Le choix de l’euro comme monnaie unique

1.   Définitions et concepts-clés

 

Les différentes phases d’intégration économique

 

  • Zone de libre-échange (suppression des droits de douanes et des limitations quantitatives d’importations entre les pays membres, ex ALENA, 1994)
  • Union douanière (zone de libre-échange dotée d’un tarif extérieur commun, ex Zollverein, 1834)
  • Marché commun (union douanière où les facteurs de production peuvent circuler sans entraves d’un pays à l’autre, ex Marché commun et « quatre libertés »)
  • Union économique (marché commun marqué par l’harmonisation des politiques économiques des différents États-membres)
  • Union monétaire (union économique avec une monnaie unique => plus de dévaluation possible)
  • Idée que le libre-échange accroît la prospérité globale (CEPII, 2018: le marché unique a en moyenne doublé le commerce de biens entre pays membres et permis d’atteindre un niveau de PIB réel de 4,4 % plus élevé ; l’essentiel des gains ayant été réalisés depuis 1994). Aujourd’hui, 60 % en moyenne des importations des pays membres proviennent des autres pays européens.

 

L’Union économique et monétaire

 

  • Ensemble des politiques des EM de l’UE visant à rapprocher leurs économies : l’Euro n’est qu’une des politiques de l’UEM (aussi le pacte de stabilité et de croissance, l’union bancaire, etc.)
  • Idée d’une monnaie unique au moment de la réunification allemande (contrepartie politique : « clouer les mains des Allemands sur la table») après l’échec du serpent monétaire européen – SME (créé en 1979 : ECU unité de compte avec marge de fluctuation de 2,25 % des taux de change ; objectifs : maîtriser l’inflation et synchroniser les cycles économiques ; MAIS abandon dès 1980 du projet de Fonds monétaire européen qui devait soutenir les pays en difficulté financière – indispensable à une zone monétaire optimale, infra ; dévaluations du franc et du franc belge en 1981-82-83, puis lire italienne, peseta espagnole et livre sterling en 1992 après attaques spéculatives : fin du SME pour entrer dans l’euro)
  • Critères de convergence pour rentrer dans l’euro (art. 140 TFUE) : stabilité des prix (ne doivent pas être supérieurs de +1,5 point par rapport aux 3 meilleurs Etats membres), des finances publiques (dette publique max 60 % du PIB et déficit public 3 % du PIB), du taux de change (pas de dévaluation depuis 2 ans) et spread taux d’intérêt (pas + 2 pts d’écart avec les 3 meilleurs EM).
  • Frankel & Rose (1998) : théorie de l’endogénéité des ZMO : l’union monétaire favoriserait l’intégration commerciale, d’où une relation positive entre bénéfices d’une monnaie unique et intégration économique
  • Fontagné & Freudenberg (1999) : intégration commerciale favorise la spécialisation intra-branche (ex. segmentation de la chaine de valeur de l’industrie auto)
  • MAIS Krugman (Lessons of Massachussets for EMU, 1993) : théorie de la spécialisation géographique (polarisation des activités industrielles en union monétaire et convergence trop rapide des W als que les productivités restent hétérogènes)

 

La théorie des zones monétaires optimales (ZMO)

 

  • Mundell (1961) : mobilité des facteurs travail et capital, résilience aux chocs asymétriques
    • USA : pas réellement une ZMO, préconise deux zones côtes Est et Ouest
  • La zone euro est-elle une zone monétaire viable selon Balassa (2012)?
    • Mobilité des facteurs de production (non : mobilité du facteur travail 3x moindre qu’aux USA selon Eichengreen, 1991 ; par ailleurs, la mobilité du capital a encouragé l’endettement privé inconsidéré dans les zones périphériques en rattrapage, ex. bulle immobilière en Espagne)
    • Taux d’ouverture commerciale : oui (DE 70%, FR/IT/SP 40% vs. US 13%, JP 10%)
    • Homogénéité des préférences : oui
    • Diversification des productions : oui
    • Transferts budgétaires : non

=> Les principaux obstacles à la constitution de la zone euro en zone monétaire optimale sont donc l’insuffisante mobilité des facteurs de production en cas de choc asymétrique (et notamment du facteur travail) et l’absence de transferts budgétaires

 

 

2.   Les dilemmes de la politique économique

 

Les justifications économiques de l’euro

 

  • Les bénéfices micro-économiques de la monnaie unique
    • Disparition des risques de change : approfondit le commerce intra-zone (46 % des exports FR)
    • Mussa (1986) : régime de changes flottants depuis 1973 => volatilité excessive des taux de changes et apparition de désajustements durables
    • Disparition des distorsions dans l’allocation de l’épargne (réduit l’incertitude dans la décision d’investissement), favorise l’intégration des marchés de capitaux
    • Disparition des coûts liés au changement de monnaie (commissions bancaires, etc)
    • Plus grande transparence sur les marchés : comparaison des prix par les consommateurs, favorise la concurrence et le pouvoir d’achat

 

  • Les bénéfices macro-économiques
    • Stabilité des prix, élimine les risques de politiques non coopératives et favorise une saine gestion des finances publiques (Emerson, 1991)
    • Monnaie de réserve internationale pour concurrencer le dollar (1/3 des échanges mondiaux se font en euro)
    • MAIS plus de politique monétaire indépendante, plus de monétisation des dettes

 

Pourquoi l’UEM a divergé ?

 

  • L’UEM en crise : un révélateur de fragilités structurelles ?
    • Une crise externe à l’UEM (subprimes, faillite de Lehmann Brothers, etc)
    • MAIS des déséquilibres internes
      • Sur le marché des actifs, émergence de bulles des prix immobiliers en périphérie (prix +200 % en Espagne sur 1997-2007) et expansion des bilans bancaires (de 200 à 270 % du PIB entre 2002 et 2009 en Z€). Blanchard et Giavazzi, 2002: boom portugais des années 1990 déjà lié à la diminution de l’épargne privée des ménages (hausse du ratio endettement/revenus) et donc accompagnée d’un creusement du déficit courant. Critique de l’euro par Walters dès 1990 : taux d’intérêt commun (BCE) sans convergence des taux réels (l’inflation reste nationale) => divergence économique et formation de bulles d’actifs dans les pays périphériques.
      • Sur la compétitivité, divergence d’évolution des coûts salariaux unitaires dans l’industrie (+20 % en Italie et Espagne entre 1997 et 2007 vs. -11 % en Allemagne)
      • Sur les finances publiques, déficits budgétaires structurels (ex. « paquet fiscal » en France : +0,4 pt déficit en 2007 et +1pt en 2008) masqués par la réduction de la charge de la dette car les taux d’intérêt à 10 ans ont convergé vers 4-5 % en 2007 (crédibilité importée du Deutsche Mark) ; puis découverte en novembre 2009 que la dette publique grecque était déjà supérieure à 120 % du PIB a engendré augmentation des spreads (taux jusqu’à 40 % pour la Grèce en 2011). Déficits conjoncturels aussi liés à la crise (13 % du PIB de l’UE pour recapitaliser les banques en 2009, ex. en Irlande : déficit public à 32 % du PIB en 2010 pour financer la recapitalisation des banques; plans de relance en 2008 de 300 Md€ au total même si 3x plus faible que la relance américaine, 34 Md€ en France sur 2008-2010 selon la Cour des comptes)
    • L’UEM en réponse à la crise : des économies qui continuent de diverger ?
      • Déficits jumeaux (finances publiques + commerce extérieur) en zone euro déjà avant crise (Obstfeld & Rogoff, 2010) : IT/SP/GR/PO/FR déficitaires vs. AL/NL/FI/AT à l’équilibre ou excédentaires
      • Politiques de dévaluation interne : croissance des dettes publiques par le phénomène de boucle dépressive de Fisher (multipliée par 2 en SP et 2,5 au PT) et des taux de financement (spread DE : SP 2,5 pts, PT 5 pts) mais réduction des déficits commerciaux (SP et IT : excédent de 1,5 % PIB).
      • MAIS politiques très coûteuses en emploi (en 2012, 26 % chômage en SP, 17 % au PT), cf. CEPII, 2012 (« Peut-on dévaluer sans dévaluer ? »). IT : stagnation du PIB réel/habitant entre 2007 et 2017, en GR -16 % (condition de 3,5 % d’excédent budgétaire primaire). Le ratio PNB GR/DE était de 41 % en 1995, passé à 71 % en 2009 pour retomber à 47 % en 2014 (Bulow et Rogoff, 2015).

 

Pourquoi les réactions à la crise étaient inappropriées ?

 

1/ Une relance initiale trop timide après la crise (300 Md€ de déficit d’investissement/an : 2 % du PIB) qui s’explique par l’endettement des Etats et l’incapacité de l’UE à s’endetter

2/ Une consolidation budgétaire trop précoce (dès 2010, et remontée des taux de la BCE) après l’accroissement des spread de taux d’intérêt

3/ Des ajustements trop tardifs (restructuration de la dette grecque à partir d’octobre 2010, politique monétaire non conventionnelle à partir de 2012, plan d’investissement à partir de 2014)

 

Une coordination des finances publiques peu crédible

 

  • Coordination des politiques budgétaires contre free rider (PSC, TSCG et Six-Pack) : déficits excessifs au-delà de 3 % du PIB sauf circonstances exceptionnelles (idem déficit structurel à 0,5 % du PIB) et balance des paiements doit être comprise entre -3 et +6 % du PIB (pose d’ailleurs la question du modèle allemand, au-dessus de +6 %), clause de non renflouement (no bail-out clause 125 TFUE sur le modèle du Canada ou des Etats-Unis pour prévenir l’aléa moral : ces pays ont refusé de secourir Etats/provinces en difficulté, ex. Californie en 2009 ; a contrario, l’Argentine avait secouru ses provinces endettées fin 80, de nouveau endettées en 2002, conduisant au défaut souverain)
  • MAIS des sanctions jamais appliquées (amende de 0,2 à 0,5 % du PIB peu crédible), de fortes disparités des BPC (DE +7 % PIB, FR -2,5 % PIB, IT et SP +1,5 % PIB)
  • Objectifs Stratégie Europe 2020 : « croissance intelligente, durable et inclusive» : taux emploi 75 %, R&D 3 % du PIB et « 3*20 » écologique mais objectifs jamais atteints (ex. R&D à 2 % du PIB en UE28 et 2,1 % en zone euro : forts écarts entre SE/AT/DK au-dessus de 3 % et SP/IT en-dessous de 1,5 %)

Un budget de l’UE trop restreint

 

  • 145 Md€/an sur 2014-2020 (1 % du RNB de l’UE, soit l’équivalent des recettes de TVA en FR)
  • Un tiers du budget est dédié à éviter le risque d’une spécialisation excessive des économies nationales = fonds de cohésion et structurels financent notamment des projets d’infrastructures et environnementaux (1/3 du budget UE mais seulement 0,4 % du PIB de l’UE28)
    • Critique de la politique de cohésion: Mauvaise allocation des dépenses possible : ex. FEDER effet positif sur le revenu dans seulement 30 % des cas : régions où la qualité des services publics est déjà intermédiaire et où faible biais politique dans l’allocation des ressources publiques (Becker, 2013). A permis rattrapage des nouveaux Etats membres (ex. GR/SP/PT ont rattrapé 85 % du retard entre 1995 et 2005 ; idem pour PO/HU/CZ) mais n’a pas empêché l’accroissement des inégalités entre régions (clubs IDF / Flandres / Hesse / Bavière / Stockholm).

 

  • Financé par des contributions nationales (75 %) et par des impôts (TVA, etc) : la répartition des dépenses dépend donc beaucoup des compromis politiques conclus entre les financeurs, càd les Etats
  • Dimension redistributive assumée : pays contributeurs nets (FR -9 Md€, AL -16 Md€) et bénéficiaires nets (PT +4Md€, PO +12 Md€, GR +5 Md€)

 

 

Comment la zone euro pourrait-elle devenir optimale ?

 

  • Comment assurer l’optimalité d’une zone monétaire ?
    • Convergence des revenus grâce aux gains de productivité (Barro & Sala i Martin, 1995 : rattrapage du niveau de vie du sud des USA vs. nord entre 1880 et 1980 par l’éducation) => Seules ES et PT connaissent un rattrapage depuis 2009
    • Des transferts budgétaires permanents (dépenses fédérales US = 22% PIB) => Le budget de l’UE ne représente que 1% du RNB => L’Euro reste une « monnaie incomplète » (Aglietta)
  • Or le fort découplage des taux réels des prêts bancaires entre Nord et Sud de l’UEM (7 % en GR / PT) rend la politique monétaire inopérante.
  • Par ailleurs, la mobilité du facteur travail reste insuffisante (Feldstein, 1997) : facteurs économiques et culturels + disparités démographiques
  • Enfin, faible qualité des investissements et déformation de l’économie vers des secteurs à productivité faible (services aux ménages, distribution, désindustrialisation)

=> La sous-optimalité de l’euro explique les gains de productivité faibles +0,5 %/an en 2015 vs. +2 % en 1995 et une croissance potentielle proche de 1 % vs. 2,4 % en 1998 (Artus, 2015)

 

Faut-il un budget de la zone euro ?

 

  • Rapport Von Rompuy (2012) : une capacité budgétaire contra-cyclique (en dépenses et en recettes) pour amortir les chocs asymétriques au sein de la Z€ => ce qui induit une capacité d’emprunt (d’où une révision des traités de l’UE ou un traité intergouvernemental ad hoc)
  • Plusieurs options possibles :
    • Note CAE #29 « Quelle union budgétaire pour la zone Euro ? » (2016) : un budget de la zone euro devrait essentiellement assurer une fonction de stabilisation macroéconomique pour améliorer la résilience de la zone (stabilisateurs automatiques), mais pas une fonction redistributive (condition d’acceptabilité politique pour le Nord) ou de financement des biens publics (ne répond pas à la problématique de sous-investissement en zone euro du fait des dettes nationales : -2 points de PIB/an depuis la crise).
    • Note CAE #3 « Compléter l’euro » (2013) : Pour une assurance-chômage européenne (1 % du PIB de la zone euro) avec un taux de remplacement à 20% (les Etats peuvent ensuite compléter, comme aux Etats-Unis). Ceci implique des transferts permanents vers les pays dont le chômage est supérieur à son taux naturel (fonction redistributive et non seulement de stabilisation). Condition politique : contractualisation « mécanismes de solidarité contre réformes structurelles » pour éviter le risque d’aléa moral. Pas de compromis politique à ce stade mais avancées franco-allemandes (déclaration de Meseberg en 2018).
    • Solution plus ambitieuse : financement de biens publics à l’échelle de la zone euro pour stimuler la croissance potentielle (infrastructures, formation, recherche), avec une fonction d’allocation des ressources (financée par des recettes pérennes = pourcentage plancher d’impôt harmonisé sur les sociétés, taxe sur les transactions financières, taxe sur les GAFAM, fiscalité sur le carbone) et un volet de stabilisateur automatique activable en cas de choc asymétrique (assurance-chômage).

 

Faut-il dévaluer l’euro ?

 

  • La politique de change de la Banque centrale européenne
    • Objectif secondaire de la BCE dans les traités (l’objectif principal à l’art. 127 TFUE étant la stabilité des prix)
    • Entre 1999 et 2008, une appréciation par rapport au dollar (de 1,18 à 1,60 avant la crise). Depuis la présidence de M. Draghi (2012), objectif de déprécier sous 1,35 $ (aujourd’hui 1,1 $)
    • Selon l’OFCE, une baisse de 10 % du cours de l’euro par rapport au dollar induit une hausse de 10 % des exportations de la zone euro (soit +0,2 % du PIB en année N puis +0,5 % en années N+1 et N+2 France selon le modèle Mesange de la DG Trésor en 2017 ; effets induits sur l’emploi +77 000 en N+2 et le solde public -0,3 point de PIB en N+2)
      • Effet de revenu: un euro faible augmente le prix des importations, donc une hausse des prix de production (notamment en cas d’intrants énergétiques), qui se répercute sur les marges des entreprises importatrices et/ou le pouvoir d’achat des consommateurs
      • Effet de substitution: un euro faible diminue le prix des exportations, ce qui accroît leur volume et améliore les marges des entreprises exportatrices
    • Deux effets pour déterminer à qui profite la dépréciation de l’euro :
      • L’élasticité-prix des exportations: plus elle est élevée (0,6 pour la France selon Ducoudré et Heyer, 2014 contre 0,3 pour l’Allemagne), plus une dépréciation du taux de change accroîtra la demande extérieure adressée aux exportateurs
      • La répartition sectorielle des exportations: en l’occurrence, une dépréciation de l’euro profite surtout à l’Allemagne car c’est le pays qui exporte le plus hors zone euro (33 % des machines et équipements électroniques produits en UE : spécialisation de gamme réussie). Pour les pays qui exportent peu hors zone euro, une dépréciation du taux de change renchérit essentiellement le coût des matières premières importées (c’est aussi le cas en France dans les secteurs qui comptent des intrants énergétiques).

 

Faut-il sortir de l’euro ?

 

  • Les avantages d’une sortie de la zone euro (art. 50 TFUE ?)
    • Retrouve flexibilité de la politique monétaire : idée d’une zone Nord et Sud (Saint-Etienne, 2012)
    • Gains de compétitivité-prix : ex. -75 % peso ARG en 2002, -50 % couronne ISL en 2008. Pertinent quand économie spécialisée (Argentine dans l’agro-alimentaire) => dans le cas, la balance courante s’améliore (+17 pts PIB en Islande entre 2008 et 2011)
    • Dans le cas français, une amélioration de la compétitivité-prix de 10 % par rapport aux pays de la zone euro (scénario de sortie unilatérale puis dévaluation de 10 %) améliorerait le PIB de +0,9 % en N+2, soit 129 000 créations d’emplois (OFCE, 2014). MAIS il est peu probable que l’euro survive politiquement à un Frexit.
  • Les scénarios de sortie
    • Grexit évoqué en 2012 : aurait nécessité la limitation des retraits bancaires et le contrôle des capitaux pour éviter une fuite de l’épargne (Krugman : ex. de la scission République Tchèque / Slovaquie)
    • Sortie de l’Allemagne (théorique) : appréciation du Deutschemark de 25 % => entrée de capitaux mais aussi appauvrissement des épargnants qui ont investi dans les pays périphériques
    • Sortie des pays du Sud = baisse de 10 % des exportations allemandes (récession)
  • Les risques d’une sortie
    • Alourdissement du poids de la dette libellée en ancienne monnaie après dévaluation
    • Baisse de la valeur de l’épargne des ménages et des entreprises à la hauteur de la dévaluation qui suit la sortie
    • Représailles douanières des anciens pays de la zone => diminution du commerce international (OFCE, 2019: paradoxalement, un éclatement de la zone euro accentuerait les incitations à la concurrence fiscale et aux dévaluations monétaires => réformer l’euro reste donc préférable à sortir de l’euro)

=> Arbitrage économique entre les coûts d’un maintien de la zone euro et les coûts de sa sortie (ex. l’Allemagne a investi 22 Md€ de fonds propres dans le Mécanisme européen de stabilité vs. 125 Mds de dépenses sociales annuelles).

 

Faut-il plus d’intégration économique ?

 

Faut-il une intégration économique de style fédéral avec un « cœur de la zone Euro » plus homogène ? (Europe des Six)

Les faits stylisés montrent que selon une série de critères, cette zone euro des Six ne serait pas plus viable (niveaux de revenus, de coûts salariaux unitaires, spécialisations productive, choix de fiscalité et de protection sociale) :

  • Les coûts salariaux unitaires et salaires minimums sont voisins => plutôt favorable à la mobilité du facteur travail
  • Mais l’Italie a un revenu par habitant plus faible et les gains de productivité sont plus faibles en Allemagne et en France => les cycles économiques ne sont pas synchronisés
  • Les préférences collectives divergent : la pression fiscale et l’emploi public sont plus élevés en France et en Belgique, tandis que les cotisations et prestations sociales sont très basses aux Pays-Bas
  • La France et l’Italie se désindustrialisent (déficit BPC), tandis que de forts écarts demeurent sur les performances des systèmes éducatifs (DE, AT, NL, BE « bons élèves » vs. FR, IT « mauvais élèves »)

=> Une zone Euro réduite à un cœur de six pays ne serait toujours pas optimale, sauf mécanisme d’investissement commun et synchronisation rapides des cycles économiques (on en revient à la discussion sur le budget et la gouvernance de la zone euro)

De Grauwe (2011) : c’est bien la gouvernance de la zone euro qui pose problème (pas de prêteur en dernier ressort, pas de monétisation des dettes, pas de budget fédéral) et la rend vulnérable à la volatilité des marchés financiers.

 

Faut-il monétiser les dettes publiques ?

 

Partage des risques (fédéralisme budgétaire) ex. certains Etats US ont reçu env. 10 % de leur PIB sur 20 ans (Alabama, Louisiane, Nouveau-Mexique, Mississipi, etc.) mais implique une volonté politique (Alesina, 2004) :

  • Delpla & Von Weizsäcker (2010) : Création d’Eurobonds pour mutualiser la « dette bleue » (jusqu’à 60 % du PIB, les Etats étant responsabilités sur le surplus de dette publique). Placés dans un fonds de rédemption avec taxes affectées pour un amortissement sur 25 ans (modèle de la CADES en France).
  • Selon Bénassy-Quéré (2011), la création de titres de dette européenne permettrait de créer un actif de réserve alternatif au dollar et un marché liquide attractif pour les investisseurs (liquidity premium : réduit le taux d’emprunt moyen) mais elle impliquerait une hausse des taux pour les pays du Nord (pour converger vers un taux moyen)
  • Solution alternative (Berglof, 2013) : Eurobillsmutualisation d’emprunts uniquement à court terme en cas de panique pour lutter contre les phénomènes de flight to quality
  • Solution de compromis jusqu’ici retenue : restructuration des dettes des pays éligibles au Mécanisme européen de stabilité sans création d’Eurobonds. Préférable à un défaut souverain (ex. Grèce) car coûteux à court terme avec le risque de mesures de rétorsion (ex. confiscation d’actifs à l’étranger) ainsi qu’à moyen terme avec une perte de réputation (prime de risque à l’avenir).

 

L’avenir de l’euro est autant soumis à des arbitrages économiques qu’à des considérations d’ordre politique : quel équilibre entre responsabilité et solidarité ? quelle place respective pour le budget européen et les budgets nationaux ? quelle articulation entre harmonisation socio-fiscale et préférences nationales ? La science économique peut éclairer quant aux conséquences des différents scénarios possibles mais elle n’a pas vocation à se substituer à la décision politique.

Industrie et compétitivité

1. Les notions

Industrie et désindustrialisation

  • Selon l’INSEE, relèvent de l’industrie les activités économiques qui combinent des facteurs de production (installations, approvisionnements, travail, savoir) pour produire des biens matériels destinés au marché.
    • L’évolution comparée des trois secteurs des économies avancées (agriculture, industrie, services) met en évidence plusieurs étapes du développement : phase d’expansion du secteur secondaire (production de biens par la transformation de matières premières), puis du secteur tertiaire (Rostow, 1960)
    • en France : la VA industrielle a progressé de +6 %/an entre 1950 et 1974 vs. seulement +1,4 %/an entre 1974 et 2014 (+2,4 %/an pour les services marchands dans la même période)

 

  • La désindustrialisation consiste en la diminution de la part de l’industrie dans le PIB et dans l’emploi total.
    • La désindustrialisation est un phénomène commun à l’ensemble des économies avancées (diminution de 19,5 % à 16,5 % de la part de l’industrie dans le PIB mondial entre 1998 et 2008), à l’exception notable de l’Allemagne (24 % du PIB) ;
    • Elle concerne plus particulièrement la France, où la valeur ajoutée de l’industrie est passée de 23 % à 11 % du PIB entre 1970 et 2014 et où l’industrie employait 26 % des actifs en 1980 contre 12 % aujourd’hui (-2,5 M d’emplois). Les parts de marché de la France ont reculé notamment depuis les années 2000, passant de 13 % à 9 % dans l’UE et le solde du commerce extérieur est déficitaire de plus de 3 points de PIB
    • Ce recul de l’industrie en France s’illustre également par une compétitivité dégradée liée au prix des produits (coûts salariaux unitaires supérieurs de 15 % à la moyenne de la zone euro en 2017), mais aussi à leur qualité (élasticité-prix de la demande de biens d’exportation français 3x supérieure à celle des biens allemands)
    • Enfin, l’effort d’innovation en France apparaît insuffisant du fait des capacités d’autofinancement dégradées des entreprises françaises (1,22 robots pour 100 emplois industriels en France contre 2,5 en Allemagne), ce qui accroît l’écart de compétitivité hors prix avec les concurrents de la France et rend ses exportations vulnérables à une appréciation de l’euro (effet multiplicateur de -0,6 entre le cours de l’euro et le volume d’exportations selon le CEPII, 2012)

 

  • Les causes de la désindustrialisation sont liées à des évolutions structurelles et leurs conséquences sont négatives au plan macro-économique :
    • Selon la Banque de France (2017), cette désindustrialisation est d’abord liée au progrès technique, aux évolutions de la structure de la demande globale (loi d’Engel, 1857 : élasticité-revenu de la demande de services) supérieure à 1 et, marginalement, à l’ouverture commerciale (mentionner également l’incidence comptable de l’externalisation des services auparavant assurées par les entreprises industrielles) ;
    • Il peut également être avancé que le recul industriel est lié à une spécialisation géographique et sectorielle sous-optimale des exportations françaises, concentrées vers les pays de l’UE (66 %) et peu tournées vers les économies émergentes en Asie (12,5 %) ;
    • Cette désindustrialisation induit des conséquences sur la croissance potentielle selon le modèle de Solow (1956) : les gains de productivité étant plus élevés dans le secteur progressif (Baumol, 1966), la productivité globale des facteurs est ralentie par le déclin industriel ;
    • Elle entraîne également un accroissement du taux de chômage d’équilibre via les effets d’hystérèse (Blanchard, Summers, 1986) liés aux fermetures de sites industriels (pertes de capital physique et humain). Cette incidence négative est accrue par le défaut d’appariement entre offre et demande de formation en France, ainsi que par une mobilité géographique et intersectorielle insuffisante de l’offre de travail (Duhautois, 2005). La diminution du taux d’emploi est plus marquée dans les zones en reconversion industrielle et les secteurs atrophiés (ex. division par 2 du nb d’emplois dans le textile sauf sur les produits à haute valeur ajoutée comme la maroquinerie) mais peut aussi exister dans les services (effet de second tour) du fait de l’effet multiplicateur des emplois industriels (*3 à 4).

 

Le rôle de l’investissement dans la croissance économique

  • L’investissement est l’augmentation de la capacité productive par l’acquisition ou le remplacement d’équipements.
    • En comptabilité d’entreprise, la FBCF accroît le stock de capital productif en quantité et/ou en qualité.
    • La décision d’investir s’apprécie sur le moyen terme car il existe un délai avant l’accroissement effectif de la capacité productive. Deux conditions pour investir (loi de Wicksell, 1898) :
      • Confiance en des débouchés pérennes (« les carnets de commandes sont remplis»)
      • Profitabilité positive (profitabilité = rentabilité – taux d’intérêt nominal, càd que l’on n’investit davantage si la rentabilité est élevée et si les taux d’intérêt sont faibles)
      • C’est pourquoi la contribution de l’investissement à la croissance est particulièrement volatile : Ex. -12 % en 2009 ou formation de la bulle Internet par surinvestissement fin des années 1990 car la profitabilité anticipée des NTIC était surévaluée (effet Averch-Johnson, 1962). Après l’éclatement de la bulle, les entreprises provisionnent des dépréciations d’actifs et remboursent leurs dettes => contraction de l’investissement qui justifie l’intervention publique
      • Aujourd’hui, reprise du cycle d’investissement depuis 2015 car faibles taux d’intérêt, redressement des marges (40 % en 2016 pour les entreprises industrielles en France car baisse du prix des intrants et des CSU) et dépréciation de l’euro (-20 % par rapport à l’USD depuis 2015). Selon le cabinet Trendeo, les créations de sites industrielles ont été supérieures aux fermetures en France en 2017 (+25), ce qui constitue une première depuis la crise de 2008-2009.
    • Les leviers d’investissement sont multiples pour une entreprise : autofinancement, augmentation de capital (levée de fonds et/ou endettement (si accès au crédit, càd hors credit crunch ou flight to quality).

 

  • Les quatre catégories d’innovation :
    • une innovation de produit correspond à l’introduction d’un bien ou d’un service nouveau ou sensiblement amélioré sur le plan de ses caractéristiques ou de l’usage auquel il est destiné. Cette définition inclut les améliorations sensibles des spécifications techniques, des composants et des matières, du logiciel intégré, de la convivialité ou autres caractéristiques fonctionnelles.
    • une innovation de procédé est la mise en œuvre d’une méthode de production ou de distribution nouvelle ou sensiblement améliorée. Cette notion implique des changements significatifs dans les techniques, le matériel et/ou le logiciel.
    • une innovation d’organisation est la mise en œuvre d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de la firme ;
    • une innovation de marketing est la mise en œuvre d’une nouvelle méthode de commercialisation impliquant des changements significatifs de la conception ou du conditionnement, du placement, de la promotion ou de la tarification d’un produit.

Compétitivité et attractivité : deux notions voisines

  • La compétitivité est la capacité du secteur productif à répondre à la demande intérieure et étrangère tout en offrant aux résidents un niveau de vie croissant et soutenable.
    • Déterminants de la compétitivité-prix : CSU, taux de marge (EBE/VA), prix de l’énergie et du foncier, taux de change
    • Déterminants de la compétitivité hors-prix : niveau de gamme, qualification de la main-d’œuvre, qualité des infrastructures
    • MAIS les deux approches sont liées (faible compétitivité-prix = faibles marges = moindre investissement = moindre innovation). C’est pourquoi les stratégies de montée en gamme commencent par le rétablissement des marges des entreprises (ex. France depuis le CICE).

 

  • L’attractivité est la capacité à attirer des activités nouvelles et des facteurs de production mobiles (K et L qualifié) sur le territoire afin d’améliorer compétitivité et niveau de vie.
    • Déterminants de l’attractivité : environnement fiscal, qualité des infrastructures, qualification de la main-d’œuvre, prix et droit du travail
    • La France reçoit 17 % des IDE à destination du marché UE (dont 2/3 depuis des partenaires UE et 19 % depuis les USA), derrière l’UK mais devant l’AL. 20 k entreprises étrangères emploient 2 M de salariés en France et représentent 27 % de la R&D.

 

2. Les outils

 

Les politiques industrielles sectorielles et horizontales

  • La politique industrielle désigne l’ensemble des actions visant à modifier l’allocation des ressources dans le secteur productif par rapport à celles qui résulteraient spontanément des mécanismes de marché.
    • Les justifications de la politique industrielle font appel à des conceptions différentes du rôle de l’intervention publique dans l’économie :
      • Internalisation des externalités positives : R&D publique (effet multiplicateur de 0,9 sur la R&D privée selon Falk, 2004), incitations fiscales, investissement dans le K humain, y compris par la concentration spatiale des activités ex. formation de clusters (Krugman, 1991) => « Etat stratège»
      • Correction des imperfections de marché et des asymétries d’information (ex. facilitation de l’accès au crédit), levée des barrières à l’entrée et lutte contre la formation de monopoles naturels pour éviter les trappes à sous-investissement => « Etat mécano »
      • Sauvegarde d’industries stratégiques en difficulté ou en reconversion => « Etat brancardier»

 

  • Deux approches de la politique industrielle : sectorielles (« picking the winners») mais information aussi imparfaite pour les décideurs publics : Rodrik, 2005 : le choix des projets par l’Etat stratège peut être capturé par des intérêts privés et/ou myopes sur la rentabilité des projets) horizontales (corrections des imperfections de marché)
    • Traditionnellement, les politiques industrielles s’organisaient de manière verticale pour protéger (List, 1837) et/ou financer le développement de secteurs d’activité. MAIS les politiques industrielles ont progressivement adopté une approche horizontale établissant un environnement fiscal et réglementaire favorable au développement des entreprises industrielles dans le contexte de l’ouverture commerciale et après l’échec de certains projets :
      • Gropp, 2014 : un système de garanties publiques des prêts octroyés par les banques commerciales accroît le risque des crédits : ex. en Allemagne fin 2001 système de garanties comparable à des subventions indirectes faussant la concurrence et débouchant sur une allocation inefficiente du crédit => les banques ont changé de comportement lorsque leurs prêts n’ont plus été garantis, accordé des crédits moins risqués et de moindre volume afin de concentrer leurs ressources sur les projets considérés comme les plus performants)
      • Martin, 2008 : faible utilité des pôles de compétitivité (ex. de politique sectorielle) : 71 pôles en 2016, ont bénéficié de 2,3 milliards d’euros d’aides publiques. Certes, les études montrent qu’un doublement du nombre d’emplois sur un même territoire se traduit par des gains de productivité de l’ordre de 3 % à 8 % [Rosenthal, 2004] mais les mouvements de concentration territoriale des entreprises se réalisent spontanément (ex. chimie, automobile). Par ailleurs, certains secteurs peuvent retirer même un avantage de la dispersion géographique (ex. industrie du plastique) pour se localiser dans des zones d’emploi où les coûts de la main-d’œuvre sont plus faibles.
      • Duranton, 2011 : autre critique des politiques sectorielles : ce sont surtout les entreprises en déclin qui bénéficient de l’intervention des pouvoirs publics via la subvention et la sélection de projets spécifiques qui n’améliorent pas les performances des entreprises. D’où une préférence aujourd’hui pour les politiques horizontales.
    • Un exemple de politique horizontale : le soutien fiscal à l’innovation, notamment à travers le CIR (6 Md€/an, avec un impact de +0,3 PP sur la dépense de R&D selon la DG Trésor). MAIS la R&D française stagne à 2,2 % du PIB contre un objectif à 3 % dans la Stratégie de Lisbonne.

 

Le modèle allemand : compétitivité hors-prix

  • Une montée en gamme et une spécialisation réussies
    • La compétitivité prix, élément déclencheur : modération salariale (+2 % pouvoir d’achat des salariés entre 1991 et 2011 vs. +26 % du PIB/hab) => la croissance absorbée par les exportations (29 % du PIB en 1991 vs. 50 % en 2011)
    • Effort de R&D proche de l’objectif de la stratégie de Lisbonne (2,9 % vs. 3 % du PIB), forte capacité d’innovation pour repousser la frontière technologique (70 brevets triadiques déposés par million d’habitants vs. 50 aux USA et 35 en FR) et tournant de la robotisation : 19 000 achats par an (vs. 4 600 IT et 3 300 FR)
    • La différenciation par la qualité permet aux entreprises allemandes de garder une latitude dans la fixation de leurs prix de vente (faible élasticité-prix des exportations : 0,3 vs. 0,9 en FR) => améliore leur profitabilité, ce qui leur permet de maintenir un niveau élevé d’investissement (33 % de plus que la France) et donc un haut niveau de gamme (cercle vertueux)

 

  • MAIS le modèle de compétitivité allemand tient aussi à d’autres facteurs (Duval, 2012)
    • Tissu industriel (Mittelstand) et concentration spatiale des activités (350 000 PME actives à l’exportation vs. 100 000 en France) : héritage historique du fédéralisme (7 grandes métropoles avec plus de 1 million d’hab.) et de l’absence d’empire colonial
    • Faibles coûts de l’immobilier (8,3 € le m² à Berlin ou 14,2 € à Munich vs. 24,8 € à Paris ; +10 % entre 2000 et 2010 vs. +100 % en FR et part des ménages locataires en métropole supérieure à 67 %), vieillissement de la population active (effet Noria) et modèle de codétermination dans l’entreprise ont rendu possible la modération salariale

 

La réindustrialisation américaine : compétitivité prix

  • Entre 2010 et 2012, 500 000 emplois industriels créés liés à deux facteurs de compétitivité-prix (+35 % par rapport à l’UE) :
    • Compression des CSU : baisse de -4 % des salaires réels entre 2008 et 2012, distorsion de la répartition de la VA au profit du facteur K (+3 PP), réduction de l’écart des CSU avec le Mexique ou la Chine (moins de délocalisations)
    • Diminution du prix des intrants énergétiques : pic d’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en 2012 (2/3 de la production de gaz vs. 2 % en 2002) => baisse de moitié du prix du gaz naturel (3x inférieur aux prix UE et JAP car le gaz n’est pas un marché mondial contrairement au pétrole)

 

  • Fin des déficits jumeaux aux USA ? (Morris, 2013) Redeviennent exportateur net de produits pétroliers depuis 2012 : +15 Md$ en 2016 (première fois depuis 1949)
    • MAIS les prix de l’énergie constituent aussi un signal-prix pour orienter l’offre et la demande vers des sources d’énergie renouvelables
    • Par ailleurs, la distorsion de la répartition de la VA accroit les inégalités de revenus (Stiglitz, 2012) => problématique de l’augmentation du salaire minimum fédéral (+35 % sous Obama)
    • Enfin, on n’observe pas de réindustrialisation des secteurs fortement intensifs en travail, ex. textile partis vers Vietnam & Indonésie => faible incidence sur l’emploi industriel (Artus, 2014) : -80k emplois industriels en 2016. Et 2/3 des relocalisations dans les Etats du Sud (not. Texas), alors que la région des Grands Lacs a perdu plus de 4 PP de VA industrielle entre 2000 et 2014 (redistribution géographique).

Les dévaluations internes dans l’UEM

  • Dans les pays périphériques, la compression des CSU (+30 % entre 2000 et 2009 vs. +5 DE, puis -5 % SP et +5 % IT entre 2009 et 2015) a permis de réduire les déficits commerciaux (SP et IT : excédent de 1,5 % PIB) mais n’a pas encore entrainé une montée en gamme des produits exportés (donc forte sensibilité au prix)
    • Dévaluation interne = ensemble de mesures qui visent à modifier les prix relatifs afin d’améliorer la compétitivité d’un pays dans le cadre d’un régime de change fixe. Ces mesures peuvent porter sur les politiques du marché du travail, des biens et/ou sur la fiscalité.
    • En outre, ces politiques sont très coûteuses en emploi (pic du chômage à 26 % en SP et à 12 % en IT en 2013), cf. CEPII, 2012 (« Peut-on dévaluer sans dévaluer ? »)

 

  • En France, la politique de restauration des marges (EBE/VA) des entreprises peine encore à produire ses effets
    • Allègements des cotisations employeurs sur les bas salaires (jusque 1,6 SMIC), création du CICE (jusque 2,5 SMIC), Pacte de responsabilité (baisse des cotisations familiales jusque 3,5 SMIC, suppression de la C3S), baisse de l’IS à 25 % à horizon 2022 ~ 45 Md€ d’allègements de PO
    • Selon l’OFCE (2016), le CICE explique une baisse de -2,8 % des coûts salariaux unitaires dans l’industrie. Légère remontée des marges à 31,9 % de la VA en 2016 (+2 PP par rapport à 2014) mais toujours inférieures au niveau d’avant crise (32,7 % en 2007) => remontée du taux d’investissement (23,3 % de la VA en 2016 vs. 21,5 % en 2009)
    • Toutefois, le CICE s’étend jusqu’à 2,5 SMIC et ne concerne pas l’ensemble de la masse salariale des entreprises industrielles (il avait aussi un objectif d’emploi justifiant ce ciblage sur les bas salaires : env. 100 000 emplois créés ou sauvegardés en 2013-2015) ; par ailleurs, il ne bénéficie que pour moins d’un tiers aux secteurs exposés à la concurrence internationale (France Stratégie, 2017) ;
    • Mais ces politiques demeurent limitées parce qu’elles se concurrencent (jeu à somme nulle)

 

3. Les défis

 

A quoi ressemblera l’industrie du futur ?

  • Rapport du CAS sur les secteurs de la nouvelle croissance : une projection à horizon 2030 (2012) : le potentiel d’innovation technologique n’est pas épuisé (ex. médicaments de biosynthèse, soins électromagnétiques, création numérique, technologies environnementales, etc).
  • « 3ème révolution industrielle » = économie décarbonée et smart grids: utilisation des nouvelles technologies au service d’objectifs environnementaux [Rifkin, 2012]
  • Enjeux de l’usine du futur : lignes de production reconfigurables pour gagner en agilité (ex. chez Sogefi), fabrication additive en production (ex. impressions 3D chez Siemens), utilisation de robots intelligents, d’objets connectés et de technologies de réalité augmentée (ex. vérification des chantiers chez Airbus), insertion dans une logique d’efficience environnementale et d’économie circulaire (ex. chez Schneider), problématiques de bien-être et de qualification continue des salariés

 

Peut-on réindustrialiser la France ?

  • La simplification de l’environnement fiscal et réglementaire français, ainsi que de nouveaux investissements à l’échelle européenne permettraient d’enrayer et/ou d’atténuer les incidences négatives de la désindustrialisation :
    • S’agissant des dispositifs sociaux fiscaux (CICE, Aubry-Fillon, PRS), leur unification autour d’un allègement général des cotisations employeurs dégressifs de 1 à 3,5 SMIC, ainsi qu’une réduction de l’IS à 25 % à horizon 2022 (soit la moyenne UE) permettrait d’achever la stratégie de compétitivité-prix déjà entamée ;
    • La simplification du recours au chômage partiel (passage d’un régime d’autorisation administrative à un régime de déclaration) et la décentralisation des minima de branches au niveau des accords d’entreprise renforceraient la flexibilité interne des entreprises industrielles et la résilience de l’emploi en bas de cycle d’activité pour prévenir de futurs effets d’hystérèse ;
    • Au-delà, il conviendrait également de renforcer l’efficacité de l’appareil de formation français, qui participe également de ces effets d’hystérèse : y contribueraient un pilotage des filières d’apprentissage par les branches professionnelles et les régions, ainsi qu’un meilleur ciblage des financements de la formation professionnelle vers les demandeurs d’emploi (qui bénéficient aujourd’hui de 10 % seulement des financements) ;
    • Enfin, à l’échelle européenne, de nouvelles politiques industrielles verticales pourraient être financées (transitions environnementale et numérique) par la montée en puissance de nouvelles ressources propres à compter de 2020 (fiscalité carbone, taxe sur le chiffre d’affaires des GAFA, etc.) : en parallèle, la mise en œuvre de mesures protectionnistes temporaires pourrait également être envisagée (ex. préférence européenne pendant 5 ans pour l’accès des entreprises aux données publiques), en particulier si les Etats-Unis maintiennent leur décision de rehaussement de droits de douane.

 

La colocalisation : une stratégie d’avenir ?

  • Constat d’une mauvaise spécialisation géographique des exportations françaises (seulement 10 % vers l’Asie du Sud-Est alors que la Banque mondiale prévoit une croissance de 6,1 % dans cette zone en 2018)
    • Or les secteurs qui ont résisté sont les plus intégrés à l’international (ex. aéronautique +87 % production en volume entre 2000 et 2016) ou à haute valeur ajoutée (ex. produits pharmaceutique +72 % sur la même période) ; à l’inverse, les branches de basse technologie ont connu une forte désindustrialisation (ex. textile -51 %)
  • Question aujd : faut-il étendre cette stratégie au secteur automobile ? (ex. usine Renault à Tanger) : imitation du modèle allemand d’intégration des chaines de valeur en Europe centrale et orientale => externalisation des étapes du processus industriel les plus intensives en travail pour réaliser des gains de compétitivité-prix [Sinn, 2006: 4x plus d’importations de composants industriels par l’Allemagne depuis l’Europe de l’Est par rapport à la France]. Cette interdépendance génère des gains de profitabilité pour les entreprises, qui peuvent maintenir les sites nationaux [Pfaffermayr, 1994]
  • La France pourrait mener une telle politique de colocalisation avec les pays du Maghreb (seulement 1,7 % des IDE français) : faibles coûts de transport, proximité linguistique de la main-d’œuvre, stabilité géopolitique hors Tunisie. MAIS risque d’un effet négatif à court terme sur l’emploi national industriel.

Faut-il des « champions » industriels européens ?

 

  • Le modèle d’Airbus est-il duplicable ?
    • Né en 2000 du rapprochement du français Aérospatiale Matra, de l’allemand DASA et de l’espagnol CASA : le groupe réalise un CA de 67 Md€ en 2016, avec 133k salariés et 1 500 commandes/an (vs. 1 350 pour Boeing)
    • Les champs possibles pour de « nouveaux Airbus » sont nombreux (transport ferroviaire, automobile, défense, télécoms, chantiers navals) mais des freins qui s’y opposent également :
      • pas de consensus en Europe sur les politiques industrielles (choix des services notamment financiers en UK et aux NL)
      • une logique de concurrence entre les champions nationaux existants qui rend difficile la conclusion d’alliances (ex. Alstom Siemens dans l’énergie et le ferroviaire => rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electrics en 2014 ; idem échec du rapprochement France Télécom – Deutsche Telekom en 1999)
      • un enjeu de répartition des sites, des emplois et équilibre des pactes d’actionnaires (ex. opposition de l’Allemagne à la fusion BAE – EADS en 2012 ; s’agissant d’Airbus : sites à Toulouse, Hambourg, Getafe, etc.)
      • des choix stratégiques divergents au niveau micro-économique (ex. modèles différents de production d’énergie)
    • Les freins à la création de champions industriels européens (« Airbus de l’énergie ») sont plus d’ordre politique que juridique (droit de la concurrence de l’UE)