Les biens publics mondiaux

1. Les notions

 

Les biens publics

 

  • Les biens publics (Samuelson, 1948)
    • Un bien non rival et non exclusif (ex. l’éclairage public)
      • Non rival = Sa consommation par un usager n’entraîne aucune réduction de la consommation des autres usagers (ex. l’éclairage public)
      • Non exclusif = Il est impossible d’exclure quiconque de la consommation de ce bien => il n’est pas possible d’en faire payer l’usage (ex. la défense nationale)
    • MAIS chaque agent a intérêt à adopter un comportement de free rider (passager clandestin) attendant que d’autres prennent l’initiative de la production de ce bien pour pouvoir ensuite en bénéficier sans supporter aucun coût.

=> S’ils présentent un intérêt collectif, le libre fonctionnement des marchés ne permet donc pas de produire les biens publics en quantité satisfaisante (défaillance de marché). L’enjeu est notamment celui de la production et du financement (en partie public) des biens publics.

 

  • Les biens publics impurs
    • Non rivaux mais exclusifs (il est possible d’en restreindre l’accès à ceux qui payent) = biens de club (ex. infrastructures : canal de Suez)
    • Rivaux mais non exclusifs (ils s’épuisent quand ils sont consommés) = biens communs (ex. ressources halieutiques)

 

Les biens publics mondiaux

 

  • Une transposition de la notion de biens publics à l’échelle internationale
    • Kindleberger (1986) : l’ensemble des biens accessibles à tous les Etats qui n’ont pas nécessairement un intérêt individuel à les produire
    • Entre 1945 et la fin de la Guerre froide, fourniture de biens publics mondiaux assurée par les deux Grands (ex. dissuasion nucléaire ou système de Bretton Woods). Aujourd’hui, risque accru de comportement de free rider et exigence d’une gouvernance adaptée (ex. GATT/OMC sur les accords commerciaux, conseil de sécurité de l’ONU sur les relations internationales, G7 sur la stabilité monétaire) mais sur certains BPM, « jurisdiction gap» (Kaul, 1999).
    • Difficulté supplémentaire par rapport aux biens publics nationaux : supposent une négociation collective et une coordination entre les Etats (hétérogénéité de préférences et de niveaux de développement => implique de reconnaître une contribution différenciée des participants, ex. en matière environnementale) + dimension intertemporelle (incidence sur les générations futures => implique un système de sanctions pour que les Etats se lient les mains et atténuent l’incohérence intertemporelle ex. ORD de l’OMC).

 

  • Quelques exemples de BPM
    • Trois catégories selon le PNUD : BPM naturels (stabilité climatique, biodiversité), BPM d’origine humaine (connaissances scientifiques) et résultats politiques globaux (paix, stabilité financière, santé publique)
    • L’environnement et la biodiversité (selon Baumol et Oates, 1975, sans régulation internationale, l’ouverture commerciale combinée à l’application de normes environnementales dans les pays développés conduirait à transformer les pays en développement en « pollution havens», soit en lieux d’accueil des activités polluantes : la pollution diminuerait au Nord mais augmenterait au Sud, avec un effet global négatif et une course au moins-disant ou « race to the bottom »)
    • La stabilité financière ou monétaire
    • La paix et la sécurité collective

=> Enjeu ici de gouvernance pour définir des normes communes et créer des incitations

 

  • Les 2 théories économiques qui expliquent le défi climatique
    • Le passager clandestin : ex. la France ne représentant que 1 % des émissions mondiales de GES, l’incitation marginale à réaliser la transition énergétique au niveau national est négligeable (aggravé par la préférence pour le présent du décideur public : le coût électoral est supérieur au gain environnemental à court terme). Conduit à la tragédie des biens communs lorsqu’il n’existe pas d’institution supérieure pour assurer leur protection (mécanismes d’incitation et de sanction pour gérer le bien public comme une copropriété, v. Ostrom, 2010).
    • Le dilemme du prisonnier : lorsque les partenaires d’un jeu ne se font pas confiance (ou n’ont pas assez d’informations sur la stratégie des autres joueurs), il existe un risque que les décisions qu’ils prennent individuellement soient globalement sous-optimales (c’est-à-dire n’atteignent pas l’objectif de production du bien public). Ici, les pays n’internalisent pas les bénéfices des politiques environnementales parce qu’ils n’ont pas confiance en les autres pour les mener aussi. Ce d’autant que les pays estiment qu’en maintenant une forte intensité de carbone aujourd’hui, ils seront en position de force pour négocier des compensations dans le cadre d’un accord global demain (ex. négociation entre les Etats du Midwest – fort émetteur de polluants générant des pluies acides – et le reste des Etats-Unis durant les années 80 sur la réduction des émissions de dioxyde de soufre a conduit à l’octroi de subventions généreuses).

      => La protection des BPM ne peut être assurée qu’au niveau international, avec des déclinaisons nationales/locales et une gouvernance multilatérale (même si les incitations nationales/locales peuvent aussi jouer sous la forme de « cobénéfices », ex. pression de l’opinion publique chinoise où se concentrent 20 % de la pollution mondiale, idem remplacement du lignite par le gaz et le pétrole après 1945 du fait des revendications sociales en Europe de l’Ouest).

 

 

Signal prix, externalités et double dividende

 

  • La notion de « signal prix » (volonté de la puissance publique de modifier le prix d’un bien ou service tel qu’il résulterait de l’équilibre entre offre et demande afin d’influencer le comportement des agents économiques: il s’agit de rapprocher coût social et coût privé en internalisant les externalités et amener les agents économiques à intégrer dans leurs calculs les coûts induits pour la collectivité par leurs activités (c’est l’un des instruments de financement des biens publics).
  • On parle d’externalité quand les choix d’un agent économique modifient le bien-être des autres sans que les mécanismes du marché ne le conduisent à tenir compte de ces effets sur la collectivité. Des nuisances dégradant l’environnement peuvent ainsi constituer une externalité négative (ex. l’usine qui pollue la rivière). En revanche, les dépenses des individus pour leur éducation ou leur santé sont sources d’externalités positives, dans la mesure où elles ont des effets bénéfiques pour la collectivité (l’étudiant qui devient un médecin pourra sauver des vies).
    • Le prix du carbone : selon les études, il devrait atteindre entre 60 et 80 € la tonne de CO2 en 2030 contre 25 € aujourd’hui dans l’UE (NB : 1 tonne de carbone = 3,67 tonnes de CO2). Fixée à 100 € en Suède depuis 1991, créée en France en 2015 à 14,5 € (le rapport Quinet en 2009 proposait une trajectoire de 45 € en 2010, 100 € en 2030 et entre 150 et 350 € en 2050 pour se conformer aux recommandations du GIEC).

 

  • La notion de « double dividende » (ex. verdissement fiscal en Suède – « Green Tax Shift » – à partir de 2000 avec double objectif créations  d’emplois  et réduction des émissions de GES ; aujd taxe carbone de 120€/t et -30% GES depuis 1995)
    • Basculement de l’assiette de financement de la protection sociale depuis le facteur travail vers la fiscalité écologique
    • Premier dividende = réduction du prix du travail, facteur de compétitivité prix et réduit le taux de chômage d’équilibre
    • Second dividende = développement du secteur de l’économie verte, gisement d’activité (d’autant plus si first mover advantage) et d’emplois (intensif en main d’œuvre)

 

2. Les outils

 

La fiscalité environnementale

 

  • La politique fiscale fait partie des instruments de la politique budgétaire (avec la dépense publique et l’emprunt).
    • Elle contribue aux trois fonctions des politiques économiques selon Musgrave (1959): allocation des ressources (ex. l’impôt sur les bénéfices des sociétés prélève une partie des marges des entreprises pour financer les biens publics), stabilisation du cycle (ex. baisser l’impôt sur le revenu en bas de cycle pour relancer la consommation), redistribution des richesses (ex. adopter un impôt sur le revenu progressif).
    • Le principe directeur d’une politique fiscale optimale (Mirrlees, 1970) est de financer les biens publics (objectif de rendement) en introduisant le moins possible de distorsions sur les marchés (objectif de neutralité). La fiscalité environnementale constitue donc une exception à ce principe.
    • Selon Pigou (1920), le calcul économique d’un individu rationnel ne tient compte que des coûts et avantages privés et néglige les coûts et avantages sociaux de ses choix: par conséquent, les choix privés conduisent à la surproduction des nuisances – externalités négatives – et à une production sous-optimale des biens et des services occasionnant des externalités positives. C’est pourquoi il convient d’internaliser les externalités négatives ou positives produites par les agents économiques. Condition pour que le signal prix soit crédible : fixer une trajectoire pluriannuelle pour orienter les comportements (ex. fiscalité carbone).
    • MAIS pour être efficace, la taxe carbone doit être d’un montant suffisamment élevé: chaque tonne de carbone émise dans l’atmosphère par un agent économique est taxée à hauteur de X euros. Pour qu’elle conduise à réduire les émissions, X doit être supérieur au coût marginal de réduction d’une tonne de carbone (lorsque ce coût devient supérieur au coût de la taxe, les agents rationnels ont intérêt à payer la taxe plutôt qu’à réduire leurs émissions), ce qui suppose de connaître l’élasticité des émissions de GES au montant de la taxe carbone (difficile à évaluer).
    • Les taxes comportementales ne constituent en principe pas une recette fiscale pérenne car leur assiette est censée disparaître (ou se réduire). Pourtant, elles sont utilisées pour financer des politiques publiques pérennes (c’est tout le paradoxe !). A minima, les Etats pourraient réduire/supprimer progressivement les incitations fiscales aux énergies carbonées (150 Md€ par an dans le monde selon l’OCDE en 2015).
      => Les mécanismes de prix sont l’un des outils de la politique environnementale.

 

  • 2 alternatives à la fiscalité pigouvienne :
    • La réglementation (« cap and trade »), ex. marché de droits à émettre des GES (Coase, 1960) négociés à la suite de Kyoto (répartition gratuite de droits de propriété – quotas d’émission de GES – négociés entre parties, puis pouvant être échangés sur un marché international : les pays désireux d’émettre des GES au-delà de leurs quotas initiaux pourraient le faire contre paiement, le prix augmentant avec la demande, créant un signal encourageant les États à modérer leurs émissions) => MAIS échec dans l’UE jusqu’à aujourd’hui du fait de l’abondance des quotas et de l’effondrement de la demande après la crise de 2008 : le prix du carbone n’est pas suffisamment incitatif à la transition énergétique (tombé à 5-10 € dans les années 2010 alors qu’il faut 30 € pour rendre les centrales à gaz plus compétitives que celles à charbon – NB : elles émettent 2x moins de GES).
      • A partir de 2021, entrée en vigueur d’un mécanisme de stabilité du prix retirant des quotas du marché pour atteindre une cible de 35 € la tonne de carbone à horizon 2023 : cela incitera à changer de combustible les pays qui disposent de capacité inutilisée de production d’électricité par des centrales à gaz (Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas), au développement d’énergies renouvelables et à des efforts d’efficacité énergétique (puisque le prix de l’électricité augmentera).
    • La subvention, ex. prix garantis par la puissance publique sur les appels d’offre d’EnR justifiés par la courbe d’apprentissage (coûts de production marginaux décroissants pour les EnR) MAIS coût très élevé. Ex. installation de photovoltaïques de 1ère génération en Allemagne pour un coût supérieur à 1 000 € par tonne de carbone évitée et incidences sur le tissu industriel local car importation de produits chinois. En France, coût estimé par l’OCDE jusqu’à 1 000 € dans le secteur du transport routier (biocarburants).
      • Autre ex : les subventions à l’innovation pour favoriser le passage à des technologies moins polluantes afin d’accélérer le découplage entre croissance économique et émissions de GES (rapport Canfin-Grandjean, 2015). Ou enfin l’investissement public direct dans les infrastructures (aujourd’hui en France, entre 7 et 13 % de l’investissement public dans les infrastructures porte sur des infrastructures bas carbone). Perspective : accroissement de l’investissement public via les banques de développement ou la BEI dans l’UE.

La régulation financière

 

  • L’ouverture des marchés financiers à partir des années 1990 a permis aux Etats de financer leur consommation ou leur investissement grâce aux flux d’épargne étrangère (indice de libéralisation financière du FMI multiplié par 4 entre 1973 et 2005)
    • L’ouverture financière (somme des actifs domestiques détenus par les étrangers et des actifs étrangers détenus par les résidents rapportée au PIB) a été multipliée par 7 entre 1990 et 2010 dans les pays avancés
    • Elle permet en théorie une meilleure allocation des ressources au niveau mondial, l’épargne finançant les projets les plus rentables économiquement (Fama, 1970), et déconnecte l’épargne et l’investissement domestiques (Blanchard, 2002 : corrélation de 0,14 en UE)
    • En théorie, les déséquilibres globaux devraient se corriger spontanément (Dooley, 2005) : l’innovation technologique devrait stimuler les exportations du Nord et la demande intérieur croître au Sud (CEPII, « Rééquilibrage du commerce extérieur chinois », 2012)
    • Bertrand, 2007: dérégulation de la finance en France après la réforme Bérégovoy de 1984. En 1979, la moitié des prêts accordés au secteur privé étaient subventionnés, le crédit restait encadré pour l’autre moitié. La disparition de la plupart prêts subventionnés en 1985 a entraîné un taux de défaillance plus fréquente pour les entreprises anciennement subventionnées. Celles restées en activité ont été restructurées, leurs performances se sont améliorées et l’entrée de nouvelles entreprises s’est intensifiée (processus schumpétérien) : les ressources ont ainsi pu être réallouées vers les meilleurs projets.
    • Krishnan et alii, 2014: finance et productivité TPE. Interstate Bankin and Branching Efficiency Act 1994 lève barrières et autorise ouverture de succursales bancaires dans tout le pays : concurrence accrue entre établissements, répartition différente des crédits et gains de productivité, notamment plus petites entreprises.

 

  • La dérégulation financière conduit toutefois à l’instabilité et à des crises régulières
    • MAIS Rajan, 2010: lien entre le recul de la régulation financière et la crise de 2008. Lancement en 2002 par GW Bush d’un programme d’accession à la propriété avec la création 2 établissements publics Fannie Mae et Freddie Mac (prêts aux particuliers implicitement garantis par la puissance publique). Cette libéralisation du crédit pour faciliter l’accès à la propriété immobilière des ménages américains modestes a contribué à la crise financière de 2007-2008 en accroissant les risques de non-remboursement des emprunts (subprimes) : +80 % des prix entre 2000-2006 notamment 1,3 M maisons neuves vendues en 2005 contre 600 000 en 1995.
    • Idem en Espagne avec la libéralisation du secteur bancaire en 1980 et l’augmentation trop rapide accordé aux entreprises de construction, aux promoteurs immobiliers et aux ménages : +200 % prix des actifs immobiliers entre 1997 et 2017 [Illueca, 2014]. Effet d’hystérèse ensuite des bulles immo (prix plus élevés au début du nouveau cycle : Girebine et Tripier, 2015).
    • Relation circulaire entre libéralisation du crédit, inégalités et crises financières : la hausse des inégalités de revenus a conduit les ménages modestes et moyens à accroître leur ratio dette/revenus, ce qui a été rendu possible par la dérégulation financière et a conduit à la formation d’une bulle immobilière (CEPII, 2017).

 => Le marché financier ne peut assurer une allocation optimale de l’épargne que s’il est supervisé par des autorités indépendances chargées de contrôler la solvabilité des intervenants et de vérifier la réalité de la concurrence [Aghion, 2005]. Or une telle régulation a été démantelée avant la crise 2008 au niveau des Etats et n’existe toujours pas au niveau international.

 

  • L’approche de régulation micro-prudentielle : Il s’agit de quantifier et de limiter le risque de faillite d’une entité financière par des normes contraignantes compte tenu des incidences potentielles sur d’autres entités. Accord de Bâle III (2010 pour une mise en œuvre progressive d’ici 2019) :
    • Exigence minimale de fonds propres réglementaires à 8 % des crédits accordés (ratio de McDonough : existe depuis les accords de Bâle I en 1988, mais avec une définition plus restrictive des capitaux propres)
    • Introduction d’un coussin contra-cyclique fixé par les régulateurs nationaux entre 1 et 2,5 % des crédits accordés
    • Création de ratios de liquidité à court et long terme (capacité à assurer ses engagements financiers à 30 jours ou de manière stable par des actifs liquides de haute qualité) pour résister à des Credit Crunch
  • Amène les banques à internaliser le coût des prêts risqués (clause de bail-in) et accroît leur aversion au risque MAIS des règles pro-cycliques qui peuvent empêcher la reprise ? (effet global de Bâle III -0,1% de PIB potentiel selon l’OCDE, 2011)

 

  • L’approche macro-prudentielle : Il s’agit de quantifier et de limiter le risque pour l’ensemble du système financier compte tenu des incidences potentielles sur la croissance économique
    • Minsky (1977) : les crises financières apportent une correction inévitable aux déséquilibres accumulés en haut de cycle financier et justifient la régulation macro-prudentielle
    • Tobin (1984): la régulation monétaire internationale doit diminuer la volatilité càd la variation erratique des valeurs et des volumes de titres échangés
    • Différents outils de régulation possibles : identification des risques, supervision (ex. revue du bilan des 130 banques contrôlées par la BCE), instruments correctifs et préventifs :
      • Bâle III: Obligation de réaliser des stress test (identification des risques), par le biais du mécanisme de surveillance unique par la BCE dans l’UEM (118 banques qui détiennent 82 % des actifs bancaires de la zone euro ; les autres banques sont soumises à la surveillance des autorités nationales) ;
      • Dodd-Frank Act (2010) aux Etats-Unis : instrument préventif pour limiter les activités spéculatives à hauteur de 3 % des fonds propres des banques commerciales (Volcker Rule). En cours de remise en cause sous l’administration Trump (élargissement des exemptions de respect de la règle Volcker pour les établissements de petite ou moyenne taille, relèvement du seuil d’actifs au-delà duquel une holding bancaire est considérée d’importance systémique, allègement du ratio de levier supplémentaire et du ratio de liquidité à 1 mois) ;
      • Taxe sur les transactions financières : pas d’objectif de rendement budgétaire mais instrument correctif pour améliorer l’efficacité des marchés financiers. Vise selon Stiglitz (1989) à éliminer les « noise traders» afin que la cote des sociétés révèle leur valeur de long terme. Evaluations : CEPII, 2013 sur les taxes française et italienne : sans effet sur la volatilité mais une baisse du volume de transactions. Deng (2014) sur la taxe chinoise : élimine les agissements inefficaces sur les marchés peu matures où les professionnels informés sont peu nombreux ; sur les marchés matures, réduit le volume de transactions et augmente la volatilité.

 

 

3. Les défis

 

Concilier transition écologique et justice sociale

 

  • La fiscalité environnementale apparaît anti-redistributive :
    • de la TICPE : elles est supportée aux 2/3 par les ménages (Berry, 2016) et de manière inégalitaire (selon l’OFCE, 2018, les ménages du 1er décile de niveau de vie – D1 – y consacrent en moyenne 0,5 % de leur revenu par unité de consommation, contre 0,1 % pour le D9 alors même que le volume d’émissions directes en CO2 est 2x supérieur pour les ménages du D9).
    • Effets redistributifs également horizontaux liés aux modes de consommation (d’une part, les consommateurs de diesel et fioul verront leur fiscalité augmenter plus rapidement que les consommateurs d’essence, de transports en commun, de gaz naturel et d’électricité) ainsi qu’à la zone d’habitation (plus la mobilité est contrainte par la distance domicile/travail, plus l’effort fiscal est important).
      => Les taxes environnementales présentent un dilemme pour les décideurs (coût électoral vs. bénéfice écologique), qui sont conduits à compenser les perdants.

  • Le dilemme des compensations des perdants :
    • Les taxes environnementales augmentent la vulnérabilité énergétique des ménages modestes (arbitrage entre usage et taxation). Ex. typique des Gilets jaunes : rigidité des comportements (mobilité contrainte) entraîne une hausse de l’effort fiscal sans effet environnemental car l’élasticité prix de la demande en carburants est de -0,016 pour le D1 contre -0,039 pour le D10 (plus on est pauvre, moins on change de comportement face à une hausse de taxe. Ces rigidités comportementales expliquent l’impact environnemental limité de la taxe carbone : -1,5 % des émissions transport/résidentiel selon Douenne, 2018 (NB : les transports représentent 27 % des émissions totales de GES et le logement 12 %).
    • Par ailleurs, les mécanismes de compensation actuels sont insuffisants pour assurer une neutralité sociale de la fiscalité environnementale : le chèque énergie pour 6 M de foyers (transfert forfaitaire de 150 € en moyenne) ne permet pas de compenser complètement la régressivité des taxes sur le carburant (et problématique du non-recours pour 25 % des bénéficiaires potentiels).
      • Autre option possible : reverser de manière homogène aux ménages les recettes de la taxe pour rendre la réforme progressive par décile de niveau de vie (version nationale de la taxe carbone mondiale recyclée en revenu universel proposée par Nordhaus, 2010). MAIS cela entraînerait d’autres transferts horizontaux et de nombreux perdants chez les plus modestes par rapport à la situation actuelle (chèque énergie pas universel).
    • Enfin, même atteinte, cette neutralité fiscale neutraliserait tout effet comportemental incitatif. Il convient donc de coupler la fiscalité environnementale à d’autres mécanismes de redistribution socio-fiscale et de réduction des besoins en énergie des ménages (ex. subventions à la rénovation thermique).

 

  • La question de l’emploi :
    • Selon Vona (2018), effets multiples des politiques environnementales sur l’emploi : l’économie verte représente environ 3 % de l’emploi total aux Etats-Unis entre 2006 et 2014, secteur pro-cyclique, fortement qualifié (60 % de l’emploi vert est qualifié), surrémunération de +4 % à compétences égales et géographiquement concentré. Corrélation positive avec les investissements publics (15 % du plan de relance de 2009) et multiplicateur local entre 2 et 4 (1 emploi vert créé = 2 à 4 emplois non verts créés). Recrée.
    • Se pose aussi s’agissant des transitions professionnelles (ex. 30 000 emplois directs et indirects dans le secteur du charbon en Allemagne et 100 000 en Pologne) : nécessite un investissement public dans la formation professionnelle et l’aménagement du territoire.

 

  • Le dilemme entre justice et efficacité se pose aussi pour les entreprises :
    • Entre deux entreprises qui émettent chacune 2 tonnes de carbone et comptent un coût de dépollution respectivement de 1 000 € et 10 € la tonne, l’approche de justice conduirait à demander à chaque entreprise de réduire de moitié ses émissions pour un coût total de 1 010 € (approche administrative « command and control»), tandis que l’approche d’efficacité conduirait à fixer un prix unique de la tonne à 11 €, incitant ainsi la 2ème entreprise à supprimer la totalité de ses émissions (approche économique par le signal-prix).
    • Empiriquement, les politiques dirigistes augmentent le coût des politiques environnementales et créent des régimes discriminatoires entre secteurs (Ellerman et alii, 2003).

  • Autre enjeu : le fléchage des recettes fiscales
    • En France, principe d’universalité budgétaire en finances publiques : toutes les recettes de l’Etat viennent financer toutes les dépenses de l’Etat. Ex. critiques sur la TICPE : entre 2014 et 2016, 3/4 des recettes nouvelles finançaient le CICE (soit un transfert net de richesses depuis les ménages vers les entreprises). Les taxes spécifiquement affectées à une politique publique sont une exception, notamment en matière comportementale : ex. droits d’accise sur le tabac financent uniquement l’Assurance-maladie, une partie de la TICPE finance l’investissement dans les infrastructures via l’AFITF (1,2 Md€, soit 2/3 de son budget) et une autre les régions qui ont la compétence transports (1/3 du produit de la TICPE).
    • MAIS ambiguïté : rendement budgétaire efficacité comportementale (ex. augmentation graduelle du paquet de cigarettes à 10 € entre 2018 et 2020 : +5 Md€ de recettes attendues alors qu’une hausse one-shot est plus efficace pour réduire la consommation, notamment chez les jeunes). Aussi convergence diesel/essence initialement prévue (+6 Md€ d’ici 2022) : ici, le changement de comportement (autre mode de transport ou acquisition d’une voiture moins polluante) est plus lent, donc la hausse graduelle se justifie davantage.
    • Autre ambiguïté : le fléchage place l’entité affectataire de la taxe dans une situation de conflit d’intérêt (mission : réduire le comportement générateur de la taxe mais intérêt : maximiser les moyens de son action).

 

 

Eviter les fuites de carbone

 

  • Fuites de carbone : fait qu’une taxation des émissions de GES dans une seule zone économique induise une délocalisation des activités polluantes vers des zones où elles sont moins taxées. Une politique environnementale unilatérale conduit donc à déplacer la production vers les pays les plus polluants.
  • De même, lorsqu’un pays vertueux augmente le prix domestique des produits polluants et diminue la demande d’énergies fossiles, il contribue à faire baisser leur cours mondial, ce qui entraîne une hausse de leur demande internationale.

=> Le phénomène des fuites de carbone a pour effet de réduire le bénéfice climatique net des politiques environnementales nationales.

Il convient donc, d’une part, de fixer un prix mondial unique du carbone, avec une trajectoire de progression compatible avec l’objectif de 1,5 à 2° C, laissant la charge à chaque pays de le décliner par des mécanismes de prix ou de marché, et, d’autre part, de prévoir une gouvernance multilatérale assurant la vérification des engagements (ex. éviter que la taxe carbone soit contournée par des aides fiscales aux secteurs polluants ; sanctions possibles : définition d’un dumping environnemental dans le cadre de l’OMC proposée par Tirole, 2016 – le « naming and shaming » ne suffisant pas dans les RI) et l’incitation financière des pays en développement (principe de la responsabilité différenciée dans le changement climatique).

Comment retrouver une prospérité partagée ?

Proposition de corrigé par Rayan Nezzar

 

Accroche : la récente transformation dans le budget 2018 de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière a réactivé le débat sur le lien entre croissance et inégalités. La sortie du patrimoine mobilier de l’assiette de l’IFI est en effet présentée, d’une part, comme une incitation à l’investissement productif via une réduction d’impôt d’environ 3 Md€ et, d’autre part, comme un accroissement des inégalités de patrimoine puisque le capital mobilier représente plus de 70 % du patrimoine des 1 % des ménages les plus aisés selon l’OFCE. Cet exemple semble illustrer la théorie d’Okun (1975) selon laquelle les politiques économiques seraient confrontées à un arbitrage entre efficacité et équité : pourtant, les inégalités peuvent également contribuer négativement à la croissance économique.

 

Définitions :

  • Prospérité: désigne un état d’abondance caractérisé par un accroissement de la production et du niveau de vie moyen
  • Prospérité partagée: désigne une répartition équitable de l’accroissement de la production et du niveau de vie moyen ; se mesure notamment à travers l’évolution des inégalités de revenus et de patrimoine. S’oppose à une « prospérité relative », qui désignerait la captation par les déciles de population les plus favorisés de l’accroissement du niveau de vie moyen.

 

Problématisation : la question « comment retrouver… ? » implique que la croissance économique serait devenue plus inégalitaire à la faveur d’évolutions structurelles et conjoncturelles (l’ouverture commerciale, le progrès technique, l’adoption d’une monnaie unique, les conséquences de la crise de 2008, l’évolution des relations entre employeurs et salariés, etc.) et qu’il conviendrait de la rendre inclusive pour des raisons à développer et pour des zones géographiques à définir (probablement au-delà des seuls pays avancés).

1.1. Faits stylisés

  • De manière générale, la politique de redistribution, qui est l’un des trois objectifs de la politique économique (Musgrave, 1959), vise à réduire les inégalités primaires de revenus.
    • En France, les politiques de redistribution divisent par trois les inégalités de (écart de 20 à 6 entre les 2 déciles extrêmes), pour 2/3 du fait des prestations sociales et pour 1/3 de la fiscalité.

 

  • Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, les inégalités de revenu disponible après redistribution, mesurées par le coefficient de Gini, ont progressé de +0,03 point en moyenne entre 1985 et 2013 (+0,06 point aux Etats-Unis, +0,04 en Allemagne et stable en France), malgré une croissance du PIB réel par tête de +65 % dans la même période.
    • Entre 2009 et 2012, 91 % de la hausse du PIB aux Etats-Unis a bénéficié à 1 % des Américains selon Stiglitz, tandis que les 80 % d’Américains les moins riches consommaient 110 % de leur revenu et devaient s’endetter pour maintenir leur niveau de vie, ce qui a contribué à la formation de la bulle du marché immobilier (Rajan, 2010).
    • Cette hausse des inégalités est liée à la déformation de la répartition de la valeur ajoutée en faveur du facteur capital (depuis 1980, la part dans le PIB des profits des entreprises après taxes, intérêts et dividendes a progressé de 5 points dans l’OCDE) et au progrès technique (Verdugo, 2017 : diminution de 8 % de la part des emplois intermédiaires en France depuis 1980).

 

  • Au sein de la zone euro, la reprise économique après la crise de 2008 a été lente et peu inclusive (« prospérité relative »).
    • Le PIB/tête réel n’a retrouvé qu’en 2015 son niveau de 2007 et le taux de chômage reste inégalitaire (17,9 % en moyenne pour les moins de 25 ans, avec des niveaux supérieurs à 40 % en Grèce et à 20 % en France, contre 6,6 % en Allemagne), ce qui induit une moindre mobilité sociale.

 

  • Au sein des pays en développement, l’ouverture au commerce international a contribué à réduire la part des individus vivant sous le seuil de pauvreté (de 50 % à 10 % depuis 1980 selon le FMI).
    • Ainsi, les inégalités globales ont décru dans la même période de 25 % selon le coefficient Theil, entamant une convergence entre pays développés et pays en développement (DG Trésor, 2017), mais les inégalités ont en revanche progressé au sein des pays développés (cf. « courbe en éléphant » de Milanovic, 2016).

 

1.2. Théories

  • La mesure du PIB est indifférente au niveau des inégalités de revenus ou de patrimoine
    • Un accroissement du PIB/habitant peut ainsi masquer une répartition inégalitaire des richesses, mais aussi aux externalités négatives que peut engendrer une hausse de la production.
    • Des indicateurs alternatifs au PIB existent tels que l’IDH pour mieux rendre compte des différences de niveaux de vie en agrégeant des indicateurs socio-économiques (taux de mortalité, taux d’alphabétisation, temps consacré aux loisirs, etc.).

 

  • S’il existe toutefois un lien entre croissance et inégalités, Kuznets (1955) a montré qu’il prend la forme d’une courbe en cloche
    • Dans un premier temps, l’accumulation de capital infrastructurel et naturel conduit à une répartition des richesses déformée en faveur des détenteurs d’épargne ; puis, dans un second temps, l’accumulation de capital humain réduit les inégalités.
    • Piketty (2005) a cependant montré que cette réduction des inégalités n’était pas spontanée mais due à institutions publiques (progressivité de l’impôt et protection sociale) et/ou à des phénomènes exogènes (guerre et inflation).
    • Inversement, l’accroissement des inégalités peut contribuer négativement à la croissance potentielle dans les pays développés : les inégalités y ont induit une moindre croissance cumulée de 4 % du PIB entre 1990 et 2010 (OCDE, 2014).

 

  • Depuis les années 1980, l’ouverture commerciale et le progrès technique contribuent également à la croissance des inégalités au sein des pays développés.
    • D’une part, le théorème de Stolper et Samuelson (1941) montre que l’intégration des chaines de valeur conduit à spécialiser les productions nationales sur l’exportation de biens relativement plus intensifs en facteur de production relativement plus abondants, soit le capital et le travail qualifié pour les pays développés ; la rémunération relative de ces secteurs est dès lors plus dynamique que celle des secteurs intensifs en travail peu ou non qualifié. Selon la DG Trésor (2017), environ 20 % des pertes d’emplois dans l’industrie française sont liées à l’ouverture commerciale.
    • D’autre part, la forme schumpétérienne du progrès technique induit une polarisation des emplois entre emplois qualifiés et emplois peu ou non qualifiés. Dans certains pays (ex. France), la réglementation accentue cette segmentation entre inclus et exclus du marché du travail en rallongeant la durée moyenne au chômage et en rehaussant le taux de chômage d’équilibre du fait des effets d’hystérèse (Lindbeck, Snower, 1988). Braconnier et Ruiz-Valenzuela (2014) montrent qu’une hausse de +1 % de la PGF induit un accroissement de +0,3 % du rapport interdécile.
    • Ces inégalités sont sociales mais aussi territoriales : selon Davezies (2012), 20 à 25 % de la population française vivrait dans des territoires en décrochage et cumulant un recul de l’appareil productif (imputable aux deux facteurs cités supra), une faible qualité résidentielle (imputable à la structure du marché du logement) et la diminution du soutien public aux services de proximité (imputable à l’orientation des politiques budgétaires).

 

  • Le rôle des institutions publiques est essentiel pour fonder un modèle de croissance inclusive, par opposition à un modèle extractif
    • Ainsi, les pays en transition démocratique ont connu une hausse de +5 points de leur PIB/tête dans les 10 ans après démocratisation et de +15 points à horizon 20 ans (Acemoglu, 2004).
    • Le développement d’une protection sociale soutient également le capital humain et contribue positivement à la croissance potentielle via les gains de productivité (Wheeler, 1980) : cf. éducation, santé ou formation professionnelle (Crépon, 2009 : un effort moyen de 11h de formation/an et par salarié génère un gain de productivité de +1 %, récupéré entre 30 % et 50 % par les travailleurs sous la forme de revalorisations salariales).
    • Enfin, le développement du pouvoir de négociation salariale et des organisations syndicales contribue à orienter la répartition de la valeur ajoutée en faveur du facteur travail (Nickell et Andrews, 1983) ; a contrario, leur affaiblissement et le renforcement relatif du pouvoir de négociation des actionnaires sous l’effet de la libéralisation financière oriente la répartition de la valeur ajoutée vers le facteur capital (Ebenstein, 2015).

 

2.1.      Bilan des politiques

 

  • Depuis les années 1980, les politiques de compétition fiscale et de développement de la flexibilité du marché de l’emploi ne se sont pas accompagnées d’un renforcement suffisant des politiques de redistribution et d’investissement social.
    • En économie ouverte (modèle IS-LM-BP), l’imposition des facteurs de production mobiles (capital et travail qualifié) induit des effets d’éviction (au-delà de 80 % de taux d’imposition marginale pour Gruber et Saez, 2012), d’où s’instaure une compétition fiscale entre pays développés.
    • Aux Etats-Unis, le taux d’imposition effective des bénéfices des sociétés a diminué de 12 points depuis 1980 tandis que la valeur réelle du salaire minimum fédéral a régressé de 10 points dans la même période.
    • En Allemagne, l’indice de GINI a crû de 0,29 en 2000 à 0,33 en 2006 du fait de la réduction à un an de la durée d’indemnisation du chômage (loi Hartz IV) et du développement du chômage partiel (28 % de l’emploi total, occupé à 83 % par des femmes).

 

  • Depuis la crise économique, les politiques de consolidation budgétaire et de déflation interne ont accentué le caractère inégalitaire de la reprise économique dans l’UE.
    • Au Royaume-Uni, les dépenses publiques ont été réduites de 2,4 % entre 2009 et 2012 notamment sur la masse salariale du secteur public et les politiques sociales.
    • En Espagne, la balance commerciale est devenue excédentaire et la profitabilité des entreprises a crû de 3 points au prix d’une baisse de 6 % des salaires réels entre 2009 et 2014.
    • En France, toutefois, les inégalités sont restées stables durant la crise du fait des stabilisateurs automatiques et d’une consolidation fondée à 85 % sur l’augmentation des prélèvements obligatoires entre 2009 et 2015 (création d’une nouvelle tranche marginale de l’IR à 45 %, plafonnement des dépenses fiscales, barémisation de la fiscalité des revenus du capital, surtaxe sur les grandes entreprises, etc.) : dans un contexte de compétition fiscale, ces hausses ont toutefois pu avoir des effets d’éviction sur l’assiette taxable (exécution des recettes de l’Etat inférieure aux prévisions en 2013 et 2014).

 

  • Les politiques d’investissement dans le capital humain demeurent également hétérogènes et parfois inefficaces au sein des pays développés
    • Peu de pays combinent performances scolaires et équité sociale (ex. : Canada, Corée du Sud, Estonie, Finlande et Japon selon l’OCDE, 2016 ; en France, un élève défavorisé a 4x plus de chances d’être en difficulté)
    • L’investissement dans la formation continue en France ne bénéficie que pour 10 % aux demandeurs d’emplois malgré un niveau élevé de dépenses (1,5 % du PIB)
    • L’Allemagne présente un déficit d’investissement de 3 % de PIB dans la petite enfance et les infrastructures (France Stratégie, 2014)
    • Le salaire minimum reste inférieur au salaire de réserve dans plusieurs pays, ce qui réduit l’offre de travail (Card, Krueger, 1995) malgré les revalorisations récentes en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis
    • Les réformes visant à réduire le dualisme du marché du travail restent à évaluer (ex. réduction des indemnités de licenciement pour les nouveaux CDI en Italie avec le Jobs Act en 2015).

 

  • Au sein des pays émergents, la résorption des excédents extérieurs et le développement d’une protection sociale amorcent un partage croissant de la prospérité
    • En Chine, la transition d’un modèle de croissance par imitation tiré par les exportations et l’investissement (plus de 50 % du PIB) vers un modèle de croissance tiré par la consommation intérieure (depuis 2005, le salaire ouvrier moyen a crû de +300 %, rattrapant la moitié du retard avec les Etats-Unis) devrait contribuer à réduire les inégalités encore élevées (Gini à 0,5) et à développer une classe moyenne encore peu nombreuse (130 millions d’individus sur une population de 1,5 milliard). Par ailleurs, le développement d’une protection sociale devrait réduire le taux d’épargne des ménages chinoise formé par précaution et proche de 30 % du revenu disponible brut.
    • Dans d’autres pays émergents, cette évolution reste inachevée comme en Inde où les dépenses publiques de santé représentent seulement 1,4 % du PIB par exemple.

 

 

2.2.      Recommandations

 

  • Au niveau international
    • Renforcer la conditionnalité de l’APD selon des critères objectifs et recourir plus systématiquement à d’indicateurs alternatifs au PIB tels que l’IDH pour promouvoir un modèle de croissance inclusive
    • Inciter à l’augmentation du salaire minimum dans les pays développés où il est inférieur au salaire de réserve (ex. Etats-Unis, Royaume-Uni) et à l’augmentation des dépenses de protection sociale dans les pays émergents qui disposent d’une marge de manœuvre budgétaire
    • Promouvoir l’introduction de normes environnementales et sociales dans la conclusion des accords commerciaux régionaux (barrières tarifaires et non tarifaires) pour atténuer le biais inégalitaire de l’ouverture commerciale

 

  • Au niveau de l’UEM
    • Introduire un salaire minimum à 50 % des revenus médians nationaux et une assiette commune consolidée d’impôt sur les bénéfices des sociétés pour désinciter à la compétition socio-fiscale
    • Abonder une capacité budgétaire de la zone euro par des ressources propres (taxe GAFAM, taxe carbone, contribution IS) afin de financer des programmes d’investissement dans les compétences en faveur des zones en difficulté ou rattrapage économique
    • Achever l’union bancaire avec une garantie universelle des dépôts afin d’assurer une meilleure allocation du crédit en faveur des pays de la périphérie

 

  • Au niveau français
    • Cibler le plan d’investissement dans les compétences sur les demandeurs d’emplois de longue durée et les jeunes décrocheurs en fonction d’une analyse territorialisée des besoins en qualifications et majorer le financement public soutenant l’accès aux modes de garde dans les zones prioritaires pour investir dans le capital humain
    • Supprimer les droits de mutation à titre onéreux pour 80 % des transactions et expérimenter une dotation initiale en capital pour les jeunes atteignant la majorité afin de stimuler la mobilité sociale et résidentielle
    • Supprimer le forfait social pour développer l’intéressement dans les PME pour mieux synchroniser les cycles de rentabilité et des salaires et introduire le « chèque syndical » pour inciter au développement d’un syndicalisme de services