-Unis, la crise de 2008 est notamment due à l’accroissement rapide de la part des crédits « subprimes » (sans apport, avec faibles mensualités mais variables) au sein de l’ensemble des prêts immobiliers (de 5 à 20 % entre 2001 et 2006) et de l’exposition des banques à un risque croissant de non-remboursement de la part des ménages. Les techniques d’innovation financière et la croissance financière peuvent ainsi conduire à la réalisation de risques systémiques aux incidences récessives (Stiglitz, 2012). Idem aujourd’hui risques sur la bulle immobilière chinoise (250 % de PIB de dette publique et privée, dont 40 points pour les ménages).

2.1. Confrontés à une double contrainte – dette publique élevée, croissance potentielle en déclin – les politiques budgétaires ont privilégié la consolidation des comptes publics

  • En France, l’ajustement budgétaire s’est essentiellement opéré par les recettes fiscales: entre 2009 et 2015, les prélèvements obligatoires ont crû de 3,6 points de PIB pour réduire le déficit public (alors que les dépenses continuaient d’augmenter de 0,7 point de PIB, leur évolution ayant été selon France Stratégie 3x moins sélective qu’au Royaume-Uni). Ceux-ci pesant sur les facteurs de production (ex. hausse de l’impôt sur le revenu, surtaxe sur les bénéfices des sociétés, hausse de la fiscalité locale, etc.), la croissance effective est restée inférieure à 1 % du PIB entre 2012 et 2015. L’incidence récessive de la consolidation budgétaire s’est poursuivi jusqu’en 2017 selon l’OFCE (-0,4 point de PIB en 2015, puis -0,2 point en 2016 et 2017).
  • Dans d’autres pays de l’UEM, les dévaluations internes ont amélioré la compétitivité au prix d’une contraction de l’activité et d’une hausse du chômage : en Espagne, les salaires réels ont ainsi baissé de 6 % entre 2010 et 2015 (le déficit commercial avait atteint 6 points de PIB : croissance par l’endettement extérieur notamment liée à l’afflux d’épargne depuis le nord de l’UEM), tandis que le chômage croissait à 23 % de la population active. Le déficit public est par ailleurs resté supérieur à 3 % du PIB jusqu’en 2017 (dernier pays européen en procédure pour déficit public excessif avec la France : la politique budgétaire étant encadrée par le PSC et le TSCG) et la dette publique a atteint 98 % du PIB la même année. Une consolidation budgétaire peut ainsi entraîner une boucle dépressive qui accroît in fine la valeur réelle de la dette si le PIB se contracte plus vite – par le canal de la demande – que le stock de dette publique (paradoxe de Fisher, 1933, cf. historiquement le ratio dette publique sur PIB est passé de 100 à 170 % au Royaume-Uni entre 1918 et 1930 sous l’effet de la consolidation budgétaire et d’une politique monétaire restrictive pour rétablir la parité or de la livre).
  • Seuls les pays qui ont réalisé une consolidation budgétaire en période de haut de cycle économique et en la combinant à une politique monétaire accommodante sont parvenus à réduire le poids de leur endettement public sans réduire la croissance potentielle: c’était le cas de la Suède ou du Canada dans les années 90 lorsque la croissance économique mondiale était de 4 à 5 % par an et dans un contexte de dévaluation monétaire (selon Vidal, 2010, la dévaluation de 25 % de la couronne suédoise a permis d’accroître ses exportations, qui ont pris le relais des dépenses publiques pour soutenir la croissance). Une telle stratégie ne peut toutefois être conduite en même temps dans l’ensemble des pays d’une même zone économique intégrée telle que la zone euro (« jeu à somme nulle »).
  • En période de bas de cycle, une politique d’impulsion budgétaire peut toujours induire un multiplicateur supérieur à 1 (cf. Cloyne, 2013 et Romer, 2010 sur le multiplicateur fiscal de 2,5 à 3 respectivement au Royaume-Uni et aux Etats-Unis au bout de 3 ans), malgré l’effet d’éviction liée à l’ouverture commerciale (ex. impulsion budgétaire de 1 % de PIB en France en 1981, d’où un creusement de la balance commerciale de 10 Md€ entre 1980 et 1982 en euros courants et de la dette publique de 10 points de PIB entre 1980 et 1985).

2.2. Pour l’avenir, les États devront poursuivre des politiques budgétaires crédibles tout en investissant dans les relais de croissance potentielle

  • A l’échelle de la France, toute poursuite de l’ajustement budgétaire (pour assurer la soutenabilité de la dette) ne devrait s’opérer que par une réduction sélective des dépenses publiques, en parallèle d’une politique de réduction des prélèvements obligatoires pour atténuer le caractère récessif de la consolidation.

En particulier, la réduction de 100 000 ETP des effectifs de la fonction publique territoriale (qui ont crû selon la Cour des comptes de 400 000 ETP entre 2003 et 2012, pour moitié sans lien avec une décentralisation de compétences) et le respect de la durée légale du temps de travail permettraient de réaliser des économies dans la dépense publique locale de l’ordre de 5 milliards d’euros par an au bout de 5 ans.

Au sein de la sphère sociale, la maîtrise à +2 % par an de l’évolution de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (contre une évolution spontanée de +4,5 % par an) conduirait à une économie de 6 Md€ au bout de 5 ans, notamment via l’optimisation de l’offre de soins (développement de la chirurgie ambulatoire, optimisation des achats, recours accru à la télémédecine, etc.).

Selon l’évolution de la conjoncture et des taux d’intérêt, une partie de ces économies peut être recyclée en investissements publics pour stimuler la croissance potentielle (en plus des crédits déjà prévus pour l’investissement dans les compétences ou la transition écologique par exemple).

En parallèle, la réduction de 1 point de PIB des prélèvements obligatoires prévue sur 5 ans doit rester répartie entre les ménages (notamment via la taxe d’habitation) et les entreprises (notamment via la transformation du CICE et la baisse de l’impôt sur les sociétés) afin de soutenir à la fois la consommation (alors que l’inflation repart) et l’offre productive.

  • A l’échelle de l’UEM, la surveillance budgétaire multilatérale gagnerait à être combinée à une stratégie d’investissements communs plus volontaires, afin en particulier de relayer les investissements publics défaillants et d’améliorer la résilience de cette zone économique. L’investissement public s’est ainsi réduit de 2 point de PIB dans l’UE28 depuis la crise et le budget européen proposé par la Commission pour 2021-2027 reste proche de 1 % du RNB. Un accroissement substantiel le porterait à 2 ou 3 % du PIB de l’UE27 (financé par de nouvelles ressources propres comme un impôt sur les sociétés mutualisé ou la généralisation des quotas carbone) pour assurer une capacité d’impulsion budgétaire modulable selon le cycle économique (ex. Fonds Spinelli : aides directes / dette publique ou prêts / dette privée pour financer des formations continues d’adaptation à la transformation numérique : remettre la dette au service de la croissance potentielle). Complémentaire à une meilleure adéquation des politiques budgétaires nationales avec le cycle (cf. propositions du CAE sur l’évolution des dépenses publiques et du PIB).
  • A l’échelle internationale, une plus grande attention doit être portée dans le cadre du G20 à la dynamique des dettes privées (cf. Chine) et aux déséquilibres extérieurs (cf. Etats-Unis). Propositions pour stabiliser le système monétaire international (montée en charge des droits de tirage spéciaux, internationalisation de l’euro, etc. – cf. chapitre ad hoc). Par ailleurs, poursuivre la lutte contre l’évasion fiscale (projet BEPS) pour élargir la base fiscale des Etats et alléger leur contrainte budgétaire.

Le déclin industriel français est-il inéluctable ?

Proposition de corrigé par Rayan Nezzar

 

Accroche : selon le cabinet Trendeo, les créations de sites industrielles ont été supérieures aux fermetures en France en 2017 (+25), ce qui constitue une première depuis la crise de 2008-2009. Ce regain conjoncturel, lié à la reprise économique (+2 % de croissance du PIB en 2017 selon l’INSEE), masque toutefois des faiblesses structurelles qui expliquent le recul de la part de l’industrie dans l’économie française depuis la fin des Trente glorieuses.

 

Définition de l’ « industrie » : selon l’INSEE, relèvent de l’industrie les activités économiques qui combinent des facteurs de production (installations, approvisionnements, travail, savoir) pour produire des biens matériels destinés au marché.

 

Définition du « déclin industriel » : il se caractérise à la fois par le repli de la part de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans le PIB et par le recul de la part de l’emploi industriel dans l’emploi total. Ce recul de la capacité productive a un effet négatif sur la croissance potentielle via la productivité globale des facteurs et un effet positif sur le taux de chômage d’équilibre via des effets d’hystérèse.

 

Problématisation : s’il est admis que le secteur industriel génère des externalités positives et que son déclin relatif est induit par des facteurs structurels, quelles politiques économiques peuvent contribuer à inverser ou à atténuer les conséquences de cette désindustrialisation ?

* * *

  1. Si la désindustrialisation française n’est pas un phénomène singulier, ses causes sont d’abord liées au progrès technique et aux préférences des consommateurs

 

1.A. Les reculs de la production et de l’emploi industriels sont communs à l’ensemble des économies avancées, mais concernent particulièrement en France

  • La désindustrialisation est un phénomène commun à l’ensemble des économies avancées (diminution de 19,5 % à 16,5 % de la part de l’industrie dans le PIB mondial entre 1998 et 2008), à l’exception notable de l’Allemagne (24 % du PIB) ;
  • Elle concerne plus particulièrement la France, où la valeur ajoutée de l’industrie est passée de 23 % à 11 % du PIB entre 1970 et 2014 et où l’industrie employait 26 % des actifs en 1980 contre 12 % aujourd’hui. Les parts de marché de la France ont reculé notamment depuis les années 2000, passant de 13 % à 9 % dans l’UE et le solde du commerce extérieur est déficitaire de plus de 3 points de PIB ;
  • Ce recul de l’industrie en France s’illustre également par une compétitivité dégradée liée au prix des produits (coûts salariaux unitaires supérieurs de 15 % à la moyenne de la zone euro en 2017), mais aussi à leur qualité (élasticité-prix de la demande de biens d’exportation français 3x supérieure à celle des biens allemands) ;
  • Enfin, l’effort d’innovation apparaît insuffisant du fait des capacités d’autofinancement dégradées des entreprises françaises (1,22 robots pour 100 emplois industriels en France contre 2,5 en Allemagne), ce qui accroît l’écart de compétitivité hors prix avec les concurrents de la France et rend ses exportations vulnérables à une appréciation de l’euro (effet multiplicateur de -0,6 entre le cours de l’euro et le volume d’exportations selon le CEPII, 2012).

 

1.B. Les causes de cette désindustrialisation sont liées à des évolutions structurelles et leurs conséquences sont négatives au plan macro-économique

  • Selon la DG Trésor, cette désindustrialisation est d’abord liée au progrès technique, aux évolutions de la structure de la demande globale (loi d’Engel, 1857) et, marginalement, à l’ouverture commerciale (mentionner également l’incidence comptable de l’externalisation des services auparavant assurées par les entreprises industrielles) ;
  • Il peut également être avancé que le recul industriel est lié à une spécialisation géographique et sectorielle sous-optimale des exportations françaises, concentrées vers les pays de l’UE (66 %) et peu tournées vers les économies émergentes en Asie (12,5 %) ;
  • Cette désindustrialisation induit des conséquences sur la croissance potentielle selon le modèle de Solow (1956) : les gains de productivité étant plus élevés dans le secteur progressif (Baumol, 1966), la productivité globale des facteurs est ralentie par le déclin industriel ;
  • Elle entraîne également un accroissement du taux de chômage d’équilibre via les effets d’hystérèse (Blanchard, Summers, 1986) liés aux fermetures de sites industriels (pertes de capital physique et humain). Cette incidence négative est accrue par le défaut d’appariement entre offre et demande de formation en France, ainsi que par une mobilité géographique et intersectorielle insuffisante de l’offre de travail.

 

2. Face à cette désindustrialisation croissante, les pouvoirs publics ont déployé de nouvelles politiques industrielles horizontales qui pourraient toutefois être renforcées et complétées

 

2.A. La mise en œuvre de politiques industrielles horizontales n’a jusque lors pas permis d’enrayer le déclin industriel français

  • Traditionnellement, les politiques industrielles s’organisaient de manière verticale pour protéger (List, 1837) et/ou financer le développement de secteurs d’activité (« picking the winners»). Après l’échec de certains projets et dans le contexte de l’ouverture commerciale, les politiques industrielles ont progressivement adopté une approche horizontale établissant un environnement fiscal et réglementaire favorable au développement des entreprises industrielles (Rodrik, 2005) ;
  • C’est en ce sens qu’a été conduite depuis 2012 la « politique de l’offre » réduisant le poids des prélèvements obligatoires portant sur les facteurs de production : pour un coût d’environ 40 Md€ par an, ces mesures (CICE, PRS, autres) ont contribué à restaurer les marges des entreprises industrielles (selon l’OFCE, le CICE explique une baisse de -2,8 % des coûts salariaux unitaires dans l’industrie) ;
  • Toutefois, ces politiques sont critiquées pour leur ciblage : le CICE s’étend jusqu’à 2,5 SMIC et ne concerne pas l’ensemble de la masse salariale des entreprises industrielles (il avait aussi un objectif d’emploi justifiant un ciblage sur les bas salaires) ; par ailleurs, il ne bénéficie que pour moins d’un tiers aux secteurs exposés à la concurrence internationale ;
  • Enfin, malgré un soutien fiscal important à l’innovation, notamment à travers le CIR (6 Md€/an, avec un impact de +0,3 PP sur la dépense de R&D selon la DG Trésor), la R&D française stagne à 2,2 % du PIB contre un objectif à 3 % dans la Stratégie de Lisbonne.

 

2.B. La simplification de l’environnement fiscal et réglementaire français, ainsi que de nouveaux investissements à l’échelle européenne permettraient d’enrayer et/ou d’atténuer les incidences négatives de la désindustrialisation

  • S’agissant des dispositifs fiscaux (CICE, Aubry-Fillon, PRS), leur unification autour d’un allègement général des cotisations employeurs dégressifs de 1 à 3,5 SMIC, ainsi qu’une réduction de l’IS à 25 % à horizon 2022 (soit la moyenne UE) permettra d’achever la stratégie de compétitivité-prix déjà entamée ;
  • La simplification du recours au chômage partiel (passage d’un régime d’autorisation administrative à un régime de déclaration) et la décentralisation des minima de branches au niveau des accords d’entreprise renforceraient la flexibilité interne des entreprises industrielles et la résilience de l’emploi en bas de cycle d’activité pour prévenir de futurs effets d’hystérèse ;
  • Au-delà, il convient également de renforcer l’efficacité de l’appareil de formation français, qui participe également de ces effets d’hystérèse : y contribueraient un pilotage des filières d’apprentissage par les branches professionnelles et les régions, ainsi qu’un meilleur ciblage des financements de la formation professionnelle vers les demandeurs d’emploi (qui bénéficient aujourd’hui de 10 % seulement des financements) ;
  • Enfin, à l’échelle européenne, de nouvelles politiques industrielles verticales pourraient être financées (transitions environnementale et numérique) par la montée en puissance de nouvelles ressources propres à compter de 2020 (fiscalité carbone, taxe sur le chiffre d’affaires des GAFA, etc.) : en parallèle, la mise en œuvre de mesures protectionnistes temporaires pourrait également être envisagée (ex. préférence européenne pendant 5 ans pour l’accès des entreprises aux données publiques), en particulier si les Etats-Unis maintiennent leur décision de rehaussement de droits de douane.