Les conséquences économiques du vieillissement démographique

Dans son essai Perspectives économiques pour nos petits enfants (1933), John Maynard Keynes exposait son intuition que cent ans plus tard, une ère d’abondance sans précédent et une hausse sensible du niveau de vie résulteraient de l’accumulation du capital et du progrès technique. Les gains de productivité ainsi réalisés devraient nous permettre de ne travailler guère plus de 15 heures par semaine pour satisfaire nos besoins économiques. De fait, en 2030, l’ère de l’abondance aura fait disparaître la science économique, essentiellement liée à la notion de rareté.

 

Les perspectives démographiques, en particulier dans les pays développés, semblent pourtant démentir cette intuition. Dans une étude de 2001, l’OCDE mettait en effet déjà en évidence les conséquences économiques et budgétaires liées à l’allongement de l’espérance de vie et au vieillissement démographique, c’est-à-dire à l’accroissement de l’âge moyen de la population. Les conséquences budgétaires de cette dynamique de vieillissement, décrite comme « inéluctable et irréversible » selon les termes d’un rapport d’information de 1999 du Sénat français, ont amené les pays développés à repenser l’Etat social, sinon dans ses fondements, à tout le moins dans ses modalités, afin d’en assurer la soutenabilité face à la prévision d’une hausse sensible des dépenses sociales.

 

C’est en effet depuis les réformes du chancelier Bismarck dans l’Allemagne de la fin du XIXème siècle et, en particulier, depuis la fin du second conflit mondial, que les pays de l’OCDE ont mis en place des systèmes de financement public des pensions de retraites et de prise en charge des dépenses de santé. Ces systèmes sont fondés sur un principe de mutualisation des risques déjà conceptualisé dans la littérature de Léon Walras. Aussi les systèmes par répartition consistent-ils, notamment en France, à financer le versement de pensions de retraite par des cotisations prélevées de manière obligatoire sur la population active. Or, le vieillissement démographique, en accroissant le taux de dépendance, c’est-à-dire le rapport entre inactifs et actifs, semble remettre en cause la soutenabilité de cet Etat-providence, sauf à ce que des réformes n’en modifient le financement.

 

Cette interrogation se pose par ailleurs avec une singulière acuité pour les pays développés, qui ont terminé leur transition démographique, et où s’opère le départ à la retraite des cohortes issues de l’explosion démographique d’après-guerre – la génération du baby-boom devenant, un demi-siècle plus tard, celle du papy-boom. Le vieillissement démographique y est ainsi tout à la fois une source de satisfaction quant à la capacité du modèle de développement à allonger tant l’espérance de vie que l’espérance de vie en bonne santé, mais il est encore une source d’incertitudes quant à ses conséquences budgétaires. Toutefois, les conséquences économiques du vieillissement démographique ne sauraient être résumées à son incidence budgétaire puisqu’il pose également des enjeux quant à la structure et au niveau de la croissance potentielle.

 

Les pays développés sont le témoin d’une dynamique de vieillissement de leurs populations généralisée, bien qu’inégale, qui n’est pas sans conséquence sur le plan macroéconomique (I). Dès lors, ils ont entendu adapter leur modèle de protection sociale par des réformes de nature essentiellement budgétaire, mais qui pourraient toutefois être approfondies (II).

 

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La dynamique de vieillissement démographique, si elle est commune à l’ensemble des pays développés, s’y déploie toutefois de façon inégale (i) et soulève des questions économiques qui ne s’épuisent pas dans des enjeux de nature seulement budgétaire (ii).

 

Les populations des pays de l’OCDE vivent plus longtemps et en meilleure santé. L’espérance de vie moyenne s’y est en effet sensiblement allongée du fait d’une amélioration des niveaux de vie et de l’offre de soins de santé. Elle est ainsi passée de 66 ans en moyenne en 1960 à 78 ans en 2009. Mais c’est encore l’espérance de vie en bonne santé qui s’est allongée puisque les personnes retraitées vivent de plus en plus longtemps sans incapacité. Du reste, cette évolution se poursuivra probablement durant les décennies qui viennent du fait du développement de la biotechnologie et de microprocesseurs à vocation médicale, qui permettent d’envisager, selon l’OCDE (2012), un nouvel allongement de l’espérance de vie de plus de 7 ans en moyenne d’ici à 2050.

 

Cette dynamique d’allongement de l’espérance de vie opère toutefois de façon inégale entre les pays développés. Si certains biais de calculs peuvent inciter à la prudence quant à l’interprétation des chiffres établis à cet égard par chaque Etat, les statistiques de l’Eurostat permettent d’établir depuis 1971 des comparaisons internationales signifiantes. Ainsi, les femmes japonaises peuvent-elles aujourd’hui espérer, à la naissance, vivre en moyenne 89 ans, tandis que les hommes suisses peuvent espérer vivre 84 ans. De même, l’espérance de vie sans incapacité atteint 79 ans en Suède et en Norvège, tandis elle n’est que de 65 ans aux Etats-Unis. Les disparités entre femmes et hommes ont toutefois tendance à s’atténuer en la matière.

 

A cet allongement de l’espérance de vie moyenne se combine la faiblesse des taux de fécondité. Ceux-ci s’élèvent en effet en moyenne à 1,6 enfant par femme dans l’OCDE, alors qu’un taux de 2,1 enfants par femme serait nécessaire pour y maintenir une population stable. Mais la répartition des taux de fécondité est, ici aussi, inégale puisqu’ils sont de 1,1 enfant par femme en Italie, en Espagne ou en République Tchèque, de 1,4 en Allemagne et de 2,01 en France. Par comparaison, le taux de fécondité moyen atteint 4,6 enfants par femme sur le continent africain, ce qui traduit essentiellement le fait que la majorité des pays africains n’ont pas encore terminé leur transition démographique.

 

Cette combinaison d’un allongement de l’espérance de vie et de faibles taux de fécondité entraîne une contraction de la population des pays développés et, en son sein, une diminution de la part relative des actifs. Par symétrie, le taux de dépendance, c’est-à-dire le rapport entre le nombre d’individus âgés de 65 ans ou plus et le nombre des personnes de 20 à 64 ans, devrait, quant à lui, continuer à augmenter pour atteindre près de 50 % à l’horizon 2050 dans les pays de l’OCDE. Ce ratio moyen de 1,5 actif pour 1 retraité se décline toutefois ici encore de manière inégale, puisqu’il devrait être plus proche de 1,2 actif pour 1 retraité dans certains pays comme l’Allemagne ou le Japon. En France, la part des personnes de moins de 25 ans dans la population devrait, quant à elle, passer 28 % en 1990 à 21 % en 2050. En outre, la part des personnes très âgées devrait, elle aussi, s’accroître dans les pays de l’OCDE, puisque les personnes de plus de 80 ans, qui y représentent 4 % en 2010, devraient en effet y représenter 8 % en 2050. En 2060, un tiers des Français auraient ainsi plus de 60 ans et les plus de 85 ans seraient près de 5 millions, contre 1,4 million aujourd’hui.

 

Ce vieillissement démographique, s’il concerne au premier chef les pays occidentaux et le Japon, n’est toutefois pas totalement ignoré par les anciens Etats du bloc d’Europe de l’est ou encore par la Chine. Une politique fiscale défavorable aux adultes sans enfant a en effet été mise en œuvre en Union soviétique sous Staline et a  favorisé, au sortir de la guerre, un dynamisme démographique analogue au baby-boom de l’Europe occidentale. La Chine doit, quant à elle, faire face à une problématique analogue de vieillissement de sa population, dont les personnes de plus de 60 ans devraient représenter le tiers en 2035, et qui tire ses origines dans la politique publique de restriction des naissances, dite de « l’enfant unique », menée depuis les années 1970 et récemment assouplie, notamment pour ce qui concerne les minorités ethniques.

 

Or la contraction et le vieillissement de la population des pays développés devraient emporter des conséquences d’ordre budgétaire, mais aussi de nature macroéconomique.

 

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Le vieillissement démographique devrait en effet remettre au premier chef en question la soutenabilité des politiques publiques relatives à la prise en charge des pensions des retraités et des dépenses de santé. L’OCDE estime ainsi que les pressions budgétaires résultant de ce vieillissement démographique pourraient accroître de 6 % du PIB en moyenne les dépenses liées aux personnes âgées d’ici 2050. Cette contrainte budgétaire serait répartie entre 3 à 4 points de PIB supplémentaires alloués au financement des retraites, qui représentent aujourd’hui 7,5 % du PIB dans l’OCDE, et 2 à 3 points de PIB de dépenses de santé supplémentaires. L’ancien Chief Economist de l’OCDE, Ignazio Visco, ajoutait, du reste, dans une étude de 2001 qu’il appartiendrait sans doute de réévaluer ces prévisions, fondées sur des hypothèses d’évolution du marché du travail et de la productivité sans doute trop optimistes.

 

Cette pression budgétaire trouve son origine tant dans la stagnation de la population active, et donc des assiettes sur lesquelles est assis le financement social, que dans la hausse du taux de dépendance. Toutes choses égales par ailleurs, le vieillissement de la population accroît en effet la demande de soins dans la mesure où les dépenses médicales sont deux fois plus importantes au-delà de 60 ans et sont encore multipliées par deux au-delà de 80 ans. Le développement ou l’apparition de certaines maladies chroniques ou lourdes participent encore de cette pression budgétaire.

 

Ces perspectives d’une contrainte budgétaire accrue résultant du vieillissement démographique peuvent toutefois être nuancées. Le lien statistique entre âge et dépenses de santé provient en effet essentiellement de ce que les deux dernières années de la vie concentrent la majeure partie des dépenses de santé. Ainsi, le vieillissement démographique ne représente-t-il, per se, qu’un dixième de l’évolution des dépenses de soins en France depuis 1960 [L’Horty, Quinet, Rupprecht, 1997]. Ce serait bien plus un effet de génération qui expliquerait cette évolution liée à la médicalisation des modes de vie, à la hausse du niveau de vie, qui incite davantage à ne plus regarder la santé comme un « bien supérieur » au sens de Vleben (1934), mais encore au développement de l’offre de soins et à la baisse du prix relatif des médicaments [Thomas, 1975]. Or, il n’est pas exclu de penser que de nouvelles innovations dans le secteur médical diminueront encore plus avant le coût des traitements, comme ce fut par exemple le cas avec le vaccin contre la polio. De même, le recul de la morbidité, et donc de l’âge à partir duquel les dépenses de santé s’accroissent, pourra également participer à atténuer les conséquences budgétaires du vieillissement. A titre d’exemple, bien que le Japon ait la population la plus âgée de l’OCDE, la part des dépenses de santé y demeure modérée à 10,2 % du PIB en 2014, contre 11,5 % en France et en Allemagne, ou encore 17,1 % aux Etats-Unis. Enfin, les économies réalisées en termes de dépenses liées au chômage et à l’éducation du fait du vieillissement démographique et de la stagnation de la population active pourraient également pour partie compenser la pression budgétaire décrite ci-haut.

 

Les conséquences économiques du vieillissement démographique ne sauraient toutefois s’épuiser dans une contrainte budgétaire puisqu’elles sont encore de nature à affecter la croissance potentielle des économies développées. Les politiques malthusiennes de partage du travail ont en effet pu postuler que la croissance de la population active était un frein à la croissance économique, ce qui a pu justifier, dans les années 1960 et 1970, la fixation d’un objectif de croissance démographique nulle dans certains pays nouvellement décolonisés. Or les études démographiques [Sauvy, 1954] comme macroéconomiques [Solow, 1956] ont tout au contraire montré que la croissance de la population active avait un effet positif et non négatif sur la croissance potentielle d’une économie. Du fait du vieillissement, la population des pays développés devrait stagner puis diminuer à l’horizon 2050, entraînant une baisse du sentier de croissance potentielle à long terme jusqu’autour de 1 à 1,5 point en moyenne par an en Europe occidentale. Dès lors, la croissance potentielle des pays de l’OCDE devrait reposer sur la seule productivité du facteur travail.

 

Or, la productivité du facteur travail devrait, elle aussi, légèrement décliner sous l’effet du vieillissement de la population active. La part des travailleurs âgés de 55 à 64 ans devrait en effet passer de 13,2 % à 17,4 % d’ici à 2020 en Europe, ce qui devrait favoriser le ralentissement de la productivité, sauf à ce qu’un vif effort d’adaptation des postes de travail et de mécanisation soit réalisé. Un pays comme le Japon, où 42 % de la population sera âgée de 60 ans et plus d’ici 2050, compte à cet égard déjà 339 robots industriels pour 10 000 employés, contre 55 pour la moyenne mondiale. Le vieillissement de la population active, si elle fige pour partie les innovations techniques et de procédés, peut en outre être également une source d’expérience et de savoir-faire, compensant ainsi pour partie cet effet négatif sur la productivité. De même, l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé est source d’un bien-être, y compris au travail, qui y favorise la productivité.

 

Le vieillissement démographique devrait encore modifier la structure du marché du travail. Il devrait en effet favoriser la hausse du taux d’emploi féminin, prévu à 65 % en 2025 contre 55 % en 2004 en Union européenne, du fait du remplacement graduel des femmes âgées par des femmes plus jeunes ayant un niveau de formation supérieur et dont le taux d’activité est plus élevé. En revanche, le besoin accru de financement de la protection sociale devrait accentuer le coin salarial et accroître ainsi le prix du travail, sauf à ce qu’une partie des cotisations sociales soit basculée vers une autre assiette, et notamment sous la forme d’une fiscalité indirecte (c’était par exemple le sens du relèvement du taux marginal de la TVA de 3 points en Allemagne en 2007).

 

Cette évolution structurelle du marché du travail se combine avec une évolution de la demande globale dans les pays développés. Ainsi, l’évolution de la consommation des ménages – qui vieillissent, donc – devrait accentuer la demande d’emplois de service, en particulier de services de proximité, et de soins de santé, ce qui favorisera en retour la demande de travail dans ces secteurs d’activité. La spécialisation des économies développées dans la production de services non échangeables devrait ainsi se poursuivre aux dépens de la production de biens manufacturés. Cette évolution vers une « société postindustrielle » [Fourastié, 1949] de moindre intensité capitalistique devrait, en retour, avoir encore un effet négatif sur les gains de productivité [Baumol, 1966], et donc sur la croissance potentielle, ainsi qu’un effet désinflationniste [Artus, 2015].

 

Mais le vieillissement démographique devrait également avoir une incidence sur le comportement d’épargne des ménages et, partant, sur l’abondance relative des facteurs capital et travail dans les économies développées. Il résulte en effet de la théorie du cycle de vie [Modigliani, 1953] que les individus, souhaitant lisser leur niveau de consommation tout au long de l’âge adulte, constituent pendant leur vie active un patrimoine qui constituera une réserve de consommation au moment de leur retraite. A suivre Modigliani, le vieillissement devrait donc accentuer la désépargne et exercer une pression à la baisse sur le prix des actifs. Mais cette théorie du cycle de vie ne semble pas totalement opératoire empiriquement puisqu’elle peine à rendre compte du comportement de populations, pourtant vieillissantes, comme celles de l’Allemagne ou du Japon, qui continuent à épargner. De même, en France, le système de retraites par répartition emporte une certaine solidarité entre générations qui incite les retraités à continuer à épargner. Le modèle de croissance de Ramsey (1928) a pu, à cet égard, expliquer ces comportements altruistes par lesquels l’individu préserve une partie de son revenu accumulé, qu’il souhaite léguer à ses descendants.

 

La théorie du cycle de vie ne permet pas davantage de rendre compte des flux de capitaux à l’échelle internationale, alors même que le vieillissement démographique pourra contribuer à en modifier la structure. A suivre Modigliani, il pourrait être en effet déduit que les pays relativement plus jeunes, en l’espèce les pays du Sud, constituent une épargne qui serait pour partie consommée par les pays relativement plus âgés, au Nord. Or, en réalité, les flux de capitaux sont davantage orientés du Sud vers le Nord, ce qui constitue un « paradoxe » [Lucas, 1990] au regard de la théorie du cycle de vie, mais encore de la situation qui a pu prévaloir au XIXème siècle, où les mouvements de capitaux étaient orientés de l’Europe vers les Etats-Unis et l’Amérique du Sud, relativement plus jeunes et où les investissements paraissaient davantage rentables.

 

Il semble donc possible de conclure que le vieillissement démographique aura, dans une certaine mesure, un effet positif sur le taux d’épargne dans les pays développés. Le démenti empirique à la théorie du cycle de vie peut, à cet égard, être pour partie attribué à l’ancrage des anticipations des agents économiques en matière de pérennité des systèmes de retraites et au rattrapage opéré, par les retraités, en rapport avec le niveau de vie des actifs. Le vieillissement démographique participera toutefois de l’exercice d’une pression négative sur la demande globale [Keynes, 1937, Hansen, 1939, Myrdal, 1940], du fait notamment de la raréfaction des jeunes couples [Todd, 1998]. La dépression de la demande globale serait, en outre, accrue dans l’hypothèse où, n’ayant pas confiance dans la soutenabilité du système de protection sociale, les actifs anticipaient un revenu permanent plus faible qu’attendu [Friedman, 1957]. Cette évolution macroéconomique pourrait, du reste, contribuer à un rééquilibrage de la balance courante des pays développés en favorisant les mouvements de capitaux vers les pays émergents et en déprimant pour partie les importations de biens manufacturés par les pays développés.

 

Enfin, le vieillissement démographique pourrait contribuer à ralentir la dynamique du marché immobilier. Les personnes âgées de 60 ans et plus changent en effet plus rarement de logement ou d’habitation puisque, durant les dix dernières années, seule une sur cinq a changé de logement en France, contre une sur deux pour l’ensemble de la population. Cette évolution s’accentue dans la tranche de 70 à 80 ans, où 60 % des personnes occupent leur logement depuis 25 ans en moyenne. De même que l’offre devrait ainsi se réduire, la demande devrait, elle aussi, ralentir, puisqu’il résulte du vieillissement démographique un nombre plus faible de candidats à la primo accession sur le marché immobilier. Ce phénomène explique, déjà, la stagnation du marché immobilier en Allemagne (croissance des prix de +10 % entre 2000 et 2010 contre +100 % en France) ou au Japon.

 

L’appréciation des conséquences budgétaires et macroéconomiques du vieillissement démographiques dépend donc d’une série de paramètres dont la prévision, a fortiori à long terme, semble difficile. Mais le doute pesant quant à la soutenabilité des systèmes sociaux suffit à susciter la méfiance des actifs à leur égard, alors même que la confiance constitue l’un des éléments de la soutenabilité d’un système de mutualisation des risques. C’est pourquoi, les pays développés ont entendu, notamment depuis les années 1990-2000, anticiper un vieillissement démographique qui, à défaut de pouvoir en quantifier de manière tout à fait exacte les conséquences économiques, apparaît à tout le moins inéluctable dans son principe. Les ajustements ainsi rendus nécessaires constituent, du reste, l’un des principaux changements structurels auxquels sont confrontées les économies de l’OCDE.

 

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C’est bien pour répondre aux conséquences ainsi mises en évidence du vieillissement de leurs populations que les pays développés ont mis en œuvre des réformes du financement de leur protection sociale, en particulier depuis les années 1990 et 2000 (i). Ces politiques gagneraient cependant à être approfondies et à ne pas envisager la dynamique de vieillissement des populations dans les seuls termes d’une contrainte budgétaire, mais à la regarder encore comme une opportunité, en particulier pour favoriser le développement d’une épargne de longue durée utile au financement de l’économie (ii).

 

Ce sont, au premier chef, les systèmes de financement des pensions de retraite qui font l’objet d’un ajustement structurel. La soutenabilité des régimes de retraites par répartition est en effet, par construction, liée aux évolutions démographiques. Un déficit structurel y apparaît, dès lors, sous l’effet du vieillissement démographique et qu’il appartient de corriger. De même, les régimes de retraite par capitalisation, et en particulier la gestion des fonds de pension qui en assurent le financement, ont pu faire l’objet d’erreurs d’appréciation, notamment au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, quant aux paramètres macroéconomiques qui en constituaient le déterminant, et en particulier les gains de productivité.

 

Or, un statu quo budgétaire n’apparaît pas envisageable puisque les régimes de retraite, devenus insoutenables, ne permettraient alors plus d’assurer aux retraités un revenu de remplacement suffisant, minant en retour la confiance des actifs dans ledit système. La solution consistant à alourdir l’endettement social ne semble, du reste, guère opérante, dès lors que les systèmes sociaux connaissent davantage un déficit structurel qu’une seule crise de liquidité. Cette solution semble encore davantage exclue dans un contexte où l’endettement public atteint, dans les pays de l’OCDE, un niveau à partir duquel elle a un effet négatif sur la croissance potentielle [Reinhart, Rogoff, 2009]. Il n’est pas davantage raisonnable de penser que la seule hausse de la fécondité ou l’immigration pourraient permettre de répondre en totalité à cette pression budgétaire. Une solution seulement migratoire emporterait en effet d’autres problématiques de nature davantage politiques et serait, du reste, largement insuffisante si elle demeurait au niveau actuel puisque l’immigration de travail représente par exemple 20 000 arrivées par an en France, par comparaison avec une contraction de la population active de l’ordre de 70 000 par an à l’horizon 2030. Le taux de fécondité semble, quant à lui, faiblement lié aux crédits éventuellement alloués à une politique familiale, mais bien davantage à la structure du marché du travail, selon qu’il incite ou non les jeunes actives à avoir des enfants tout en pouvant retrouver leur emploi à l’issue de leur grossesse.

 

C’est pourquoi, des ajustements dans les modalités des systèmes de protection sociale ont été réalisés dans l’objectif d’une équité intergénérationnelle. Ces réformes ont pu consister à inciter la population active à travailler plus longtemps, à augmenter les taux d’activité de certains segments de population (jeunes, femmes ou séniors) afin d’élargir l’assiette sur laquelle sont assises les cotisations, à accroître le poids de ces mêmes cotisations, avec toutefois un effet positif sur le prix du travail, ou encore à exercer une pression à la baisse sur les revenus de remplacement perçus par les retraités.

 

Ces réformes ont d’abord conduit à un allongement de l’âge légal de départ à la retraite dans les pays développés. Celui-ci sera en effet supérieur, à terme, à 65 ans dans la moitié des pays de l’OCDE, dont le Canada, le Japon ou la Suède. Il est compris entre 67 et 69 ans pour treize d’entre eux, dont l’Allemagne, la Norvège, l’Espagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. Certains pays ont, du reste, choisi de lier formellement l’âge de départ avec l’espérance de vie, tels que le Danemark ou l’Italie. Des relèvements de l’âge légal sont en cours ou prévus dans 28 des 34 pays de l’OCDE. Ils ne permettront toutefois d’absorber totalement les effets de l’allongement de l’espérance de vie que dans six de ces pays pour les hommes et dix pour les femmes.

 

C’est pourquoi, l’OCDE suggère à ses pays membres d’inciter à une augmentation du nombre moyen d’années que les individus passent dans la population active. Cette recommandation a été mise en œuvre notamment par la suppression d’incitations financières à la préretraite, de deux à cinq ans avant l’âge légal en France, et de contre-indications à un départ plus tardif à la retraite, en particulier les législations qui interdisent le travail à ceux qui perçoivent une pension de vieillesse. Le taux de participation des travailleurs âgés de 55 à 64 ans à la population active a ainsi augmenté de 33 % à 55 % en moyenne dans l’OCDE depuis vingt ans [Mojon, Ragot, 2018].

 

Ces réformes ont été accompagnées, d’une part, d’une réduction de la part des pensions financée par la collectivité. Les prestations qui seront perçues à l’avenir ont en effet été réduites de 20 à 25 % par les réformes menées dans les pays de l’OCDE durant les dix dernières années. Ces réductions sont tant le fait de l’entrée en vigueur de nouvelles règles de calcul des prestations moins favorables (tant avec la prise en compte d’un plus grand nombre de trimestres dans le secteur privé que par l’alignement progressif de régimes spéciaux sur le régime général), ou encore d’une désindexation totale ou partielle de l’évolution desdites prestations par rapport à l’inflation. Cette solution de la désindexation partielle est d’ailleurs aujourd’hui étudiée par le gouvernement français, faisant suite à la négociation entre partenaires sociaux relative aux régimes complémentaires.

 

Des incitations à la diversification des sources de financement de la protection sociale ont, d’autre part, tendu à associer systèmes de prélèvements et revenus de transferts, systèmes de capitalisation et accumulation d’une épargne privée. Ainsi, des allègements d’impôt ont-ils été consentis pour inciter notamment les plus faibles revenus et les jeunes à constituer une épargne privée. Treize pays ont, dans l’OCDE, rendu les pensions privées obligatoires, notamment l’Australie, où les retraités peuvent espérer toucher des revenus de remplacement équivalent à 60 % des revenus des actifs, contre 50 % en moyenne dans les autres pays.

 

Des réformes tendant à la maîtrise de l’ensemble des dépenses sociales, et en particulier des dépenses de santé, ont par ailleurs été menées dans les pays développés. Les récents exemples de la loi dite Obamacare aux Etats-Unis, ou encore de la création en France d’un objectif national des dépenses d’assurance-maladie en 1996, témoignent de cette démarche.

 

Enfin, la création d’instituts indépendants chargés de l’établissement de prévisions budgétaires relatives au vieillissement démographique a pu contribuer à en accroître la fiabilité et la légitimité. Ainsi, le Conseil d’orientation des retraites créé en France en 2000 propose, chaque année, un abaque associé aux projections démographiques et budgétaires actualisées. De même, les travaux de la Commission européenne dans le cadre du Comité de politique économique permettent de disposer de projections démographiques et budgétaires aussi peu incertaines que possible.

 

Si l’ensemble de ces réformes a été mis en œuvre de façon progressive en vue d’en réduire les effets redistributifs (un Fonds de réserve des retraites a été créé en France à cet effet), leur ambition semble toutefois aujourd’hui insuffisante. C’est pourquoi, ces réformes pourraient être poursuivies dans leur démarche, tout en approfondissant la prise en compte par les politiques publiques des conséquences, non plus seulement budgétaires, mais macroéconomiques, du vieillissement démographique.

 

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Plusieurs axes peuvent contribuer à l’approfondissement des réformes menées depuis une vingtaine d’années :

 

> Il appartiendrait d’abord d’apporter une réponse non plus seulement conjoncturelle mais de nature structurelle afin d’assurer la soutenabilité à long terme des régimes de retraite.

 

La réponse apportée par les politiques publiques à la dynamique de l’espérance de vie doit en effet être de nature dynamique et lier l’évolution démographique avec l’évolution de la durée de cotisation. Ce lien peut être opéré par la voie légale ou réglementaire en prévoyant un réexamen périodique des modalités de financement de la protection sociale. C’est notamment le principe qui semble prévaloir pour le cas des réformes des retraites successives en France. Mais la succession de réformes participe toutefois, pour partie, à rendre le système difficilement lisible et, partant, à accroître l’incertitude des actifs quant à sa soutenabilité [Bozio, Piketty, 2008].

 

Une réponse alternative, et qui pourra à bien des égards apparaître davantage satisfaisante, consisterait à mettre en œuvre un système dynamique, dit « à points », fondé sur l’accumulation d’un capital virtuel durant la vie active et qui serait consommé au moment du départ à la retraite. Le montant des prestations versées durant le temps de la retraite serait alors fonction du montant du capital virtuellement accumulé durant la vie active. Le choix de l’âge de départ à la retraite constituerait alors un arbitrage individuel consistant à choisie de continuer à travailler plus tard afin de bénéficier d’une retraite plus conséquente ou, tout au contraire, de décider de partir plus tôt à la retraite tout en renonçant à bénéficier de pensions plus conséquentes. Dès lors, le système étant dynamique, il est structurellement à l’équilibre. C’est le sens de la réforme qui a été menée en Suède dans les années 1990 et dont a notamment pu s’inspirer, pour partie, l’Italie.

 

Des aménagements peuvent permettre de prendre en compte dans le calcul des prestations, au titre de facteurs d’équité, le degré de pénibilité des emplois occupés durant la vie active, ainsi que la structure des carrières (en particulier pour les carrières longues). De fortes disparités existent en effet entre les catégories socioprofessionnelles pour ce qui concerne l’espérance de vie à 65 ans, qui constituent un frein à la mobilité professionnelle et que les réformes successives ont jusqu’ici insuffisamment prises en compte. De même, l’introduction d’un revenu de remplacement universel financé par l’impôt peut constituer un « filet de sécurité » (safety net) pour les populations ayant peu ou pas exercé d’activité professionnelle.

 

Du reste, la méthode employée semble déterminer en grande partie les chances de succès d’une telle réforme. La voie d’une réforme négociée permettant d’associer l’ensemble des parties prenantes à l’élaboration d’un diagnostic partagé, puis de pistes de financement, est davantage de nature à en garantir la pérennité. Ainsi, douze ans, et plusieurs alternances politiques, se sont-ils écoulés en Suède entre la mise en place de la première commission de réflexion en 1991 et le premier versement des prestations sous l’empire du nouveau régime, en 2003.

 

> A défaut ou en complément d’une telle réforme structurelle du financement de la protection sociale face au vieillissement démographique, les pays développés pourraient poursuivre leur dynamique de réforme en introduisant une dimension modérée de capitalisation et en favorisant le maintien d’une assiette large pour son financement.

 

Une dimension de capitalisation peut en effet permettre de compléter le versement de pensions publiques. Cette capitalisation gagnerait à être de nature obligatoire, sur le modèle des fonds de pension en Allemagne, aux Etats-Unis, au Japon ou au Royaume-Uni. Un système mixte associant ainsi financement public et capitalisation permettrait d’assurer un financement plus pérenne et fondé sur une plus grande responsabilisation individuelle.

 

Le régime de capitalisation comporte toutefois un certain nombre d’inconvénients qui justifient le maintien d’une part élevée de financement public de la protection sociale. L’introduction d’une dimension de risque individuel lié au capital participe en effet d’une relative instabilité des revenus de remplacement. C’est pourquoi, il appartiendrait, dans cette hypothèse, d’assurer la protection des épargnants contre le défaut des fonds de pension. Celle-ci impliquerait d’imposer des règles prudentielles relatives à la gestion déléguée des fonds de pension ainsi que d’apporter une garantie publique aux dépôts et de maintenir un filet de sécurité suffisant.

 

De même, l’employabilité des personnes les plus âgées doit être encouragée afin d’augmenter la taille de la population active contribuant au financement de la protection sociale. La formation continue ou encore des dispositifs de départ progressif à la retraite avec maintien dans l’emploi à temps partiel peuvent y contribuer (les réformes Hartz en Allemagne ont expérimenté le principe d’une aide de retour à l’emploi pour les plus de 50 ans). L’amélioration du capital humain participerait, en outre, à la stimulation du potentiel de croissance dans une approche endogène [Becker, Lucas, 1988].

 

La prise en charge de la dépendance constitue enfin une contrainte budgétaire que les pays développés devront davantage intégrer. Le financement de la dépendance représentait en effet seulement 0,5 % du PIB dans les années 1990 en France et triplera d’ici 2060, mais le relèvement progressif des cotisations sociales devrait permettre, dans les années qui viennent, de financer l’augmentation du nombre de places médicalisées et le développement de services permettant le maintien à domicile des personnes dépendantes.

> Les conséquences économiques du vieillissement démographique ne devraient toutefois pas être abordées dans une approche seulement budgétaire, mais elles peuvent encore constituer une opportunité pour améliorer l’allocation de l’épargne dans les économies développées.

 

Le surcroît d’épargne qui résulte du vieillissement démographique pourrait en effet être alloué de façon utile aux économies développées. Si les trustees au Royaume-Uni ont par exemple pu préférer une gestion recherchant essentiellement une rentabilité à court-terme, la promotion de l’épargne longue pourrait par contraste contribuer à la mise en place d’un modèle de développement plus soutenable vis-à-vis de l’extérieur, et notamment des pays émergents. Elle pourrait en effet tant financer des projets de reconversion industrielle que participer au rééquilibrage de la balance courante de ceux des pays du Nord qui sont à cet égard déficitaires.

 

Il semble en revanche qu’il faille exclure une solution qui consisterait à allouer ce surcroît d’épargne au seul refinancement de la dette publique, dans une perspective de « répression financière » [Reinhart, Sbrancia, 2001]. L’épargne serait alors en effet consacrée à des dépenses peu productives, en l’espèce, le paiement des intérêts sur la dette publique. De même, la France a, jusque lors, davantage favorisé un placement comme l’assurance-vie (1 600 Md€ d’encours) ou encore des investissements immobiliers, qui semblent pourtant peu susceptibles d’y accroître le potentiel productif. Le projet de loi dit « PACTE » devrait prévoir en ce sens une portabilité des comptes d’épargne retraite (200 Md€ d’encours) et la déductibilité fiscale des versements volontaires sur ces comptes afin d’en accroître l’encours de +50 % d’ici 2022.

 

 

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La dynamique de vieillissement démographique se déploie donc de façon inégale au sein des pays développés et soulève des questions économiques qui ne s’épuisent pas dans des enjeux de nature seulement budgétaire. Or c’est bien pour répondre à ces enjeux économiques que les pays développés ont mis en œuvre des réformes du financement de leur protection sociale. Celles-ci gagneraient toutefois à ne pas envisager la dynamique de vieillissement démographique dans les seuls termes d’une contrainte budgétaire, mais à la concevoir comme une opportunité de favoriser le développement d’une épargne de longue durée utile au financement de l’économie.

Les enjeux économiques de la protection sociale

 

Les enjeux micro-économiques de la protection sociale

 

  • Les politiques de redistribution divisent par trois les inégalités de revenus en France (écart de 20 à 6 entre les 2 déciles extrêmes). Dû pour les 2/3 aux prestations sociales et pour 1/3 à la fiscalité. Coefficient GINI relativement faible (0,30 contre 0,33 en Italie ou 0,36 au Royaume-Uni) ;
  • Les minima sociaux réduisent l’intensité de la pauvreté mais pas son niveau, qui est surtout lié au marché du travail (ex. 8,9 M de pauvres en 2015, soit +1 million par rapport à 2008 du fait de la crise économique) ;
  • MAIS interrogations sur l’efficience de ces dépenses : la socialisation de certains risques induit-elle une déresponsabilisation des agents économiques ? (ex. 70k morts du tabac/an en France et coût sanitaire de 26 Md€/an selon Kopp, 2015) ;
  • Par ailleurs, la protection sociale modifie les préférences individuelles : est-ce le rôle de la puissance publique ? (ex. les trappes à inactivité modifient la fonction d’offre de travail et conduisent à un équilibre sous-optimal du marché du travail).

Les enjeux macro-économiques de la protection sociale

 

  • L’existence et le développement de la protection sociale permet de soutenir les gains de productivité (Wheeler, 1980 : le développement du capital humain via l’éducation ou la santé contribue positivement à la croissance du PIB) ;
    • de la formation professionnelle continue : un effort moyen de 11h de formation/an et par salarié génère un gain de productivité de +1 %, récupéré entre 30 % et 50 % par les travailleurs sous la forme de revalorisations salariales (Crépon, 2009) ;
  • Elle permet également de réduire le taux d’épargne de précaution des ménages et mieux allouer les ressources au sein d’une économie nationale ;
    • dépenses de protection sociale en Chine 9 % du PIB et taux d’épargne des ménages à 37 % du RDB;
  • MAIS le coin socio-fiscal modifie la croissance potentielle et le chômage naturel (coût total d’un travailleur pour une entreprise au-delà du salaire net: permet une première mesure de la compétitivité-prix : en 2015, il explique 40 % des coûts salariaux en France 35 % en Allemagne et 25 % au Royaume-Uni) ;
  • En économie ouverte, un modèle de protection sociale dont le financement est assis sur les facteurs de production mobiles (ex. cotisations employeurs) apparaît moins soutenable et génère des effets d’éviction (moindre compétitivité-prix) ;
  • D’où des interrogations sur une modification de la structure du financement de la protection sociale (ex. développement de la CSG, « TVA sociale », montée en charge de la fiscalité environnementale) ;
    • S’il n’existe pas d’assiette miracle, la fiscalité environnementale est la plus favorable à la croissance potentielle à long terme (selon une étude de la DG Trésor en 2011, une hausse de la taxe carbone couplée à une réduction des cotisations sociales et un renforcement du CIR aurait un impact de +0,6 point sur le PIB et de +125k sur l’emploi à horizon 10 ans).

 

Croissance et inégalités

 

  • Le lien entre croissance et inégalités: S. Kuznets (1955) : courbe en cloche.
    • Dans un premier temps, l’accumulation de capital infrastructurel et naturel conduit à une répartition des richesses déformée en faveur des détenteurs d’épargne. Puis, l’accumulation de capital humain réduit les inégalités.
    • Mais Piketty (2005) : réduction pas naturelle (impôts et événements inattendus affectant le capital : guerres, inflation). En France, les transferts fiscaux, sociaux et en nature réduisent le rapport interdécile (rapport entre le niveau de vie des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres) de 5 (revenus primaires) à 3,5 (revenus après redistribution).
    • Stiglitz (2012) : le Top 1 % détient 20 % des revenus primaires aux USA du fait de la déformation du partage de la valeur ajoute entre capital et travail depuis 1980s : en découlent instabilité financière et moindre mobilité sociale.

=> La croissance ne suffit pas à réduire les inégalités, cela dépend aussi des institutions et de la structure des marchés.

 

  • Théorème de Stolper-Samuelson (1941) : relation positive entre le prix international d’un bien et la rémunération du facteur de production intensif dans sa production => lien entre inégalités et ouverture commerciale (ex. s’accroissent aux USA et se réduisent en Chine : 0,49 -> 0,46 entre 2006 et 2016)
    • Par ailleurs, la distorsion de la répartition de la VA accroit les inégalités de revenus (Stiglitz, 2012) => problématique de l’augmentation du salaire minimum fédéral (+35 % sous Obama).
    • Card, Krueger, 1995 : une hausse du salaire minimum peut augmenter le niveau d’emploi au lieu de le diminuer. Si le salaire minimum est faible et proche des minima sociaux (inférieur au salaire de réserve), une hausse attire de nouveaux travailleurs que les entreprises ont intérêt à embaucher. En revanche, si le salaire minimum est élevé, toute hausse incite les entreprises à se séparer de leurs employés dont la productivité vient d’être dépassée par la nouvelle valeur du salaire minimum.
    • En France, le salaire minimum n’a cessé d’augmenter depuis 1970 (en 2012, le coût moyen du travail au niveau du salaire minimum atteint environ 14 dollars contre 8 dollars aux Etats-Unis) alors qu’aux Etats-Unis, il était plus faible en 2012 qu’en 1970.
    • Kramarz, 2000 : salaire minimum et chômage des jeunes : les personnes rattrapées par le salaire minimum dans les années 1980 ont eu une plus grande probabilité de perdre leur emploi que celles dont le salaire est resté très proche mais n’a pas été dépassé par le salaire minimum.

 

  • Question également en Chine : fortes inégalités (Gini à 0,5) et faible classe moyenne (130 millions d’individus sur une population de 1,5 milliard) : hausse CSU répond à un double rééquilibrage : consommation / investissement (36/50 % PIB) ; demande interne / demande externe (excédent commercial +3 % PIB).

 

Croissance et pauvreté

 

  • Rosenstein-Rodan (1943) : théorie du Big Push : c’est l’accumulation de capital qui permet de sortir de la trappe à pauvreté (notamment après les destructions de 1939-1945 : 20 % du capital immobilier détruit en France)
  • Becker: théorie du capital humain, soutient productivité tout au long de la vie. Ex. accès à l’emploi ou à la formation. Note du CAE « Prévenir la pauvreté par l’emploi, l’éducation et la mobilité » (2017) : l’emploi reste le meilleur moyen de se prémunir contre la pauvreté (divise par 2) ; la qualification reste le meilleur moyen de se prémunir contre le chômage (+ « effet de cicatrice du chômage de longue durée Carcillo, 2015 : durée moyenne 15 mois 8 mois OCDE).
    • Investissement dans la formation également pour les jeunes enfants. Carcillo, 2016 : efficacité programmes en faveur des jeunes enfants (3-4 ans afro-américains défavorisés : Perry Preschool Program dans l’Etat du Michigan depuis 1962 : pour 1 dollar investi, gain de 9,11 dollars pour la collectivité via surcroît de revenus, économies de dépenses publiques police justice). « Piège à pauvreté » : revenu des parents détermine la réussite scolaire et le diplôme, qui déterminent la probabilité d’être en emploi et d’être pauvre.
    • Institut Montaigne (2017) : efficacité ciblage moyens REP/REP+ et notamment dédoublement des classes CP.
    • CAE (2017) : Garantie jeunes, apprentissage, E2C efficaces, à investir. Idem PIC 15 Md€ (plutôt que contrats aidés).

 

  • Pour les pays avancés, un désalignement entre croissance économique et progrès social : Allemagne taux de pauvreté (% de pop dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian) à 16 % vs. 14 % France, notamment hausse pour les chômeurs depuis 2004 (loi Hartz IV a réduit la durée des allocations chômage à 1 an) et indice de Gini à 0,3 (mesure des inégalités).
    • S’agissant de leurs conséquences socio-économiques : le patrimoine médian des ménages médians allemands est 2x plus faible qu’en France + forte hausse des inégalités de répartition (De Grauwe & Yi, 2013) et du taux de pauvreté (de 12 % à 16 % entre 2002 et 2010). Enfin, l’Allemagne compte des faiblesses structurelles (notamment sa démographie et sa natalité : 1,4 enfant/femme)

 

  • Pour les pays émergents, une corrélation entre ouverture au commerce international et réduction de la pauvreté monétaire (52 % en 1980
    22 % en 2010 même si elle a augmenté en valeur absolue : 1,2 Md vs. 1,9 Md).
    Ordre de grandeur : +1 % de croissance dans le monde => 20 M de pauvres en moins

 

Faire face aux incidences économiques du vieillissement démographique

 

  • Baisse de la natalité (ex. INSEE : -7 % en FR depuis 1980) et allongement de l’espérance de vie (+8,5 ans dans la même période) induisent des effets micro- et macro-économiques contrastés (Artus, 2015) :
    • L’inflation décroît avec le vieillissement et le solde extérieur s’améliore car insuffisance de la demande interne (ex. Allemagne)
    • Absence de lien empirique avec l’évolution du taux d’épargne des ménages (≠ théorie du cycle de vie)
    • Pas de diminution de l’aversion au risque ni de l’effort de /R&D et effets contrastés sur les gains de productivité
    • Pas de corrélation avec les prix des actifs (actions, immobilier)
    • => Au total, ralentissement du PIB / tête et impact incertain sur le progrès technique

 

  • Un enjeu de soutenabilité budgétaire
    • La hausse du taux de dépendance global (retraités / actifs) génère une contrainte de financement pour les systèmes de retraite:
      • 3 leviers de réforme des régimes de retraite par répartition (déficit de -0,4 % PIB en 2021 et -0,8 % en 2030 selon le COR, 2017) : taux de cotisation, taux de remplacement, durée de la vie active (piste privilégiée jusqu’ici : soit par le recul de l’âge légal des départs en retraite, soit par l’allongement de la durée de cotisation)
      • Autres pistes : hausse du taux d’emploi des séniors (v. séance sur le marché du travail), amélioration du solde migratoire ou du taux de fécondité
      • Passage à un système de retraites par comptes notionnels : enjeu d’équité (même taux de rendement) et de fluidité dans les parcours professionnels (2,7 régimes de retraite en moyenne / personne), cf. Bozio & Piketty, 2008.
    • Effet inflationniste sur les dépenses de santé (via les ALD : 15 % de la population en 2011 -> 20 % en 2025, cf. Trésor-Eco, 2015) et de dépendance (+1 pt de PIB de dépenses d’ici 2060 selon la DREES)
    • Un enjeu également pour les économies émergentes (ex. Chine : ratio de dépendance 1,3 actif par sénior d’ici 2050 + épargne de précaution trop importante)

La protection sociale

1. Les notions

Les modèles de financement de la protection sociale

· Il existe des modèles bismarckiens (cotisations) ou beveridgiens (impôt) pour financer la protection sociale :
o En France : modèle bismarckien en 1945, puis hybridation (création de la CSG : finance aujd 1/3 des dépenses de protection sociale + création du RMI ou de la CMU, attribués sans condition de cotisation préalable)
· La tendance dans l’OCDE depuis 30 ans est celle d’une augmentation continue des dépenses sociales : un effet volume lié à élargissement du périmètre de risques couverts (ex. risque chômage) et des bénéficiaires concernés, un effet prix lié aux revalorisations pour couvrir le coût de la vie.
o En France, le ratio dépenses publiques/PIB a augmenté de 11,4 pts entre 1980 et 2014 dont 60 % du fait des ASSO. Les dépenses de protection sociale (y compris santé) y représentent 1/3 du PIB, soit autant qu’au Danemark et 5 points de plus qu’en moyenne dans la zone euro. Cette préférence collective pour la socialisation des dépenses de protection sociale soulève un enjeu de financement et d’allocation des ressources (cf. infra sur le coin socio-fiscal).
o Aujourd’hui, le déficit de la Sécurité sociale est notamment lié à la branche assurance-maladie (-4,1 Md€ en 2017, soit environ 5 % du déficit public). Ce déficit est lié au vieillissement démographique ainsi qu’aux inefficiences de l’organisation du système de soins et de prévention en France [CAE, 2013]. Il soulève un enjeu d’équité intergénérationnelle pour le financement de la dette sociale.

Les enjeux macro-économiques de la protection sociale

  • Les politiques de redistribution divisent par trois les inégalités de revenus en France (écart de 20 à 6 entre les 2 déciles extrêmes). Dû pour les 2/3 aux prestations sociales et pour 1/3 à la fiscalité. Coefficient GINI relativement faible (0,30 contre 0,33 en Italie ou 0,36 au Royaume-Uni) ;
  • Les minima sociaux réduisent l’intensité de la pauvreté mais pas son niveau, qui est surtout lié au marché du travail (ex. 8,9 M de pauvres en 2015, soit +1 million par rapport à 2008 du fait de la crise économique) ;
  • MAIS interrogations sur l’efficience de ces dépenses : la socialisation de certains risques induit-elle une déresponsabilisation des agents économiques ? (ex. 70k morts du tabac/an en France et coût sanitaire de 26 Md€/an selon Kopp, 2015) ;
  • Par ailleurs, la protection sociale modifie les préférences individuelles : est-ce le rôle de la puissance publique ? (ex. les trappes à inactivité modifient la fonction d’offre de travail et conduisent à un équilibre sous-optimal du marché du travail).

Les enjeux micro-économiques de la protection sociale

  • L’existence et le développement de la protection sociale permet de soutenir les gains de productivité (Wheeler, 1980 : le développement du capital humain via l’éducation ou la santé contribue positivement à la croissance du PIB) ;
    • Ex. de la formation professionnelle continue : un effort moyen de 11h de formation/an et par salarié génère un gain de productivité de +1 %, récupéré entre 30 % et 50 % par les travailleurs sous la forme de revalorisations salariales (Crépon, 2009) ;
  • Elle permet également de réduire le taux d’épargne de précaution des ménages et mieux allouer les ressources au sein d’une économie nationale ;
    • Ex. dépenses de protection sociale en Chine 9 % du PIB et taux d’épargne des ménages à 37 % du RDBMAIS le coin socio-fiscal modifie la croissance potentielle et le chômage naturel (cf. séance sur le marché du travail) ;
  • En économie ouverte, un modèle de protection sociale dont le financement est assis sur les facteurs de production mobiles (ex. cotisations employeurs) apparaît moins soutenable et génère des effets d’éviction (moindre compétitivité-prix) ;
  • D’où des interrogations sur une modification de la structure du financement de la protection sociale (ex. développement de la CSG, « TVA sociale », montée en charge de la fiscalité environnementale) ;
    • S’il n’existe pas d’assiette miracle, la fiscalité environnementale est la plus favorable à la croissance potentielle à long terme (selon une étude de la DG Trésor en 2011, une hausse de la taxe carbone couplée à une réduction des cotisations sociales et un renforcement du CIR aurait un impact de +0,6 point sur le PIB et de +125k sur l’emploi à horizon 10 ans).

2. Les défis

Faire face aux incidences économiques du vieillissement démographique

  • Baisse de la natalité (ex. INSEE : -7 % en FR depuis 1980) et allongement de l’espérance de vie (+8,5 ans dans la même période) induisent des effets micro- et macro-économiques contrastés (Artus, 2015) :
    • L’inflation décroît avec le vieillissement et le solde extérieur s’améliore car insuffisance de la demande interne (ex. Allemagne)
    • Absence de lien empirique avec l’évolution du taux d’épargne des ménages (≠ théorie du cycle de vie)
    • Pas de diminution de l’aversion au risque ni de l’effort de R&D et effets contrastés sur les gains de productivité
    • Pas de corrélation avec les prix des actifs (actions, immobilier)
=> Au total, ralentissement du PIB / tête et impact incertain sur le progrès technique
  • Un enjeu de soutenabilité budgétaire
    • La hausse du taux de dépendance global (retraités / actifs) génère une contrainte de financement pour les systèmes de retraite :
      • 3 leviers de réforme des régimes de retraite par répartition (déficit de -0,4 % PIB en 2021 et -0,8 % en 2030 selon le COR, 2017) : taux de cotisation, taux de remplacement, durée de la vie active (piste privilégiée jusqu’ici : soit par le recul de l’âge légal des départs en retraite, soit par l’allongement de la durée de cotisation)
      • Autres pistes : hausse du taux d’emploi des séniors (v. séance sur le marché du travail), amélioration du solde migratoire ou du taux de fécondité
      • Passage à un système de retraites par comptes notionnels : enjeu d’équité (même taux de rendement) et de fluidité dans les parcours professionnels (2,7 régimes de retraite en moyenne / personne), cf. Bozio & Piketty, 2008.
    • Effet inflationniste sur les dépenses de santé (via les ALD : 15 % de la population en 2011 -> 20 % en 2025, cf. Trésor-Eco, 2015) et de dépendance (+1 pt de PIB de dépenses d’ici 2060 selon la DREES)
    • Un enjeu également pour les économies émergentes (ex. Chine : ratio de dépendance 1,3 actif par sénior d’ici 2050 + épargne de précaution trop importante)

Source : INSEE, projections de population active 2010-2060