Les enjeux économiques de la protection sociale

 

Les enjeux micro-économiques de la protection sociale

 

  • Les politiques de redistribution divisent par trois les inégalités de revenus en France (écart de 20 à 6 entre les 2 déciles extrêmes). Dû pour les 2/3 aux prestations sociales et pour 1/3 à la fiscalité. Coefficient GINI relativement faible (0,30 contre 0,33 en Italie ou 0,36 au Royaume-Uni) ;
  • Les minima sociaux réduisent l’intensité de la pauvreté mais pas son niveau, qui est surtout lié au marché du travail (ex. 8,9 M de pauvres en 2015, soit +1 million par rapport à 2008 du fait de la crise économique) ;
  • MAIS interrogations sur l’efficience de ces dépenses : la socialisation de certains risques induit-elle une déresponsabilisation des agents économiques ? (ex. 70k morts du tabac/an en France et coût sanitaire de 26 Md€/an selon Kopp, 2015) ;
  • Par ailleurs, la protection sociale modifie les préférences individuelles : est-ce le rôle de la puissance publique ? (ex. les trappes à inactivité modifient la fonction d’offre de travail et conduisent à un équilibre sous-optimal du marché du travail).

Les enjeux macro-économiques de la protection sociale

 

  • L’existence et le développement de la protection sociale permet de soutenir les gains de productivité (Wheeler, 1980 : le développement du capital humain via l’éducation ou la santé contribue positivement à la croissance du PIB) ;
    • de la formation professionnelle continue : un effort moyen de 11h de formation/an et par salarié génère un gain de productivité de +1 %, récupéré entre 30 % et 50 % par les travailleurs sous la forme de revalorisations salariales (Crépon, 2009) ;
  • Elle permet également de réduire le taux d’épargne de précaution des ménages et mieux allouer les ressources au sein d’une économie nationale ;
    • dépenses de protection sociale en Chine 9 % du PIB et taux d’épargne des ménages à 37 % du RDB;
  • MAIS le coin socio-fiscal modifie la croissance potentielle et le chômage naturel (coût total d’un travailleur pour une entreprise au-delà du salaire net: permet une première mesure de la compétitivité-prix : en 2015, il explique 40 % des coûts salariaux en France 35 % en Allemagne et 25 % au Royaume-Uni) ;
  • En économie ouverte, un modèle de protection sociale dont le financement est assis sur les facteurs de production mobiles (ex. cotisations employeurs) apparaît moins soutenable et génère des effets d’éviction (moindre compétitivité-prix) ;
  • D’où des interrogations sur une modification de la structure du financement de la protection sociale (ex. développement de la CSG, « TVA sociale », montée en charge de la fiscalité environnementale) ;
    • S’il n’existe pas d’assiette miracle, la fiscalité environnementale est la plus favorable à la croissance potentielle à long terme (selon une étude de la DG Trésor en 2011, une hausse de la taxe carbone couplée à une réduction des cotisations sociales et un renforcement du CIR aurait un impact de +0,6 point sur le PIB et de +125k sur l’emploi à horizon 10 ans).

 

Croissance et inégalités

 

  • Le lien entre croissance et inégalités: S. Kuznets (1955) : courbe en cloche.
    • Dans un premier temps, l’accumulation de capital infrastructurel et naturel conduit à une répartition des richesses déformée en faveur des détenteurs d’épargne. Puis, l’accumulation de capital humain réduit les inégalités.
    • Mais Piketty (2005) : réduction pas naturelle (impôts et événements inattendus affectant le capital : guerres, inflation). En France, les transferts fiscaux, sociaux et en nature réduisent le rapport interdécile (rapport entre le niveau de vie des 10 % les plus riches et celui des 10 % les plus pauvres) de 5 (revenus primaires) à 3,5 (revenus après redistribution).
    • Stiglitz (2012) : le Top 1 % détient 20 % des revenus primaires aux USA du fait de la déformation du partage de la valeur ajoute entre capital et travail depuis 1980s : en découlent instabilité financière et moindre mobilité sociale.

=> La croissance ne suffit pas à réduire les inégalités, cela dépend aussi des institutions et de la structure des marchés.

 

  • Théorème de Stolper-Samuelson (1941) : relation positive entre le prix international d’un bien et la rémunération du facteur de production intensif dans sa production => lien entre inégalités et ouverture commerciale (ex. s’accroissent aux USA et se réduisent en Chine : 0,49 -> 0,46 entre 2006 et 2016)
    • Par ailleurs, la distorsion de la répartition de la VA accroit les inégalités de revenus (Stiglitz, 2012) => problématique de l’augmentation du salaire minimum fédéral (+35 % sous Obama).
    • Card, Krueger, 1995 : une hausse du salaire minimum peut augmenter le niveau d’emploi au lieu de le diminuer. Si le salaire minimum est faible et proche des minima sociaux (inférieur au salaire de réserve), une hausse attire de nouveaux travailleurs que les entreprises ont intérêt à embaucher. En revanche, si le salaire minimum est élevé, toute hausse incite les entreprises à se séparer de leurs employés dont la productivité vient d’être dépassée par la nouvelle valeur du salaire minimum.
    • En France, le salaire minimum n’a cessé d’augmenter depuis 1970 (en 2012, le coût moyen du travail au niveau du salaire minimum atteint environ 14 dollars contre 8 dollars aux Etats-Unis) alors qu’aux Etats-Unis, il était plus faible en 2012 qu’en 1970.
    • Kramarz, 2000 : salaire minimum et chômage des jeunes : les personnes rattrapées par le salaire minimum dans les années 1980 ont eu une plus grande probabilité de perdre leur emploi que celles dont le salaire est resté très proche mais n’a pas été dépassé par le salaire minimum.

 

  • Question également en Chine : fortes inégalités (Gini à 0,5) et faible classe moyenne (130 millions d’individus sur une population de 1,5 milliard) : hausse CSU répond à un double rééquilibrage : consommation / investissement (36/50 % PIB) ; demande interne / demande externe (excédent commercial +3 % PIB).

 

Croissance et pauvreté

 

  • Rosenstein-Rodan (1943) : théorie du Big Push : c’est l’accumulation de capital qui permet de sortir de la trappe à pauvreté (notamment après les destructions de 1939-1945 : 20 % du capital immobilier détruit en France)
  • Becker: théorie du capital humain, soutient productivité tout au long de la vie. Ex. accès à l’emploi ou à la formation. Note du CAE « Prévenir la pauvreté par l’emploi, l’éducation et la mobilité » (2017) : l’emploi reste le meilleur moyen de se prémunir contre la pauvreté (divise par 2) ; la qualification reste le meilleur moyen de se prémunir contre le chômage (+ « effet de cicatrice du chômage de longue durée Carcillo, 2015 : durée moyenne 15 mois 8 mois OCDE).
    • Investissement dans la formation également pour les jeunes enfants. Carcillo, 2016 : efficacité programmes en faveur des jeunes enfants (3-4 ans afro-américains défavorisés : Perry Preschool Program dans l’Etat du Michigan depuis 1962 : pour 1 dollar investi, gain de 9,11 dollars pour la collectivité via surcroît de revenus, économies de dépenses publiques police justice). « Piège à pauvreté » : revenu des parents détermine la réussite scolaire et le diplôme, qui déterminent la probabilité d’être en emploi et d’être pauvre.
    • Institut Montaigne (2017) : efficacité ciblage moyens REP/REP+ et notamment dédoublement des classes CP.
    • CAE (2017) : Garantie jeunes, apprentissage, E2C efficaces, à investir. Idem PIC 15 Md€ (plutôt que contrats aidés).

 

  • Pour les pays avancés, un désalignement entre croissance économique et progrès social : Allemagne taux de pauvreté (% de pop dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian) à 16 % vs. 14 % France, notamment hausse pour les chômeurs depuis 2004 (loi Hartz IV a réduit la durée des allocations chômage à 1 an) et indice de Gini à 0,3 (mesure des inégalités).
    • S’agissant de leurs conséquences socio-économiques : le patrimoine médian des ménages médians allemands est 2x plus faible qu’en France + forte hausse des inégalités de répartition (De Grauwe & Yi, 2013) et du taux de pauvreté (de 12 % à 16 % entre 2002 et 2010). Enfin, l’Allemagne compte des faiblesses structurelles (notamment sa démographie et sa natalité : 1,4 enfant/femme)

 

  • Pour les pays émergents, une corrélation entre ouverture au commerce international et réduction de la pauvreté monétaire (52 % en 1980
    22 % en 2010 même si elle a augmenté en valeur absolue : 1,2 Md vs. 1,9 Md).
    Ordre de grandeur : +1 % de croissance dans le monde => 20 M de pauvres en moins

 

Faire face aux incidences économiques du vieillissement démographique

 

  • Baisse de la natalité (ex. INSEE : -7 % en FR depuis 1980) et allongement de l’espérance de vie (+8,5 ans dans la même période) induisent des effets micro- et macro-économiques contrastés (Artus, 2015) :
    • L’inflation décroît avec le vieillissement et le solde extérieur s’améliore car insuffisance de la demande interne (ex. Allemagne)
    • Absence de lien empirique avec l’évolution du taux d’épargne des ménages (≠ théorie du cycle de vie)
    • Pas de diminution de l’aversion au risque ni de l’effort de /R&D et effets contrastés sur les gains de productivité
    • Pas de corrélation avec les prix des actifs (actions, immobilier)
    • => Au total, ralentissement du PIB / tête et impact incertain sur le progrès technique

 

  • Un enjeu de soutenabilité budgétaire
    • La hausse du taux de dépendance global (retraités / actifs) génère une contrainte de financement pour les systèmes de retraite:
      • 3 leviers de réforme des régimes de retraite par répartition (déficit de -0,4 % PIB en 2021 et -0,8 % en 2030 selon le COR, 2017) : taux de cotisation, taux de remplacement, durée de la vie active (piste privilégiée jusqu’ici : soit par le recul de l’âge légal des départs en retraite, soit par l’allongement de la durée de cotisation)
      • Autres pistes : hausse du taux d’emploi des séniors (v. séance sur le marché du travail), amélioration du solde migratoire ou du taux de fécondité
      • Passage à un système de retraites par comptes notionnels : enjeu d’équité (même taux de rendement) et de fluidité dans les parcours professionnels (2,7 régimes de retraite en moyenne / personne), cf. Bozio & Piketty, 2008.
    • Effet inflationniste sur les dépenses de santé (via les ALD : 15 % de la population en 2011 -> 20 % en 2025, cf. Trésor-Eco, 2015) et de dépendance (+1 pt de PIB de dépenses d’ici 2060 selon la DREES)
    • Un enjeu également pour les économies émergentes (ex. Chine : ratio de dépendance 1,3 actif par sénior d’ici 2050 + épargne de précaution trop importante)

Comment retrouver une prospérité partagée ?

Proposition de corrigé par Rayan Nezzar

 

Accroche : la récente transformation dans le budget 2018 de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière a réactivé le débat sur le lien entre croissance et inégalités. La sortie du patrimoine mobilier de l’assiette de l’IFI est en effet présentée, d’une part, comme une incitation à l’investissement productif via une réduction d’impôt d’environ 3 Md€ et, d’autre part, comme un accroissement des inégalités de patrimoine puisque le capital mobilier représente plus de 70 % du patrimoine des 1 % des ménages les plus aisés selon l’OFCE. Cet exemple semble illustrer la théorie d’Okun (1975) selon laquelle les politiques économiques seraient confrontées à un arbitrage entre efficacité et équité : pourtant, les inégalités peuvent également contribuer négativement à la croissance économique.

 

Définitions :

  • Prospérité: désigne un état d’abondance caractérisé par un accroissement de la production et du niveau de vie moyen
  • Prospérité partagée: désigne une répartition équitable de l’accroissement de la production et du niveau de vie moyen ; se mesure notamment à travers l’évolution des inégalités de revenus et de patrimoine. S’oppose à une « prospérité relative », qui désignerait la captation par les déciles de population les plus favorisés de l’accroissement du niveau de vie moyen.

 

Problématisation : la question « comment retrouver… ? » implique que la croissance économique serait devenue plus inégalitaire à la faveur d’évolutions structurelles et conjoncturelles (l’ouverture commerciale, le progrès technique, l’adoption d’une monnaie unique, les conséquences de la crise de 2008, l’évolution des relations entre employeurs et salariés, etc.) et qu’il conviendrait de la rendre inclusive pour des raisons à développer et pour des zones géographiques à définir (probablement au-delà des seuls pays avancés).

1.1. Faits stylisés

  • De manière générale, la politique de redistribution, qui est l’un des trois objectifs de la politique économique (Musgrave, 1959), vise à réduire les inégalités primaires de revenus.
    • En France, les politiques de redistribution divisent par trois les inégalités de (écart de 20 à 6 entre les 2 déciles extrêmes), pour 2/3 du fait des prestations sociales et pour 1/3 de la fiscalité.

 

  • Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, les inégalités de revenu disponible après redistribution, mesurées par le coefficient de Gini, ont progressé de +0,03 point en moyenne entre 1985 et 2013 (+0,06 point aux Etats-Unis, +0,04 en Allemagne et stable en France), malgré une croissance du PIB réel par tête de +65 % dans la même période.
    • Entre 2009 et 2012, 91 % de la hausse du PIB aux Etats-Unis a bénéficié à 1 % des Américains selon Stiglitz, tandis que les 80 % d’Américains les moins riches consommaient 110 % de leur revenu et devaient s’endetter pour maintenir leur niveau de vie, ce qui a contribué à la formation de la bulle du marché immobilier (Rajan, 2010).
    • Cette hausse des inégalités est liée à la déformation de la répartition de la valeur ajoutée en faveur du facteur capital (depuis 1980, la part dans le PIB des profits des entreprises après taxes, intérêts et dividendes a progressé de 5 points dans l’OCDE) et au progrès technique (Verdugo, 2017 : diminution de 8 % de la part des emplois intermédiaires en France depuis 1980).

 

  • Au sein de la zone euro, la reprise économique après la crise de 2008 a été lente et peu inclusive (« prospérité relative »).
    • Le PIB/tête réel n’a retrouvé qu’en 2015 son niveau de 2007 et le taux de chômage reste inégalitaire (17,9 % en moyenne pour les moins de 25 ans, avec des niveaux supérieurs à 40 % en Grèce et à 20 % en France, contre 6,6 % en Allemagne), ce qui induit une moindre mobilité sociale.

 

  • Au sein des pays en développement, l’ouverture au commerce international a contribué à réduire la part des individus vivant sous le seuil de pauvreté (de 50 % à 10 % depuis 1980 selon le FMI).
    • Ainsi, les inégalités globales ont décru dans la même période de 25 % selon le coefficient Theil, entamant une convergence entre pays développés et pays en développement (DG Trésor, 2017), mais les inégalités ont en revanche progressé au sein des pays développés (cf. « courbe en éléphant » de Milanovic, 2016).

 

1.2. Théories

  • La mesure du PIB est indifférente au niveau des inégalités de revenus ou de patrimoine
    • Un accroissement du PIB/habitant peut ainsi masquer une répartition inégalitaire des richesses, mais aussi aux externalités négatives que peut engendrer une hausse de la production.
    • Des indicateurs alternatifs au PIB existent tels que l’IDH pour mieux rendre compte des différences de niveaux de vie en agrégeant des indicateurs socio-économiques (taux de mortalité, taux d’alphabétisation, temps consacré aux loisirs, etc.).

 

  • S’il existe toutefois un lien entre croissance et inégalités, Kuznets (1955) a montré qu’il prend la forme d’une courbe en cloche
    • Dans un premier temps, l’accumulation de capital infrastructurel et naturel conduit à une répartition des richesses déformée en faveur des détenteurs d’épargne ; puis, dans un second temps, l’accumulation de capital humain réduit les inégalités.
    • Piketty (2005) a cependant montré que cette réduction des inégalités n’était pas spontanée mais due à institutions publiques (progressivité de l’impôt et protection sociale) et/ou à des phénomènes exogènes (guerre et inflation).
    • Inversement, l’accroissement des inégalités peut contribuer négativement à la croissance potentielle dans les pays développés : les inégalités y ont induit une moindre croissance cumulée de 4 % du PIB entre 1990 et 2010 (OCDE, 2014).

 

  • Depuis les années 1980, l’ouverture commerciale et le progrès technique contribuent également à la croissance des inégalités au sein des pays développés.
    • D’une part, le théorème de Stolper et Samuelson (1941) montre que l’intégration des chaines de valeur conduit à spécialiser les productions nationales sur l’exportation de biens relativement plus intensifs en facteur de production relativement plus abondants, soit le capital et le travail qualifié pour les pays développés ; la rémunération relative de ces secteurs est dès lors plus dynamique que celle des secteurs intensifs en travail peu ou non qualifié. Selon la DG Trésor (2017), environ 20 % des pertes d’emplois dans l’industrie française sont liées à l’ouverture commerciale.
    • D’autre part, la forme schumpétérienne du progrès technique induit une polarisation des emplois entre emplois qualifiés et emplois peu ou non qualifiés. Dans certains pays (ex. France), la réglementation accentue cette segmentation entre inclus et exclus du marché du travail en rallongeant la durée moyenne au chômage et en rehaussant le taux de chômage d’équilibre du fait des effets d’hystérèse (Lindbeck, Snower, 1988). Braconnier et Ruiz-Valenzuela (2014) montrent qu’une hausse de +1 % de la PGF induit un accroissement de +0,3 % du rapport interdécile.
    • Ces inégalités sont sociales mais aussi territoriales : selon Davezies (2012), 20 à 25 % de la population française vivrait dans des territoires en décrochage et cumulant un recul de l’appareil productif (imputable aux deux facteurs cités supra), une faible qualité résidentielle (imputable à la structure du marché du logement) et la diminution du soutien public aux services de proximité (imputable à l’orientation des politiques budgétaires).

 

  • Le rôle des institutions publiques est essentiel pour fonder un modèle de croissance inclusive, par opposition à un modèle extractif
    • Ainsi, les pays en transition démocratique ont connu une hausse de +5 points de leur PIB/tête dans les 10 ans après démocratisation et de +15 points à horizon 20 ans (Acemoglu, 2004).
    • Le développement d’une protection sociale soutient également le capital humain et contribue positivement à la croissance potentielle via les gains de productivité (Wheeler, 1980) : cf. éducation, santé ou formation professionnelle (Crépon, 2009 : un effort moyen de 11h de formation/an et par salarié génère un gain de productivité de +1 %, récupéré entre 30 % et 50 % par les travailleurs sous la forme de revalorisations salariales).
    • Enfin, le développement du pouvoir de négociation salariale et des organisations syndicales contribue à orienter la répartition de la valeur ajoutée en faveur du facteur travail (Nickell et Andrews, 1983) ; a contrario, leur affaiblissement et le renforcement relatif du pouvoir de négociation des actionnaires sous l’effet de la libéralisation financière oriente la répartition de la valeur ajoutée vers le facteur capital (Ebenstein, 2015).

 

2.1.      Bilan des politiques

 

  • Depuis les années 1980, les politiques de compétition fiscale et de développement de la flexibilité du marché de l’emploi ne se sont pas accompagnées d’un renforcement suffisant des politiques de redistribution et d’investissement social.
    • En économie ouverte (modèle IS-LM-BP), l’imposition des facteurs de production mobiles (capital et travail qualifié) induit des effets d’éviction (au-delà de 80 % de taux d’imposition marginale pour Gruber et Saez, 2012), d’où s’instaure une compétition fiscale entre pays développés.
    • Aux Etats-Unis, le taux d’imposition effective des bénéfices des sociétés a diminué de 12 points depuis 1980 tandis que la valeur réelle du salaire minimum fédéral a régressé de 10 points dans la même période.
    • En Allemagne, l’indice de GINI a crû de 0,29 en 2000 à 0,33 en 2006 du fait de la réduction à un an de la durée d’indemnisation du chômage (loi Hartz IV) et du développement du chômage partiel (28 % de l’emploi total, occupé à 83 % par des femmes).

 

  • Depuis la crise économique, les politiques de consolidation budgétaire et de déflation interne ont accentué le caractère inégalitaire de la reprise économique dans l’UE.
    • Au Royaume-Uni, les dépenses publiques ont été réduites de 2,4 % entre 2009 et 2012 notamment sur la masse salariale du secteur public et les politiques sociales.
    • En Espagne, la balance commerciale est devenue excédentaire et la profitabilité des entreprises a crû de 3 points au prix d’une baisse de 6 % des salaires réels entre 2009 et 2014.
    • En France, toutefois, les inégalités sont restées stables durant la crise du fait des stabilisateurs automatiques et d’une consolidation fondée à 85 % sur l’augmentation des prélèvements obligatoires entre 2009 et 2015 (création d’une nouvelle tranche marginale de l’IR à 45 %, plafonnement des dépenses fiscales, barémisation de la fiscalité des revenus du capital, surtaxe sur les grandes entreprises, etc.) : dans un contexte de compétition fiscale, ces hausses ont toutefois pu avoir des effets d’éviction sur l’assiette taxable (exécution des recettes de l’Etat inférieure aux prévisions en 2013 et 2014).

 

  • Les politiques d’investissement dans le capital humain demeurent également hétérogènes et parfois inefficaces au sein des pays développés
    • Peu de pays combinent performances scolaires et équité sociale (ex. : Canada, Corée du Sud, Estonie, Finlande et Japon selon l’OCDE, 2016 ; en France, un élève défavorisé a 4x plus de chances d’être en difficulté)
    • L’investissement dans la formation continue en France ne bénéficie que pour 10 % aux demandeurs d’emplois malgré un niveau élevé de dépenses (1,5 % du PIB)
    • L’Allemagne présente un déficit d’investissement de 3 % de PIB dans la petite enfance et les infrastructures (France Stratégie, 2014)
    • Le salaire minimum reste inférieur au salaire de réserve dans plusieurs pays, ce qui réduit l’offre de travail (Card, Krueger, 1995) malgré les revalorisations récentes en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis
    • Les réformes visant à réduire le dualisme du marché du travail restent à évaluer (ex. réduction des indemnités de licenciement pour les nouveaux CDI en Italie avec le Jobs Act en 2015).

 

  • Au sein des pays émergents, la résorption des excédents extérieurs et le développement d’une protection sociale amorcent un partage croissant de la prospérité
    • En Chine, la transition d’un modèle de croissance par imitation tiré par les exportations et l’investissement (plus de 50 % du PIB) vers un modèle de croissance tiré par la consommation intérieure (depuis 2005, le salaire ouvrier moyen a crû de +300 %, rattrapant la moitié du retard avec les Etats-Unis) devrait contribuer à réduire les inégalités encore élevées (Gini à 0,5) et à développer une classe moyenne encore peu nombreuse (130 millions d’individus sur une population de 1,5 milliard). Par ailleurs, le développement d’une protection sociale devrait réduire le taux d’épargne des ménages chinoise formé par précaution et proche de 30 % du revenu disponible brut.
    • Dans d’autres pays émergents, cette évolution reste inachevée comme en Inde où les dépenses publiques de santé représentent seulement 1,4 % du PIB par exemple.

 

 

2.2.      Recommandations

 

  • Au niveau international
    • Renforcer la conditionnalité de l’APD selon des critères objectifs et recourir plus systématiquement à d’indicateurs alternatifs au PIB tels que l’IDH pour promouvoir un modèle de croissance inclusive
    • Inciter à l’augmentation du salaire minimum dans les pays développés où il est inférieur au salaire de réserve (ex. Etats-Unis, Royaume-Uni) et à l’augmentation des dépenses de protection sociale dans les pays émergents qui disposent d’une marge de manœuvre budgétaire
    • Promouvoir l’introduction de normes environnementales et sociales dans la conclusion des accords commerciaux régionaux (barrières tarifaires et non tarifaires) pour atténuer le biais inégalitaire de l’ouverture commerciale

 

  • Au niveau de l’UEM
    • Introduire un salaire minimum à 50 % des revenus médians nationaux et une assiette commune consolidée d’impôt sur les bénéfices des sociétés pour désinciter à la compétition socio-fiscale
    • Abonder une capacité budgétaire de la zone euro par des ressources propres (taxe GAFAM, taxe carbone, contribution IS) afin de financer des programmes d’investissement dans les compétences en faveur des zones en difficulté ou rattrapage économique
    • Achever l’union bancaire avec une garantie universelle des dépôts afin d’assurer une meilleure allocation du crédit en faveur des pays de la périphérie

 

  • Au niveau français
    • Cibler le plan d’investissement dans les compétences sur les demandeurs d’emplois de longue durée et les jeunes décrocheurs en fonction d’une analyse territorialisée des besoins en qualifications et majorer le financement public soutenant l’accès aux modes de garde dans les zones prioritaires pour investir dans le capital humain
    • Supprimer les droits de mutation à titre onéreux pour 80 % des transactions et expérimenter une dotation initiale en capital pour les jeunes atteignant la majorité afin de stimuler la mobilité sociale et résidentielle
    • Supprimer le forfait social pour développer l’intéressement dans les PME pour mieux synchroniser les cycles de rentabilité et des salaires et introduire le « chèque syndical » pour inciter au développement d’un syndicalisme de services