Réguler la finance

1.   Définitions et concepts-clés

C’est l’ensemble des activités qui rendent possible et organisent le financement des agents économiques ayant des besoins de capitaux par les agents ayant des surplus.

2 fonctions : 1/ financer ou aider à financer les entreprises, les ménages et les Etats, 2/ fournir des solutions permettant de se couvrir contre les risques.

Rôle d’intermédiation entre des épargnants peu informés (vous et moi) et les emprunteurs. Rôle d’allocation des ressources : drainer l’épargne des ménages vers les entreprises les plus prometteuses (facteur essentiel dans la croissance économique).

Fonction d’assurance : produits d’assurance contre le risque de change : ex. recettes d’Airbus libellées en dollars et dépenses en partie en euros : chute du dollar réduit son CA en euros => s’assure contre les fluctuations de change = swaps). Autre ex. s’assurer contre risque de défaut d’un client/fournisseur : credit default swaps (CDS). Produits dérivés « utiles » lorsque couvrent des risques.

Le rôle des banques

Activité de transformation de maturité et de création de liquidité : donne accès aux dépôts instantanément mais prête sur 20 ans pour acheter un bien immobilier => engendre une fragilité potentielle (bank run si tous les déposants réclament simultanément le remboursement de leurs dépôts). Ex. banque UK Northern Rock en sept 2007 (1ère panique bancaire en UK depuis 1866) car le système d’assurance-dépôt était mal conçu (couvrait 100 % pour les 2 000 premiers livres et 90 % pour les 33 000 suivantes : amène les déposants à retirer à la moindre rumeur ; aujd, en FR couverture à 100 % jusqu’à 100 000 €, aux USA 250 K$ : paniques bancaires possibles aujd seulement pour les gros déposants non assurés).

Exemple de panique historique : en France, entre 1929 et 1931, les dépôts ont baissé de 40 % dans 400 banques, entraînant une baisse du crédit de 44 % (Banque de France, 2018); fuite vers la sécurité puisque une majeure partie de ces dépôts ont été ensuite placés dans des caisses d’épargne (institutions collectant des dépôts à un taux d’intérêt réglementé et investissant leurs actifs en bons du Trésor). Paradoxe ici : la masse monétaire dans l’économie continue à croître mais l’activité chute d’un tiers. S’explique par l’allocation imparfaite du crédit (les déposants se tournent vers les caisses d’épargne, qui investissent dans les obligations souveraines et non dans l’économie réelle, et les grandes banques accroissent leurs dépôts auprès de la Banque centrale) : il aurait alors fallu une politique budgétaire contra-cyclique rendue possible par la hausse de la demande de bons du Trésor (cf. chapitre sur le déficit public).

Autre fragilité : comme les banques empruntent à court terme et prêtent à long terme, une hausse des taux d’intérêt dans l’économie augmente les coûts immédiats de la banque mais ses recettes n’augmentent qu’à terme (non indexation des prêts généralement).

Solutions des banques de second rang pour honorer leur promesse de liquidité des dépôts : trouver d’autres déposants, revendre leurs créances ou se refinancer auprès de la banque centrale (prêteur en dernier ressort).

Mesures de régulation macroprudentielle aujd pour assurer un coussin de sécurité en cas de retournement du cycle financier (accords de Bâle depuis 1988).

Pourquoi l’asymétrie d’information est l’ennemie de la stabilité financière ?

Prise de risque : ex. Vallee, Perignon, 2016 : recours croissant aux emprunts structurés de la part des collectivités territoriales pour financer promesses électorales => l’innovation financière est source d’aléa moral (en l’occurrence, le contribuable local, en situation d’information imparfaite, devra rembourser le coût des emprunts risqués contractés par une collectivité). Après la crise de 2008, env. 1 500 collectivités et hôpitaux français ont découvert avoir eu recours à des emprunts toxiques (ex. Rhône et Seine-Saint-Denis à hauteur de 400 M€) notamment auprès de Dexia (banque belge). Ici, dysfonctionnement lié à asymétries d’information, défaut de supervision et absence d’internalisation des externalités négatives.

Autre ex. la titrisation : lorsqu’une banque sort un prêt de son bilan et vend les revenus associés (intérêts) regroupés à d’autres acteurs. Pratique qui déresponsabilise : l’émetteur du prêt perd ses incitations à surveiller leur qualité (Tirole, 1994) : taux de défaillance des prêts immobiliers supérieur de 20 % lorsqu’ils sont titrisés (Keys et alii, 2010). En 2006, 80 % des prêts immobiliers aux Etats-Unis étaient titrisés (contre 30 % en 1995) et notamment 81 % des prêts subprime (fort risque de non-remboursement). Par ailleurs, pro-cyclique : la titrisation a augmenté au moment où les prêts devenaient plus risqués. Certification par les agences de notation également défaillante (cf. 2008).

Pourquoi y a-t-il des bulles financières ?

Marchés efficients signifierait que le prix d’un actif financier reflèterait sa « vraie valeur » (son fondamental), càd la valeur de ses rendements futurs actualisés au taux d’intérêt. Ex : un titre qui rapporte 1 € par an alors que le taux d’intérêt dans l’économie est de 10 % vaudrait 10 € (placer 10 € à 10 % rapport 1 €/an, tout comme le titre en question : posséder 10 € ou cet actif donne naissance aux mêmes flux financiers).

Il existe une bulle lorsque la valeur d’un actif excède son fondamental : il est alors surévalué. Phénomène très fréquent sur le marché immobilier, qui peut ensuite déclencher crises bancaires et souveraines (Reinhart et Rogoff, 2009). Les bulles émergent notamment lorsque le taux d’intérêt dans l’économie excède le taux de croissance (croissance plus rapide de la valeur financière des actifs que de la taille de l’économie réelle).

Il est toutefois difficile de repérer une bulle : ex. entre 1998 et 2006, le ratio prix immobilier et loyer / revenus a doublé en France (25 à 30 % plus élevé qu’en Allemagne, alors que situation inverse jusqu’en 2003). Pour autant, cet accroissement est lié pour partie à des facteurs démographiques (la population active s’accroît de 100 000 personnes chaque année en France) et géographiques (plus grande concentration de la demande de logement dans les zones tendues, càd dans les métropoles).

A court terme, la bulle génère un effet richesse qui accroît la capacité d’endettement des institutions qui détiennent des actifs surévalués, ce qui peut soutenir la croissance de l’économie réelle (Farhi, 2012). Mais à terme, lorsque la bulle éclate, effet richesse inverse par une diminution de la valeur des actifs et éventuellement des défauts de remboursement (dégradation du bilan).

D’où un besoin de régulation car la finance peut produire des externalités négatives lorsque les pertes d’un acteur financier se répercutent à l’économie réelle.

Comment réguler la finance ?

Divergence entre rationalité individuelle et collective : exposition d’une banque à un actif risqué génère un fort rendement pour les actionnaires mais, en cas de défaut, dégradation du bilan couverte par d’autres créanciers ou par le contribuable. Ex. aussi au niveau de l’UEM (aléa moral lié à la croyance en un prêteur en dernier ressort au sein de la zone euro : a incité au laxisme des politiques budgétaires avant 2010).

La régulation financière vise à réduire cette divergence entre intérêt individuel et collectif, notamment en réduisant les asymétries d’information, afin de protéger les investisseurs et les déposants. Ex. superviseur bancaire : exigence fonds propres. La puissance publique peut aussi limiter la demande pour un actif concerné (ex. minimum d’apport personnel pour un emprunt immobilier ou plafond endettement/revenu mensuel de l’emprunteur).

MAIS une intervention publique mal pensée peut aussi accroître l’instabilité financière. Gropp, 2014 : un système de garanties publiques des prêts octroyés par les banques commerciales accroît le risque des crédits : ex. en Allemagne fin 2001 système de garanties comparable à des subventions indirectes faussant la concurrence et débouchant sur une allocation inefficiente du crédit => les banques ont changé de comportement lorsque leurs prêts n’ont plus été garantis, accordé des crédits moins risqués et de moindre volume afin de concentrer leurs ressources sur les projets considérés comme les plus performants.

2.   Dilemmes de la politique économique

Faut-il libéraliser le crédit ?

  • L’ouverture des marchés financiers à partir des années 1990 a permis aux Etats de financer leur consommation ou leur investissement grâce aux flux d’épargne étrangère (indice de libéralisation financière du FMI multiplié par 4 entre 1973 et 2005)
    • L’ouverture financière (somme des actifs domestiques détenus par les étrangers et des actifs étrangers détenus par les résidents rapportée au PIB) a été multipliée par 7 entre 1990 et 2010 dans les pays avancés
    • Elle permet en théorie une meilleure allocation des ressources au niveau mondial, l’épargne finançant les projets les plus rentables économiquement (Fama, 1970), et déconnecte l’épargne et l’investissement domestiques (Blanchard, 2002 : corrélation de 0,14 en UE)
    • En théorie, les déséquilibres globaux devraient se corriger spontanément (Dooley, 2005) : l’innovation technologique devrait stimuler les exportations du Nord et la demande intérieur croître au Sud (CEPII, « Rééquilibrage du commerce extérieur chinois », 2012)
    • Bertrand, 2007: dérégulation finance FR après la réforme Bérégovoy de 1984. En 1979, la moitié des prêts accordés au secteur privé étaient subventionnés, le crédit restait encadré pour l’autre moitié. La disparition de la plupart prêts subventionnés en 1985 a entraîné un taux de défaillance plus fréquente pour les entreprises anciennement subventionnées. Celles restées en activité ont été restructurées, leurs performances se sont améliorées et l’entrée de nouvelles entreprises s’est intensifiée (processus schumpétérien) : les ressources ont ainsi pu être réallouées vers les meilleurs projets.
    • Krishnan et alii, 2014: finance et productivité TPE. Interstate Bankin and Branching Efficiency Act 1994 lève barrières et autorise ouverture de succursales bancaires dans tout le pays : concurrence accrue entre établissements, répartition différente des crédits et gains de productivité, notamment plus petites entreprises.

 

  • La dérégulation financière conduit toutefois à l’instabilité et à des crises régulières
    • MAIS Rajan, 2010: lien entre le recul de la régulation financière et la crise de 2008. Lancement en 2002 par GW Bush d’un programme d’accession à la propriété avec la création 2 établissements publics Fannie Mae et Freddie Mac (prêts aux particuliers implicitement garantis par la puissance publique). Cette libéralisation du crédit pour faciliter l’accès à la propriété immobilière des ménages américains modestes a contribué à la crise financière de 2007-2008 en accroissant les risques de non-remboursement des emprunts (subprimes) : +80 % des prix entre 2000-2006 notamment 1,3 M maisons neuves vendues en 2005 contre 600 000 en 1995.
    • Idem en Espagne avec la libéralisation du secteur bancaire en 1980 et l’augmentation trop rapide accordé aux entreprises de construction, aux promoteurs immobiliers et aux ménages : +200 % prix des actifs immobiliers entre 1997 et 2017 [Illueca, 2014]. Effet d’hystérèse ensuite des bulles immo (prix plus élevés au début du nouveau cycle : Girebine et Tripier, 2015).
    • Relation circulaire entre libéralisation du crédit, inégalités et crises financières : la hausse des inégalités de revenus a conduit les ménages modestes et moyens à accroître leur ratio dette/revenus, ce qui a été rendu possible par la dérégulation financière et a conduit à la formation d’une bulle immobilière (CEPII, 2017).

 

  • Le marché financier ne peut assurer une allocation optimale de l’épargne que s’il est supervisé par des autorités indépendances chargées de contrôler la solvabilité des intervenants et de vérifier la réalité de la concurrence [Aghion, 2005]. Or une telle régulation a été démantelée avant la crise 2008 au niveau des Etats et n’existe toujours pas au niveau international.

Quelles régulations macro et micro-prudentielles ?

  • L’approche micro-prudentielle : Il s’agit de quantifier et de limiter le risque de faillite d’une entité financière par des normes contraignantes compte tenu des incidences potentielles sur d’autres entités. Accord de Bâle III (2010 pour une mise en œuvre progressive d’ici 2019) :
    • Exigence minimale de fonds propres réglementaires à 8 % des crédits accordés (ratio de McDonough : existe depuis les accords de Bâle I en 1988, mais avec une définition plus restrictive des capitaux propres)
    • Introduction d’un coussin contra-cyclique fixé par les régulateurs nationaux entre 1 et 2,5 % des crédits accordés
    • Création de ratios de liquidité à court et long terme (capacité à assurer ses engagements financiers à 30 jours ou de manière stable par des actifs liquides de haute qualité) pour résister à des Credit Crunch
  • Amène les banques à internaliser le coût des prêts risqués (clause de bail-in) et accroît leur aversion au risque MAIS des règles pro-cycliques qui peuvent empêcher la reprise ? (effet global de Bâle III -0,1% de PIB potentiel selon l’OCDE, 2011)

 

  • L’approche macro-prudentielle : Il s’agit de quantifier et de limiter le risque pour l’ensemble du système financier compte tenu des incidences potentielles sur la croissance économique
    • Minsky (1977) : les crises financières apportent une correction inévitable aux déséquilibres accumulés en haut de cycle financier et justifient la régulation macro-prudentielle
    • Tobin (1984): la régulation monétaire internationale doit diminuer la volatilité càd la variation erratique des valeurs et des volumes de titres échangés
    • Différents outils de régulation possibles : identification des risques, supervision (ex. revue du bilan des 130 banques contrôlées par la BCE), instruments correctifs et préventifs :
      • Bâle III: Obligation de réaliser des stress test (identification des risques), par le biais du mécanisme de surveillance unique par la BCE dans l’UEM (118 banques qui détiennent 82 % des actifs bancaires de la zone euro ; les autres banques sont soumises à la surveillance des autorités nationales) ;
      • Dodd-Frank Act (2010) aux Etats-Unis : instrument préventif pour limiter les activités spéculatives à hauteur de 3 % des fonds propres des banques commerciales (Volcker Rule). En cours de remise en cause sous l’administration Trump (élargissement des exemptions de respect de la règle Volcker pour les établissements de petite ou moyenne taille, relèvement du seuil d’actifs au-delà duquel une holding bancaire est considérée d’importance systémique, allègement du ratio de levier supplémentaire et du ratio de liquidité à 1 mois) ;
      • Taxe sur les transactions financières : pas d’objectif de rendement budgétaire mais instrument correctif pour améliorer l’efficacité des marchés financiers. Vise selon Stiglitz (1989) à éliminer les « noise traders» afin que la cote des sociétés révèle leur valeur de long terme. Evaluations : CEPII, 2013 sur les taxes française et italienne : sans effet sur la volatilité mais une baisse du volume de transactions. Deng (2014) sur la taxe chinoise : élimine les agissements inefficaces sur les marchés peu matures où les professionnels informés sont peu nombreux ; sur les marchés matures, réduit le volume de transactions et augmente la volatilité.

 

Le système monétaire international accroît-il l’instabilité financière ?

 Le système monétaire international est composé de l’ensemble des règles qui contraignent ou influencent les Etats en matière de régime de change, de politique monétaire et de réglementations des flux de capitaux

    • Après 1945, le système de Bretton-Woods rendait les taux de change ajustables par rapport au Dollar, lequel était seul convertible en or à une parité fixe
    • La fin de la convertibilité Dollar – or a été décidée unilatéralement par les Etats-Unis en 1971, puis un flottement généralisé des monnaies a été instauré (accord de la Jamaïque, 1976)
    • Echec de la coordination internationale : SME (1979), accords du Plaza (1985 : déprécier l’USD par rapport au Yen et au Mark pour réduire les excédents japonais) et du Louvre (1987) : ok pour stabiliser mais pas pour inverser la dépendance
  • Défauts du système : les désajustements de changes conduisent à des distorsions économiques, à une grande volatilité des capitaux [Mussa, 1986 : la volatilité excessive des taux de changes favorise l’apparition de désajustements durables] et à l’accumulation de réserves de changes dans les pays émergents (« Saving Glut», Bernanke, 2005)

 

  • Les déséquilibres persistants des BPC constituent un facteur d’instabilité financière :
    • Ils traduisent des insuffisances de compétitivité ou une préférence pour l’exportation aux dépens de la demande nationale (Bénassy-Quéré, 2012 : la BPC chinoise est symétrique à celle des USA : 3 800 Md$ de réserves détenus par la Chine, 375 Md$ de déficit commercial USA/Chine en 2017).
    • Paradoxe de Lucas (1990) : entre 1990 et 2008, les flux d’épargne ont été du Sud vers le Nord alors que la faible quantité de facteur capital au Sud devrait offrir des rendements plus élevés. Explication = facteurs institutionnels et incertitudes des rendements au Sud. Les capitaux s’orientent spontanément vers les zones économiques qui présentent une productivité globale des facteurs de production élevée et un cadre institutionnel favorable au recouvrement des créances.
    • Le rôle des « Global Imbalances» dans la crise de 2008 : faiblesse des taux d’intérêt de la FED sous Greenspan et accroissement de la liquidité ont accru la prise de risque et incité à l’innovation financière (Shin, 2009)
    • Déséquilibres également régionaux, par ex. au sein de la zone Euro. L’épargne des pays centraux a financé les déséquilibres croissants des pays de la périphérie (déficits de compétitivité) du fait de la libre circulation des capitaux et de la disparition des risques de change. Obstfeld & Rogoff, 2010: apparition de déficits jumeaux avant crise (FR/IT/SP/GR/PT) vs. pays à l’équilibre ou excédentaires (DE/NL/FI/AT). Des politiques de dévaluation interne au Sud de stimulation de la demande interne au Nord étaient nécessaires pour réduire ces déséquilibres. Il est également possible de moduler la politique monétaire non conventionnelle en fonction de cibles d’inflation nationales (Levy, 2018).
    • Précédents historiques : statut du Sterling et système de l’étalon-or entre 1870 et 1914 (excédent extérieur de 9 % pour la Grande-Bretagne => flux d’IDE vers l’Empire)

 

  • La monnaie est un bien commun (non exclusif et rival) qui exige une gestion coordonnée (Aglietta, 1995)
    • Volonté du G7 d’instituer des zones cibles fondées sur la théorie du taux de change d’équilibre fondamental (Williamson, 1983 : taux de change qui assure l’équilibre interne et externe, càd qu’il n’accélère pas l’inflation et assure la soutenabilité de la balance courante à long terme), mais échec au Plaza et au Louvre
    • Les banquiers centraux sont ajd très réticents à intervenir sur les marchés des changes par l’achat ou la vente de devises (Dominguez & Frankel, 1993) : interventions pour stabiliser les marchés et non inverser une tendance (notamment orales : Forward Guidance)
    • MAIS le SMI reste centré sur le Dollar (plus de 60 pays arrimés ou utilisant le Dollar : ex. Zimbabwe inflation sous les 2 % depuis 2014 ; même si de plus en plus de pays s’arriment à l’Euro : ex. Bulgarie et Pologne dans l’attente de remplir les critères de convergence) et l’absence d’assurance multilatérale crédible en cas de crise (Sudden Stop) favorise l’accumulation de réserves de change (3 160 Md$ pour la Chine, soit 1/4 du PIB)
  • Le Dollar bénéficie d’un « privilège exorbitant » (Gordon) du fait d’un système monétaire unipolaire inadapté à une économie réelle devenue multipolaire (part dans le PIB mondial des pays de l’OCDE passée de 64 % en 1994 à 49 % en 2014)
    • Le Dollar est une monnaie internationale véhiculaire : les titres émis en Dollar sont très liquides, même si la BPC des USA est déficitaire (43 % des transactions mondiales 29 % pour l’Euro et 2,5 % pour le Yuan)
  • Le SMI actuel a pour conséquence que les USA ne sont pas incités à réduire leurs déséquilibres (Gourinchas, 2010)

Les déséquilibres internationaux se sont-ils réduits depuis 2008 ?

  • FMI, « Are Global Imbalances at a Turning Point? » (2014)
    • Les déséquilibres les plus porteurs de risques pour la croissance mondiale ont été réduits de moitié (déficit USA, excédents JAP et CHI) => les risques systémiques ont diminué
    • Les déséquilibres globaux ne vont pas retrouver leur niveau d’avant-crise car les USA et la Chine ne retrouveront leurs niveaux de croissance du PIB (Eichengreen, 2014)
    • Les ajustements des taux de change effectifs n’ont toutefois joué qu’un rôle limité dans cette évolution, hormis pour le Yuan (6,80 CNY pour 1 USD en 2010 à 6,05 en 2014 : la réévaluation du Yuan est proche de l’écart de 20 % que Krugman proposait de combler par une taxe sur les importations)

 

  • Des déséquilibres, même circonscrits, demeurent toutefois une source d’instabilité
    • Certaines économies conservent toutefois un excédent important : ex. Allemagne +7 % du PIB (OFCE, « Faut-il sanctionner les excédents allemands ? », 2015) malgré l’instauration d’un Mindestlohn à 8,50 €/h revalorisé depuis
    • Certains pays émergents sont devenus déficitaires et présentent des fragilités internes : Brésil (fort taux de PO : 40 % du PIB vs. 45 % en FR) ou Inde (très faibles dépenses de santé ou éducation, respectivement 1 et 3 % du PIB)

Les mesures du bien-être et du progrès social

S’il constitue un indicateur fiable pour mesurer la croissance économique, le PIB demeure limité dans sa portée. En particulier, il ne permet pas de rendre compte du niveau de bien-être et de progrès social dans une économie. Depuis les années 1990, les institutions internationales recherchent une mesure alternative du développement. Celle-ci intégrerait par exemple la soutenabilité environnementale ou les modalités de répartition des richesses. Parmi les indicateurs alternatifs a notamment émergé l’indicateur de développement humain (IDH). Aucun des nouveaux indicateurs n’a toutefois conduit à remplacer le PIB. Ils tendent plutôt à en constituer un complément du point de vue des décideurs publics.

 

1. Les indicateurs alternatifs de mesure du bien-être et du progrès social se sont développés depuis les années 1990 pour compléter le PIB

A. Le PIB constitue un indicateur fiable de la croissance économique mais limité dans sa portée

Le produit intérieur brut (PIB) mesure les richesses produites durant l’année par les unités résidentes. En méthode, il peut être approché soit par la production, soit par la demande, soit par les revenus. Par sa fiabilité, le PIB contribue à la conception et à l’évaluation des politiques publiques : il permet des comparaisons dans le temps et l’espace et il est utilisé pour déterminer d’autres indicateurs tels que le solde budgétaire structurel. Jusqu’à la fin des Trente Glorieuses, l’usage du PIB a ainsi fait consensus dans un contexte où accroissement des richesses et amélioration du bien-être se confondaient.

Toutefois, le PIB ne mesure que la croissance économique et non le bien-être. Ainsi, par construction, il n’intègre pas certaines activités socio-économiques telles que le travail domestique ou le bénévolat, dans la mesure où elles ne donnent pas lieu à valorisation sur un marché monétaire. Par ailleurs, sa mesure est indifférente au niveau des inégalités de revenus ou de patrimoine – ainsi, un accroissement du PIB par habitant peut masquer une répartition inégalitaire des richesses –, mais aussi aux externalités négatives que peut engendrer une hausse de la production, notamment au plan environnemental.

 

B. A partir des années 1990, la recherche d’indicateurs alternatifs au PIB retient une définition plus large du niveau de développement

Le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) introduit en 1990 l’indice de développement humain (IDH) sur la base des travaux d’Amartya Sen. Celui-ci tient compte du PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat, de l’espérance de vie à la naissance ou encore du taux d’alphabétisation des adultes ou du taux de scolarisation des enfants. En agrégeant plusieurs indices hétérogènes, l’IDH constitue ainsi un indicateur composite qui rend compte du niveau de développement au-delà des richesses monétaires.

A partir de la crise de 2007-2008, les institutions internationales relancent le débat sur les limites du PIB et la recherche de nouveaux indicateurs du bien-être et du progrès social. En 2007, la conférence « Beyond GDP » (« Au-delà du PIB ») et le Forum mondial d’Istanbul, qui réunissent la Commission européenne, l’OCDE, l’ONU et la Banque mondiale, marquent leur volonté de mettre en place de nouveaux indicateurs complémentaires du PIB. La commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social (« commission Stiglitz »), installée en 2008 par le président Sarkozy, souligne la nécessité d’inclure les inégalités dans la mesure du bien-être et inspire la création par l’OCDE du « Better Life Index » en 2012.

 

2. Parmi les indicateurs alternatifs au PIB, aucun ne s’est encore imposé dans la mesure du bien-être et du progrès social

A. Certains indicateurs monétaires sont utilisés comme alternatives au PIB mais lui restent fortement corrélés

 Plusieurs indicateurs monétaires sont aujourd’hui utilisés comme alternatives au PIB : en méthode, ils sont également issus des comptes nationaux, mais retiennent un périmètre différent du PIB. Ainsi, la commission Stiglitz recommande l’usage du revenu national disponible net (RNDN), qui tient compte du solde des échanges de revenus avec l’étranger et de la dépréciation du capital physique. Le RNDN reste toutefois fortement corrélé au PIB et sa mesure ne bouleverse pas la vision des niveaux de développement : les Etats-Unis se classent en 1ère position et la France en 5e.

D’autres facteurs permettent de compléter le PIB en y intégrant une dimension de soutenabilité sociale et environnementale. Ainsi, l’indice de bien-être durable (IBED) valorise les inégalités et des activités non monétaires telles que le travail domestique. L’indicateur de progrès véritable (IPV) le complète en intégrant le bénévolat et la charge de la dette. Bien que plus complets que le PIB, ces indicateurs ne retiennent toutefois qu’une approche limitative du bien-être (les temps de loisirs ou la qualité du capital humain n’y sont pas inclus) et conservent la dimension productive du PIB en valorisant en équivalent-revenu des activités non monétaires. Ils sont par ailleurs critiquables car ils ne rendent pas compte du caractère irréversible de certains dommages environnementaux.

 

B. Les indicateurs non monétaires promeuvent une approche radicalement différente du développement mais ne font l’objet d’un consensus ni sur leur définition ni sur leur opérabilité

 Parmi les indicateurs non monétaires, l’IDH reste le plus suivi : pour répondre aux critiques qui lui étaient adressées (caractère arbitraire des poids attribués aux différents facteurs), le PNUD y a renforcé depuis 2010 la prise en compte des inégalités sociales et de genre et a adopté une approche multidimensionnelle de la pauvreté non centrée sur sa seule dimension monétaire. En tête du classement de l’IDH figure la Norvège, les Etats-Unis se classent en 10e position et la France 21e. L’IDH ne fait toutefois à ce jour l’objet d’aucun usage opérationnel et n’a pas remplacé le PIB dans l’appréciation des décideurs publics.

En toute hypothèse, la construction d’un indicateur rendant compte de l’ensemble des dimensions du bien-être social et environnemental reste à achever. Elle soulève toujours des difficultés méthodologiques sur les modes de valorisation des composantes non monétaires du développement (par équivalent-revenu ou par un indicateur synthétique) et des discussions quant au périmètre à retenir (intégration potentielle de la qualité des relations sociales ou du niveau de sécurité par exemple). Par ailleurs, les différents indicateurs alternatifs ne modifient pas sensiblement la vision des niveaux de vie que fournit le PIB par habitant : ce sont globalement les mêmes pays qui combinent un revenu par habitant faible, des inégalités importantes, un fort taux de mortalité et un faible temps consacré aux loisirs. Enfin, des différences de nature demeurent entre soutenabilité de la croissance à long-terme (mesure de l’impact économique du réchauffement climatique et de l’épuisement des ressources naturelles) et bien-être social (approche du développement humain décorrélée de la mesure du PIB).

 

Classement des principaux pays à l’IDH (2016)

 

1 Norvège 0,949
2 Australie 0,939
2 Suisse 0,939
4 Allemagne 0,926
5 Danemark 0,925
5 Singapour 0,925
7 Pays-Bas 0,924
8 Irlande 0,923
9 Islande 0,921
10 Canada 0,920
10 Etats-Unis 0,920
16 Royaume-Uni 0,909
21 France 0,897
49 Russie 0,804
79 Brésil 0,754
90 Chine 0,738
131 Inde 0,624

Le PIB ne nous dit pas tout

Le produit intérieur brut (PIB) mesure les richesses produites durant l’année par les unités résidentes. Par sa fiabilité, il contribue à la conception et à l’évaluation des politiques publiques : il permet des comparaisons dans le temps et l’espace et il est utilisé pour déterminer d’autres indicateurs tels que le solde budgétaire structurel. Jusqu’à la fin des Trente Glorieuses, l’usage du PIB a ainsi fait consensus dans un contexte où accroissement des richesses et amélioration du bien-être se confondaient.

 

Toutefois, s’il constitue un indicateur fiable pour mesurer la croissance économique, le PIB demeure limité dans sa portée. En particulier, il ne permet pas de rendre compte du niveau de bien-être et de progrès social dans une économie. « On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance », disait le slogan de mai 1968. Ainsi, par construction, le PIB n’intègre pas certaines activités socio-économiques telles que le travail domestique ou le bénévolat, dans la mesure où elles ne donnent pas lieu à valorisation sur un marché monétaire. Par ailleurs, sa mesure est indifférente au niveau des inégalités de revenus ou de patrimoine – ainsi, un accroissement du PIB par habitant peut masquer une répartition inégalitaire des richesses –, mais aussi aux externalités négatives que peut engendrer une hausse de la production, notamment au plan environnemental.

 

C’est pourquoi depuis les années 1990, les institutions internationales recherchent une mesure alternative du développement qui intégrerait par exemple la soutenabilité environnementale ou les modalités de répartition des richesses. Le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a ainsi introduit en 1990 l’indice de développement humain (IDH) sur la base des travaux d’Amartya Sen. Celui-ci tient compte du PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat, de l’espérance de vie à la naissance ou encore du taux d’alphabétisation des adultes et du taux de scolarisation des enfants. En tête du classement de l’IDH figure la Norvège, les Etats-Unis se classent en 10e position et la France 21e. D’autres indicateurs ont été développés par la suite, tels que le « Better Life Index » de l’OCDE (2012) ou le revenu national disponible net de la commission Stiglitz (2008).

 

Ces nouveaux indicateurs soulèvent toutefois des interrogations : comment valoriser les composantes non monétaires du développement ? (par équivalent-revenu ou par un indicateur synthétique) quel périmètre retenir ? (intégration potentielle de la qualité des relations sociales ou du niveau de sécurité par exemple) En outre, ils ne modifient pas sensiblement la vision des niveaux de vie que fournit le PIB par habitant : ce sont globalement les mêmes pays qui combinent un revenu par habitant faible, des inégalités importantes, un fort taux de mortalité et un faible temps consacré aux loisirs.

 

Si le PIB demeure limité dans sa portée, aucun des nouveaux indicateurs du bien-être n’a conduit à le remplacer. Ils représentent plutôt une information complémentaire au PIB du point de vue des décideurs publics.

Comment retrouver une prospérité partagée ?

Proposition de corrigé par Rayan Nezzar

 

Accroche : la récente transformation dans le budget 2018 de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière a réactivé le débat sur le lien entre croissance et inégalités. La sortie du patrimoine mobilier de l’assiette de l’IFI est en effet présentée, d’une part, comme une incitation à l’investissement productif via une réduction d’impôt d’environ 3 Md€ et, d’autre part, comme un accroissement des inégalités de patrimoine puisque le capital mobilier représente plus de 70 % du patrimoine des 1 % des ménages les plus aisés selon l’OFCE. Cet exemple semble illustrer la théorie d’Okun (1975) selon laquelle les politiques économiques seraient confrontées à un arbitrage entre efficacité et équité : pourtant, les inégalités peuvent également contribuer négativement à la croissance économique.

 

Définitions :

  • Prospérité: désigne un état d’abondance caractérisé par un accroissement de la production et du niveau de vie moyen
  • Prospérité partagée: désigne une répartition équitable de l’accroissement de la production et du niveau de vie moyen ; se mesure notamment à travers l’évolution des inégalités de revenus et de patrimoine. S’oppose à une « prospérité relative », qui désignerait la captation par les déciles de population les plus favorisés de l’accroissement du niveau de vie moyen.

 

Problématisation : la question « comment retrouver… ? » implique que la croissance économique serait devenue plus inégalitaire à la faveur d’évolutions structurelles et conjoncturelles (l’ouverture commerciale, le progrès technique, l’adoption d’une monnaie unique, les conséquences de la crise de 2008, l’évolution des relations entre employeurs et salariés, etc.) et qu’il conviendrait de la rendre inclusive pour des raisons à développer et pour des zones géographiques à définir (probablement au-delà des seuls pays avancés).

1.1. Faits stylisés

  • De manière générale, la politique de redistribution, qui est l’un des trois objectifs de la politique économique (Musgrave, 1959), vise à réduire les inégalités primaires de revenus.
    • En France, les politiques de redistribution divisent par trois les inégalités de (écart de 20 à 6 entre les 2 déciles extrêmes), pour 2/3 du fait des prestations sociales et pour 1/3 de la fiscalité.

 

  • Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, les inégalités de revenu disponible après redistribution, mesurées par le coefficient de Gini, ont progressé de +0,03 point en moyenne entre 1985 et 2013 (+0,06 point aux Etats-Unis, +0,04 en Allemagne et stable en France), malgré une croissance du PIB réel par tête de +65 % dans la même période.
    • Entre 2009 et 2012, 91 % de la hausse du PIB aux Etats-Unis a bénéficié à 1 % des Américains selon Stiglitz, tandis que les 80 % d’Américains les moins riches consommaient 110 % de leur revenu et devaient s’endetter pour maintenir leur niveau de vie, ce qui a contribué à la formation de la bulle du marché immobilier (Rajan, 2010).
    • Cette hausse des inégalités est liée à la déformation de la répartition de la valeur ajoutée en faveur du facteur capital (depuis 1980, la part dans le PIB des profits des entreprises après taxes, intérêts et dividendes a progressé de 5 points dans l’OCDE) et au progrès technique (Verdugo, 2017 : diminution de 8 % de la part des emplois intermédiaires en France depuis 1980).

 

  • Au sein de la zone euro, la reprise économique après la crise de 2008 a été lente et peu inclusive (« prospérité relative »).
    • Le PIB/tête réel n’a retrouvé qu’en 2015 son niveau de 2007 et le taux de chômage reste inégalitaire (17,9 % en moyenne pour les moins de 25 ans, avec des niveaux supérieurs à 40 % en Grèce et à 20 % en France, contre 6,6 % en Allemagne), ce qui induit une moindre mobilité sociale.

 

  • Au sein des pays en développement, l’ouverture au commerce international a contribué à réduire la part des individus vivant sous le seuil de pauvreté (de 50 % à 10 % depuis 1980 selon le FMI).
    • Ainsi, les inégalités globales ont décru dans la même période de 25 % selon le coefficient Theil, entamant une convergence entre pays développés et pays en développement (DG Trésor, 2017), mais les inégalités ont en revanche progressé au sein des pays développés (cf. « courbe en éléphant » de Milanovic, 2016).

 

1.2. Théories

  • La mesure du PIB est indifférente au niveau des inégalités de revenus ou de patrimoine
    • Un accroissement du PIB/habitant peut ainsi masquer une répartition inégalitaire des richesses, mais aussi aux externalités négatives que peut engendrer une hausse de la production.
    • Des indicateurs alternatifs au PIB existent tels que l’IDH pour mieux rendre compte des différences de niveaux de vie en agrégeant des indicateurs socio-économiques (taux de mortalité, taux d’alphabétisation, temps consacré aux loisirs, etc.).

 

  • S’il existe toutefois un lien entre croissance et inégalités, Kuznets (1955) a montré qu’il prend la forme d’une courbe en cloche
    • Dans un premier temps, l’accumulation de capital infrastructurel et naturel conduit à une répartition des richesses déformée en faveur des détenteurs d’épargne ; puis, dans un second temps, l’accumulation de capital humain réduit les inégalités.
    • Piketty (2005) a cependant montré que cette réduction des inégalités n’était pas spontanée mais due à institutions publiques (progressivité de l’impôt et protection sociale) et/ou à des phénomènes exogènes (guerre et inflation).
    • Inversement, l’accroissement des inégalités peut contribuer négativement à la croissance potentielle dans les pays développés : les inégalités y ont induit une moindre croissance cumulée de 4 % du PIB entre 1990 et 2010 (OCDE, 2014).

 

  • Depuis les années 1980, l’ouverture commerciale et le progrès technique contribuent également à la croissance des inégalités au sein des pays développés.
    • D’une part, le théorème de Stolper et Samuelson (1941) montre que l’intégration des chaines de valeur conduit à spécialiser les productions nationales sur l’exportation de biens relativement plus intensifs en facteur de production relativement plus abondants, soit le capital et le travail qualifié pour les pays développés ; la rémunération relative de ces secteurs est dès lors plus dynamique que celle des secteurs intensifs en travail peu ou non qualifié. Selon la DG Trésor (2017), environ 20 % des pertes d’emplois dans l’industrie française sont liées à l’ouverture commerciale.
    • D’autre part, la forme schumpétérienne du progrès technique induit une polarisation des emplois entre emplois qualifiés et emplois peu ou non qualifiés. Dans certains pays (ex. France), la réglementation accentue cette segmentation entre inclus et exclus du marché du travail en rallongeant la durée moyenne au chômage et en rehaussant le taux de chômage d’équilibre du fait des effets d’hystérèse (Lindbeck, Snower, 1988). Braconnier et Ruiz-Valenzuela (2014) montrent qu’une hausse de +1 % de la PGF induit un accroissement de +0,3 % du rapport interdécile.
    • Ces inégalités sont sociales mais aussi territoriales : selon Davezies (2012), 20 à 25 % de la population française vivrait dans des territoires en décrochage et cumulant un recul de l’appareil productif (imputable aux deux facteurs cités supra), une faible qualité résidentielle (imputable à la structure du marché du logement) et la diminution du soutien public aux services de proximité (imputable à l’orientation des politiques budgétaires).

 

  • Le rôle des institutions publiques est essentiel pour fonder un modèle de croissance inclusive, par opposition à un modèle extractif
    • Ainsi, les pays en transition démocratique ont connu une hausse de +5 points de leur PIB/tête dans les 10 ans après démocratisation et de +15 points à horizon 20 ans (Acemoglu, 2004).
    • Le développement d’une protection sociale soutient également le capital humain et contribue positivement à la croissance potentielle via les gains de productivité (Wheeler, 1980) : cf. éducation, santé ou formation professionnelle (Crépon, 2009 : un effort moyen de 11h de formation/an et par salarié génère un gain de productivité de +1 %, récupéré entre 30 % et 50 % par les travailleurs sous la forme de revalorisations salariales).
    • Enfin, le développement du pouvoir de négociation salariale et des organisations syndicales contribue à orienter la répartition de la valeur ajoutée en faveur du facteur travail (Nickell et Andrews, 1983) ; a contrario, leur affaiblissement et le renforcement relatif du pouvoir de négociation des actionnaires sous l’effet de la libéralisation financière oriente la répartition de la valeur ajoutée vers le facteur capital (Ebenstein, 2015).

 

2.1.      Bilan des politiques

 

  • Depuis les années 1980, les politiques de compétition fiscale et de développement de la flexibilité du marché de l’emploi ne se sont pas accompagnées d’un renforcement suffisant des politiques de redistribution et d’investissement social.
    • En économie ouverte (modèle IS-LM-BP), l’imposition des facteurs de production mobiles (capital et travail qualifié) induit des effets d’éviction (au-delà de 80 % de taux d’imposition marginale pour Gruber et Saez, 2012), d’où s’instaure une compétition fiscale entre pays développés.
    • Aux Etats-Unis, le taux d’imposition effective des bénéfices des sociétés a diminué de 12 points depuis 1980 tandis que la valeur réelle du salaire minimum fédéral a régressé de 10 points dans la même période.
    • En Allemagne, l’indice de GINI a crû de 0,29 en 2000 à 0,33 en 2006 du fait de la réduction à un an de la durée d’indemnisation du chômage (loi Hartz IV) et du développement du chômage partiel (28 % de l’emploi total, occupé à 83 % par des femmes).

 

  • Depuis la crise économique, les politiques de consolidation budgétaire et de déflation interne ont accentué le caractère inégalitaire de la reprise économique dans l’UE.
    • Au Royaume-Uni, les dépenses publiques ont été réduites de 2,4 % entre 2009 et 2012 notamment sur la masse salariale du secteur public et les politiques sociales.
    • En Espagne, la balance commerciale est devenue excédentaire et la profitabilité des entreprises a crû de 3 points au prix d’une baisse de 6 % des salaires réels entre 2009 et 2014.
    • En France, toutefois, les inégalités sont restées stables durant la crise du fait des stabilisateurs automatiques et d’une consolidation fondée à 85 % sur l’augmentation des prélèvements obligatoires entre 2009 et 2015 (création d’une nouvelle tranche marginale de l’IR à 45 %, plafonnement des dépenses fiscales, barémisation de la fiscalité des revenus du capital, surtaxe sur les grandes entreprises, etc.) : dans un contexte de compétition fiscale, ces hausses ont toutefois pu avoir des effets d’éviction sur l’assiette taxable (exécution des recettes de l’Etat inférieure aux prévisions en 2013 et 2014).

 

  • Les politiques d’investissement dans le capital humain demeurent également hétérogènes et parfois inefficaces au sein des pays développés
    • Peu de pays combinent performances scolaires et équité sociale (ex. : Canada, Corée du Sud, Estonie, Finlande et Japon selon l’OCDE, 2016 ; en France, un élève défavorisé a 4x plus de chances d’être en difficulté)
    • L’investissement dans la formation continue en France ne bénéficie que pour 10 % aux demandeurs d’emplois malgré un niveau élevé de dépenses (1,5 % du PIB)
    • L’Allemagne présente un déficit d’investissement de 3 % de PIB dans la petite enfance et les infrastructures (France Stratégie, 2014)
    • Le salaire minimum reste inférieur au salaire de réserve dans plusieurs pays, ce qui réduit l’offre de travail (Card, Krueger, 1995) malgré les revalorisations récentes en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis
    • Les réformes visant à réduire le dualisme du marché du travail restent à évaluer (ex. réduction des indemnités de licenciement pour les nouveaux CDI en Italie avec le Jobs Act en 2015).

 

  • Au sein des pays émergents, la résorption des excédents extérieurs et le développement d’une protection sociale amorcent un partage croissant de la prospérité
    • En Chine, la transition d’un modèle de croissance par imitation tiré par les exportations et l’investissement (plus de 50 % du PIB) vers un modèle de croissance tiré par la consommation intérieure (depuis 2005, le salaire ouvrier moyen a crû de +300 %, rattrapant la moitié du retard avec les Etats-Unis) devrait contribuer à réduire les inégalités encore élevées (Gini à 0,5) et à développer une classe moyenne encore peu nombreuse (130 millions d’individus sur une population de 1,5 milliard). Par ailleurs, le développement d’une protection sociale devrait réduire le taux d’épargne des ménages chinoise formé par précaution et proche de 30 % du revenu disponible brut.
    • Dans d’autres pays émergents, cette évolution reste inachevée comme en Inde où les dépenses publiques de santé représentent seulement 1,4 % du PIB par exemple.

 

 

2.2.      Recommandations

 

  • Au niveau international
    • Renforcer la conditionnalité de l’APD selon des critères objectifs et recourir plus systématiquement à d’indicateurs alternatifs au PIB tels que l’IDH pour promouvoir un modèle de croissance inclusive
    • Inciter à l’augmentation du salaire minimum dans les pays développés où il est inférieur au salaire de réserve (ex. Etats-Unis, Royaume-Uni) et à l’augmentation des dépenses de protection sociale dans les pays émergents qui disposent d’une marge de manœuvre budgétaire
    • Promouvoir l’introduction de normes environnementales et sociales dans la conclusion des accords commerciaux régionaux (barrières tarifaires et non tarifaires) pour atténuer le biais inégalitaire de l’ouverture commerciale

 

  • Au niveau de l’UEM
    • Introduire un salaire minimum à 50 % des revenus médians nationaux et une assiette commune consolidée d’impôt sur les bénéfices des sociétés pour désinciter à la compétition socio-fiscale
    • Abonder une capacité budgétaire de la zone euro par des ressources propres (taxe GAFAM, taxe carbone, contribution IS) afin de financer des programmes d’investissement dans les compétences en faveur des zones en difficulté ou rattrapage économique
    • Achever l’union bancaire avec une garantie universelle des dépôts afin d’assurer une meilleure allocation du crédit en faveur des pays de la périphérie

 

  • Au niveau français
    • Cibler le plan d’investissement dans les compétences sur les demandeurs d’emplois de longue durée et les jeunes décrocheurs en fonction d’une analyse territorialisée des besoins en qualifications et majorer le financement public soutenant l’accès aux modes de garde dans les zones prioritaires pour investir dans le capital humain
    • Supprimer les droits de mutation à titre onéreux pour 80 % des transactions et expérimenter une dotation initiale en capital pour les jeunes atteignant la majorité afin de stimuler la mobilité sociale et résidentielle
    • Supprimer le forfait social pour développer l’intéressement dans les PME pour mieux synchroniser les cycles de rentabilité et des salaires et introduire le « chèque syndical » pour inciter au développement d’un syndicalisme de services